Année politique Suisse 1967 : Allgemeine Chronik / Schweizerische Aussenpolitik
 
ONU
La question de l'adhésion de la Suisse aux Nations Unies a continué de faire l'objet de discussions, qui ont été liées souvent à l'affaire de Rhodésie et au conflit du Moyen-Orient. Le problème du maintien de la neutralité, celui de l'application des sanctions obligatoires, ainsi que le principe même de l'utilité d'une adhésion ont été au centre des débats, qui ont été moins sereins que l'année précédente. Si les partisans de l'adhésion ont poursuivi leur campagne, faisant valoir notamment que l'ONU contraignait la Suisse à se définir par rapport à elle [15], de larges milieux ont demandé aux autorités de faire étudier les points litigieux et de préciser leur attitude: un postulat Bretscher (rad., ZH) et une interpellation Schmitt (rad., GE) ont conduit M. Spühler à promettre une étude au nom du Conseil fédéral, qui porterait sur les implications d'une adhésion pour la Suisse et sur les moyens de sauvegarder la neutralité [16]. Toutefois, de nombreuses prises de position ont manifesté une hostilité accentuée à l'adhésion, pour des raisons de principe souvent, mais aussi sous l'effet des déboires de l'ONU au Moyen-Orient [17]. Peu de nouveaux arguments ont été apportés au débat, mais des précisions importantes, telle celle qui fait de la politique étrangère de la Suisse un principe autonome face à l'ONU, un principe qui n'a pas à se réclamer de la neutralité envers l'organisation, mais qui agit en dehors de celle-ci dans les directions qui lui conviennent [18]. Une enquête de l'Union européenne auprès des candidats aux élections au Conseil national a donné une majorité de réponses favorables à l'entrée à l'ONU [19], ce qui, du moment qu'il s'agit d'une élite politique, ne doit pas donner lieu à des généralisations trop rapides.
L'extension des relations avec la grande organisation mondiale a été l'objet d'autres propositions, dont celle touchant aux « casques bleus » et celle relevant de la non-prolifération des armes nucléaires. L'idée de mettre à disposition de l'ONU, pour ses tâches de maintien de la paix, un contingent de casques bleus, avait fait couler beaucoup d'encre en 1966, et entraîné des discussions au sein de l'administration fédérale [20]. Le retrait des troupes destinées à neutraliser la frontière israélo-égyptienne en mai n'a certes pas contribué à favoriser le développement de cette proposition, qui a subi une sorte de mutation en cours d'année, sous l'impulsion de l'ancien conseiller fédéral Petitpierre [21] et du conseiller national Furgler (ccs., SG). En proposant la création d'un corps de volontaires non armés, destiné à intervenir en cas de catastrophe aussi bien à l'intérieur du pays qu'à l'étranger, ce dernier tenait compte des objections formulées à cause du système de milices et de la nécessité de ne pas entraver l'action humanitaire du CICR, par exemple [22]. Par voie de motion, il demanda au Conseil fédéral de faire rapport à ce sujet avant la fin de 1968. La motion fut acceptée par M. Celio et votée par le Conseil national [23]. Le Conseil fédéral et l'administration ne paraissaient pourtant pas très enthousiastes, pour des raisons pratiques d'abord [24]. Pour certains groupes, la proposition Furgler semble cependant constituer une manière de faire un geste politique à l'égard de la communauté internationale et contribuer ainsi à «activer» la politique étrangère [25]. Le rapport demandé au Conseil fédéral au sujet de l'ONU par le postulat Bretscher doit pour sa part contenir des indications sur le problème des « casques bleus » armés.
