Année politique Suisse 1966 : Allgemeine Chronik / Landesverteidigung
 
Défense nationale et société
La défense nationale a été de tout temps le sujet de discussions passionnées: les efforts personnels et financiers qu'elle implique justifient cet intérêt. Mais, en 1966, les tensions nées de l'affaire du «Mirage» ne se sont pas entièrement résorbées. Des rapports de confiance entre le DMF et l'opinion ont fait souvent défaut: face à ceux qui se sont efforcés de restaurer un climat constructif, il s'est trouvé des critiques nombreux pour mettre en doute l'efficacité des mesures proposées ou décidées. Le chef du DMF, qui a démissionné à la fin de l'année, victime de pressions conjuguées dans son propre parti comme dans d'autres, n'a pas joui d'une confiance suffisante. Il a régné, au sein du DMF, une certaine nervosité, qui s'est traduite dans les faits par des fuites de renseignements et par des communiqués trop réservés: la justice militaire a dü intervenir lorsque le conseiller national Hubacher (soc., BS) a publié dans son journal des renseignements tirés de documents confidentiels [1]. De même, la réduction de 100 millions opérée sur le budget militaire a eu des répercussions sensibles jusqu'au niveau de la troupe. Très exposé à la critique, le DMF n'a pas eu la tâche facile.
Cependant, malgré les tensions, des réalisations remarquables ont été atteintes dans les domaines qui, justement, avaient été à l'origine des affrontements de 1964. Sur le plan organique comme sur le plan stratégique, des projets sérieux ont surgi. Les travaux touchant à la défense nationale totale se sont poursuivis au cours de l'année, sans être publiés, sous la direction du commandant de corps Annasohn. L'indépendance politique, la survie de la population paraissent être les objectifs principaux des recherches. Celles-ci doivent intégrer les divers domaines de la défense militaire, civile, économique et spirituelle, dans un organe de coordination. Parallèlement à ces domaines reconnus, celui du maintien de l'indépendance sur le plan scientifique et technologique a acquis une certaine ampleur: la recherche contribue à la défense, et les investissements consentis dans ce secteur sont autant d'apports nécessaires [2].
Plus que ces travaux, dont les résultats doivent être connus en 1967, ce sont ceux qui touchent à la conception de la défense nationale militaire qui ont retenu l'attention politique. Répondant au voeu exprimé par la motion Bringolf (soc., SH) du 2 juin 1964, le Conseil fédéral a publié un rapport d'ensemble, qui constitue une mise au point fondamentale [3]. Ce rapport, dont la préparation a occupé la Commission de défense nationale pendant quatorze mois, marque une attitude plus souple et plus réaliste que celui qui avait accompagné le projet d'organisation des troupes du 30 juin 1960 [4]. Il constitue en quelque sorte un compromis entre les tendances opposées qui s'étaient manifestées alors; l'unité de doctrine réalisée au sein du commandement de l'armée a frappé les observateurs, qui se souviennent des affrontements survenus entre les partisans d'une stratégie débordant les frontières et ceux d'une défense moins mobile. L'importance du problème de l'armement pour un petit Etat qui s'en remet à ses propres forces, particulièrement mis en lumière dans l'affaire du « Mirage », le perfectionnement extrêmement rapide des techniques, et les coûts de plus en plus élevés qui en sont les conséquences ont été déterminants. Il s'est agi donc surtout d'une adaptation réaliste de la défense aux exigences de l'heure. Les formules souples employées tiennent largement compte de la nécessité de poursuivre, par un examen permanent, l'étude des rapports entre les objectifs assignés, les moyens en hommes et en matériel, et les exigences financières. On a adopté ainsi une conception défensive de nature évolutive qui devrait à l'avenir éviter les bouleversements dans l'organisation des troupes. Le rapport indique le renoncement à certaines formes de combat: on ne recherchera pas la décision dans une guerre de mouvement, pas plus qu'on ne se contentera d'une position d'armée linéaire ou de centres de résistance sans liens entre eux. L'idée de la défense en profondeur s'est imposée; elle préconise la canalisation des forces ennemies dans des zones échelonnées en profondeur, où l'on brise leur élan en les coupant de leurs bases pour mieux les détruire ensuite au moyen de contre-attaques. L'aviation est engagée pour combattre l'aviation ennemie et pour appuyer les troupes au sol. Le rapport contient en outre de précieuses indications sur les buts et les méthodes de la planification; il met l'accent sur les limites des possibilités et sur des lignes directrices qui tiennent compte de la survie nécessaire et de l'aptitude à intervenir en cas de catastrophes. Quant aux améliorations de la puissance de feu, il prévoit que l'armement atomique, tout en restant possible, n'est pas probable. Les bases financières de la planification, dont le chiffre de 8,3 milliards pour la période de 1965 à 1969 a été souvent mentionné, tiennent compte de l'augmentation du produit national; elles devraient entraîner des dépenses se situant autour de 30 % des dépenses totales de la Confédération, ce qui constitue une limitation extrêmement importante, compte tenu de l'accroissement des charges permanentes et des coûts de production.
L'accueil fait à ce rapport a été très favorable, de façon générale. Si des critiques ont été formulées par des groupes isolés, dont celui des partisans de la dissuasion au moyen d'armes atomiques [5], les commentaires ont plutôt mis l'accent sur l'aspect réaliste du rapport. Les débats qui ont eu lieu à ce sujet aux Chambres fédérales ont été empreints de la même satisfaction [6].
 
[1] Cf. Abend-Zeitung, 133, 10.6.66, et plus bas, p. 127.
[2] Cf. plus bas, p. 119 ss., ainsi que le rapport de la commission Jöhr, au chapitre des dépenses militaires (cf. plus bas, p. 57 s.).
[3] Rapport du Conseil fédéral concernant la conception de la défense nationale militaire, du 6 juin 1966 (FF, 1966, 1, p. 873 ss.).
[4] FF, 1960, II, p. 321.
[5] C'est le cas notamment de GUSTAV DÄNIKER, auteur de Strategie des Kleinstaates, Frauenfeld, 1966; cf. NZZ, 1464, 3.4.66; 3692, 3.9.66.
[6] Cf. Bull. stén. CN, 1966, p. 474; CE, 1966, p. 324.