Année politique Suisse 1967 : Grundlagen der Staatsordnung / Institutionen und Volksrechte
Parlement
Deux fois au cours de l'année, le Parlement s'exposa à de vives critiques. Dans les commissions où étaient examinés le projet de loi sur l'imposition du tabac et la révision de la loi sur le blé (égalisation des marges de mouture), la forte proportion de représentants d'intérêts particuliers fit resurgir avec acuité le vieux problème de l'influence des groupes de pression. On a été forcé de se demander si les Chambres fédérales étaient au service de l'intérêt général, ou si elles ne jouaient que le rôle de bourse des intérêts particuliers. Des commentaires tels que «... eine Hand wäscht die andere » ou encore « les lobbies à l'ouvrage » furent émis
[17], et même les journaux habitués à une certaine réserve jugèrent ces pratiques regrettables
[18]. Dans l'affaire du tabac, la commission du Conseil national parvint même à entraîner l'ensemble du Conseil à adopter une solution partiale; celle-ci fut néanmoins corrigée après coup, en raison de l'opposition extra-parlementaire qui se manifesta et de la décision contraire prise par le Conseil des Etats
[19]. C'était aller trop loin que de parler de corruption, mais on s'efforça par la suite d'éviter que de telles erreurs ne se reproduisent
[20]. Les Chambres s'attirèrent une seconde fois les critiques à cause de l'échec des réductions de subventions. On parla encore de Fronde organisée, et on douta de la volonté, de la capacité même du Parlement à s'opposer aux intérêts particuliers et à prétendre à la direction des affaires
[21].
De toutes parts, on regretta l'augmentation des mandats attribués à des parlementaires qui sont en fait des professionnels de la politique. Le conseiller aux Etats Zellweger renonça à une réélection en affirmant qu'il lui devenait impossible, à lui qui exerçait une profession libérale, d'assumer son mandat en toute responsabilité, à cause des charges que celui-ci comporte. Il plaida pour un parlement professionnel
[22]. Cette question a aussi été discutée ailleurs
[23].
L'extension du contrôle parlementaire de l'administration amena le Conseil fédéral à proposer, le 17 janvier, un projet de service de documentation pour les conseils législatifs, que les Chambres approuvèrent. Ce service aura pour tâche de conseiller les commissions et les parlementaires isolés sur des questions de droit et de fournir la documentation nécessaire
[24]. Parallèlement, les Chambres décidèrent de doter les commissions de gestion d'un secrétariat permanent
[25].
Les entreprises de réorganisation du Conseil fédéral et de revalorisation du Parlement sont les signes de la nécessité de réformer le système de gouvernement. Ce voeu de renouveau s'est concrétisé en 1967 dans les appels tendant à obtenir une conduite plus efficace des affaires par l'exécutif. C'est à bon droit qu'on parla d'une crise d'autorité du gouvernement après le rejet du programme fiscal immédiat
[26]. Les socialistes furent directement visés, qui furent accusés d'être les principaux responsables du rejet, et on posa la question des limites de la liberté d'action pour un parti représenté au Conseil fédéral. On estima que le « droit à l'opposition » ne pouvait appartenir à un parti gouvernemental que lorsqu'il s'agit de légiférer sur des objets « qui ne constituent pas un objectif fondamental de l'activité gouvernementale »
[27]. Le président du Parti socialiste, M. Grütter, répondit à cela en affirmant le droit moral qu'avait son parti de se livrer à une « opposition constructive » en refusant ce qui lui paraît vermoulu et inadéquat et en défendant une politique de planification face à l'indécision qui caractérise les partis bourgeois majoritaires au Conseil fédéral
[28]. Le conseiller national Leo Schürmann (ces, SO), estima pouvoir le mieux parer à cette crise d'autorité en proposant l'érection d'un programme de gouvernement. Sa motion, déposée le ler mars, visait, par une révision de la loi sur les rapports entre les conseils, à obliger le Conseil fédéral de présenter aux deux Chambres des lignes directrices pour la politique à suivre au début de chaque législature, ainsi qu'un rapport à leur fin. Elle fut approuvée par les deux Conseils, quoique sous une forme atténuée. Les débats qui se déroulèrent à ce sujet ne parvinrent pas à faire une lumière entière sur les objectifs de la réforme proposée, dont l'exposition différente dans le texte de la motion et dans le développement qu'en fit son auteur n'étaient pas limpides
[29].
