Année politique Suisse 1967 : Grundlagen der Staatsordnung / Institutionen und Volksrechte
 
Droits populaires
Poser le problème de la limitation de l'emploi du référendum, constater que celui-ci est utilisé de plus en plus comme moyen de pression destiné à forcer le compromis avant la décision parlementaire [35], c'est aborder du même coup la question de l'opposition dans son ensemble, de sa signification et de ses moyens d'action. Plus l'opposition est réduite à s'affirmer par des canaux imposés, plus les appels tendant à créer une opposition extra-parlementaire se multiplient, à l'étranger comme en Suisse. Les « non-conformistes » situés à l'extérieur de 1'« establishment» se sont efforcés d'accroître l'écho de leurs critiques. Des partis, telle l'Alliance des Indépendants, ont fait de l'opposition leur principale arme électorale [36]. Certains organes de presse, en particulier ceux qui font partie en Suisse allemande de la «blaue Presse », revendiquèrent pour eux la fonction d'opposition destinée à remplacer une opposition parlementaire inexistante. Cependant, les limites de l'action d'une presse indépendante ont été abondamment mises en lumière par les modifications alarmantes de structures survenues dans le monde des journaux, ce dont nous parlons ailleurs [37]. L'un des représentants les plus en vue de l'opposition indépendante des partis, Rolf Bigler, rédacteur en chef de la «Weltwoche», fut congédié après que la majorité des actions de cet hebdomadaire eurent passé aux mains du groupe Ringier et Frey et que celui-ci eut refusé d'admettre que son rédacteur en chef, déjà discuté, entrât dans la politique active comme candidat socialiste au Conseil des Etats [38]. Le conseiller national Th. Gut fit remarquer alors que l'opposition, dans la démocratie référendaire suisse, et particulièrement aux niveaux local et cantonal, se manifeste ou disparaît selon qu'une presse locale viable au point de vue économique se maintient ou non. La liberté de celle-ci dépendrait pour l'essentiel de la mesure dans laquelle sa part de gâteau aux annonces publicitaires ne lui serait pas dérobée par la croissance de monopoles dans ce secteur [39]. Il ne faut pas négliger le fait, toutefois, que cette presse pourrait d'abord améliorer sa rentabilité à l'aide de réformes techniques [40].
Tant que les propriétaires de la presse indépendante l'estiment opportun et, bien sûr, rentable, ils continuent de remplir par elle la fonction de l'opposition. Ainsi, la « Weltwoche », sous son nouveau rédacteur en chef A. E. Hohler, se définit encore comme un organe d'opposition et ouvre volontiers ses colonnes à un écrivain engagé dans l'opposition comme Max Frisch [41]. La « National-Zeitung » publia en 1967 une série d'interviews de personnalités indépendantes, qui peut représenter en quelque sorte un manifeste de l'opposition extra-parlementaire [42]. La revue «Neutralität » considère sa mission comme celle d'être le forum de ces manifestations [43]. En Suisse romande, la presse conventionnelle, plus coutumière de l'opposition à cause de la situation minoritaire des francophones, canalise celle-ci, quoique des signes inquiétants de violence se soient manifestés au cours de 1967 [44]. Ailleurs, les critiques souvent reconnaissent que les sujets à critiquer sont difficiles à saisir. Consciemment ou inconsciemment, ils paraissent illustrer la théorie pessimiste de H. Marcuse sur la « société répressive », d'après laquelle l'homme qui se sent opprimé doit se soulever contre l'ordre établi sans savoir exactement ce qu'il nie en celui-ci. C'est ce qui explique à maints égards aussi le développement de groupes oppositionnels d'étudiants, dans la mesure où ceux-ci combattent les fondements des structures d'autorité dans la société et dans l'université [45], ou bien — là encore en accord avec Marcuse — se solidarisent par leurs démonstrations contre la guerre du Vietnam avec les peuples « opprimés par le capitalisme mondial » [46]. L'une des caractéristiques de l'opposition extra-parlementaire dans son ensemble réside dans le fort élément émotionnel qu'elle comporte. Celui-ci se manifeste — sous une forme plus différenciée — également dans l'opposition menée par le séparatisme jurassien.
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E.G. / F.K.
 
[35] Cf. GERHARD KOCHER, Verbandseinfluss auf die Gesetzgebung, Bern 1967, S. 186 fl.
[36] Cf. plus bas, p. 20, 25 et 155.
[37] Cf. plus bas, p. 130.
[38] Cf. Bund, 334, 21.12 67; NZ, 596, 24.12.67; 5, 4.1.68; NZZ, 5514, 22.12.67; Tw, 300, 22.12.67; GdL, 299, 22.12.67. Voir aussi plus bas, p. 21.
[39] Cf. Ex Libris, 1, Januar 1968, S. 9 ff.; NZZ, 4703, 5.11.67.
[40] Cf. J. JÄGER, Das Bild der Schweizer Presse, Bern 1967, S. 54 ff.
[41] Cf. Weltwoche, 1796, 11.4.68.
[42] Cf. NZ, 452, 1.10.67; 464, 8.10.67; 488, 22.10.67; 500, 29.10.67; 512, 5.11.67; (conversations de Mario Cortesi avec K. Marti, A. Rasser, R. Brodmann, W. M. Diggelmann, H. R. Hilty).
[43] Revue bimestrielle paraissant depuis 5 ans en 1967, dont l'équipe rédactionnelle est très large, comprenant, outre des personnalités citées dans la note précédente, des noms comme Friedrich Dürrenmatt, Hans Fleig, Konrad Farner et Otto F. Walter.
[44] Cf. NZZ, 2489, 7.6.67.
[45] Voir plus bas, p. 122.
[46] Voir plus bas, p. 32.