Schürmann et certains de ses collègues de groupe voyaient dans ces lignes directrices la possibilité de lier les partis gouvernementaux en une manière de programme de coalition. Le président du groupe, Furgler (SG) affirma entre autres qu'un parti dont le groupe parlementaire refusait un régime financier qualifié de nécessité vitale devrait retirer ses représentants du Conseil fédéral
[30]. Le socialiste Max Weber (BE), dont la démission du Conseil fédéral, après que le peuple eut rejeté en 1953 le régime financier qu'il avait préparé et fait accepter au Conseil fédéral et au Parlement, avait été jugée en son temps comme non conforme au système, remarqua là-dessus qu'aucun parti et qu'aucun groupe ne s'était laissé lier jusqu'à maintenant par quelque ligne directrice que ce fût
[31]. Même le radical Th. Gut (ZH) fit remarquer que les partis cantonaux ne pourraient pas renoncer à leur liberté d'action à l'égard d'un programme gouvernemental fédéral
[32]. La contradiction se manifesta aussi dans une série d'articles consacrés à ce sujet par les « Basler Nachrichten », et dans laquelle s'exprimèrent des représentants de tous les partis à l'exception du PdT
[33].
Bien que le Conseil des Etats dit approuvé à son tour cette motion, à sa session de décembre, les débats qu'il y consacra démontrèrent à l'évidence qu'un programme formel de gouvernement, joint à une déclaration gouvernementale liant les partis représentés au Conseil fédéral, constituerait un corps étranger dans le système gouvernemental helvétique
[34]. Le Conseil fédéral, pour sa part, n'accepta la motion que sous une forme atténuée, dans le sens d'un ordre de priorités à établir afin d'avoir une meilleure vue d'ensemble des tâches futures, et sans obligation de rendre des comptes. En réalité, si l'on voulait se fixer sur l'interprétation qui prévoit un programme politique ferme, il faudrait encore examiner toute une série de problèmes auxquels on a fait allusion au cours des débats. Ainsi, la fonction plébiscitaire du référendum devrait faire l'objet d'un sérieux examen. En effet, quoique lés possibilités d'application du référendum soient plus faibles aujourd'hui qu'autrefois, celui-ci demeure le seul moyen classique de l'opposition dans le système gouvernemental suisse.
[17] Cf. NZ, 246, 1.6.67; Zürcher Woche, 23, 9.6.67.
[18] Cf. Ostschw., 139, 17.6.67; NZZ, 3816, 14.9.67.
[19] Voir plus bas, p. 65.
[20] Cf. Tat, 128, 2.6.67; selon A. Fisch, in BN, 262, 24.6.67, un conseiller aux Etats aurait déclaré qu'une association économique lui aurait offert 30 000 francs par an pour défendre ses intéréts. Voir aussi TdG, 299, 21.12.67.
[21] Cf. NZZ, 2319, 27.5.67; et plus bas, p. 62 s.
[23] Cf. Tat, 130, 5.6.67; NZZ, 2410, 2.6.67; GdL, 247, 23.10.67.
[24] Cf. FF, 1967, 1, p. 193 ss.; TdG, 21, 25.1.67; GdL, 20, 25.1.67; Vat., 20, 25.1.67; NZZ, 850, 28.2.67; Bund, 138, 5.5.67; NZZ, 1981, 5.5.67; Bull. stén. CN, 1967, p. 127 ss., 226 ss., 292; Bull. stén. CE, 1967, p. 14 ss., 28 ss., 158 s. et 219.
[25] Cf. Bull. stén. CE, 1967, p. 11 ss. et 57; Bull. stén. CN, 1967, p. 125 ss.
[26] Cf. plus bas, p. 64.
[27] Cf. NZZ, 1047, 10.3.67.
[28] FRITZ GRÜTTER, Konstruktive Opposition — Wille zum Aufbau, Referat am ausserordentlichen Parteitag der SPS vom 21. Mai 1967 in Zürich, Bern (1968).
[29] Cf. Vat., 55, 6.3.67; Ostschw., 54, 4.3.67; NZZ, 4050, 28.9.67 (débat au CN); Bull. stén. CE, 1967, p. 373 ss.
[30] Cf. NZZ, 4050, 28.9.67; JdG, 226, 28.9.67; 229, 2.10.67; GdL, 226, 28.9.67; Lib., 229, 2.10.67. Voir aussi GdL, 155, 6.7.67 et 167, 20.7.67.
[31] En plus des sources citées à la note précédente, voir Weltwoche, 1709, 6.10.67; BN, 414, 30.9.67. Weber s'opposa à la motion, qui ne fut acceptée par le CN que par 58 voix contre 41.
[32] Cf. NZZ, 4229, 9.10.67.
[33] BN, 394, 398, 402, 407, 413, 416, 424, 436, du 18.9. au 14.10.67.
[34] Cf. NZZ, 5390, 13.12.67; BN, 531, 14.12.67 (motion sans engagements) et Bull. stén. CE, 1967, p. 373 ss.
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