La Suisse a signé l'accord international sur l'utilisation pacifique de l'espace extraatmosphérique adopté par l'Assemblée générale de l'ONU [26]. Dans le même domaine du désarmement, elle a suivi avec grande attention les travaux de la Conférence de Genève. Les projets de traité sur la non-dissémination des armes atomiques ont été étudiés avec beaucoup de sérieux: une adhésion de la Suisse au traité entraînerait l'abandon définitif des possibilités d'équiper l'armée de moyens nucléaires, éventualité qui a été par deux fois réservée par le peuple souverain. Par ailleurs, on a craint que des entraves considérables pourraient être ainsi apportées au développement de l'utilisation pacifique de l'énergie atomique. Mais, et c'est là un argument politique de taille, la Suisse, qui tient à contribuer au maintien de la paix, serait moralement contrainte à adhérer au traité si un très grand nombre d'Etats le signaient même si les puissances nucléaires ne fournissaient pas de contreprestations adéquates. Défendu une première fois dans ses grandes lignes devant les délégués à la Conférence par le conseiller fédéral Spühler en mai [27], le point de vue helvétique a été réétudié après la publication, en août, d'un projet élaboré par les USA et l'URSS [28]. Le Conseil fédéral a fait remettre, le 17 novembre, un aide-mémoire aux coprésidents de la Conférence, dans lequel, tout en adoptant une attitude très positive, il émettait des voeux touchant aux modalités du contrôle envisagé, aux contre-prestations à exiger des Etats nucléaires, à la durée du traité, à la limitation générale des armements nucléaires et à l'universalité du traité. Il s'agit d'éviter que le contrôle ne soit prétexte à espionnage économique, d'inviter les Etats. nucléaires à fournir aux autres des informations sur l'utilisation pacifique d'expériences faites dans le développement d'armes, d'obtenir de ceux-ci qu'ils fassent de réels efforts dans la limitation des armements nucléaires et à cet effet de limiter la durée du traité afin de permettre un nouvel examen à plus ou moins brève échéance, d'exiger enfin des Etats nucléaires qu'ils s'abstiennent d'exercer un chantage atomique sur les autres; la condition d'universalité implique pour la Suisse que la plupart des pays industrialisés signent le traité [29]. Cette prise de position a été bien accueillie par la Conférence et les puissances dont la situation est analogue dans ce domaine à celle de la Suisse [30]. Dans le pays, elle a rassuré la plupart des observateurs [31]. Une interpellation Binder (ces., AG), au Conseil national, a permis encore à M. Spühler de préciser l'attitude du gouvernement devant le projet de traité et le problème de l'armement nucléaire; le Conseil fédéral considère le traité comme souhaitable s'il est efficace et universel [32].
Sur le plan de la politique mondiale, il convient encore de signaler le soutien continu accordé aux Nations Unies dans leur action pour le maintien de la paix. Si, en 1966, des doutes avaient été émis sur la poursuite de l'aide helvétique à l'entreprise des Nations Unies à Chypre, en 1967, par deux fois, le Conseil fédéral a versé 200 000 dollars, portant ainsi sa contribution totale à 895 000 dollars [33], ce qui reste encore inférieur à l'effort d'autres petits pays européens. De même, la Suisse a mis plusieurs personnalités à disposition de l'organisation mondiale pour le règlement du conflit israélo-arabe, dont le ministre E. Thalmann qui représenta U Thant à Jérusalem [34]. Elle a accordé la disposition d'un avion pendant un an au corps des observateurs du cessez-le-feu [35]. Dans l'affaire de la Rhodésie, le Conseil fédéral, mis en demeure par l'ONU d'appliquer les sanctions économiques, s'est refusé à obtempérer: il a poursuivi néanmoins, à l'égard de l'Organisation, une politique autonome de sanctions pratiquement conforme aux buts fixés par l'Assemblée générale. Les mesures décidées le 17 décembre 1965 ont été renforcées légèrement le IO février 1967, par l'extension du calcul du «courant normal » pour les échanges à la moyenne des trois dernières années; le régime des autorisations a été maintenu, de même que l'interdiction d'exporter des armes et le blocage des fonds de la « Reserve Bank » [36]. Cette manière de faire, où les considérations d'indépendance ont primé sur la politique de neutralité, a d'ailleurs été plus loin dans le sens de ce que désirait l'ONU que l'application même des sanctions par les membres de l'Organisation [37].
La participation de la Suisse aux autres organisations mondiales n'a pas été discutée, sinon à propos d'une adhésion éventuelle au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale [38]. La fondation d'une nouvelle Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, destinée à remplacer les unions découlant des traités de Paris et de Berne, a ôté au Conseil fédéral la haute surveillance des Bureaux internationaux réunis [39]. Le Conseil du commerce et du développement a appelé M. Jolies, directeur de la Division du commerce, à sa présidence, et M. Olivier Long, ambassadeur à Londres, a été nommé directeur général du GATT. Le soutien de la Suisse aux organisations internationales s'est concrétisé encore par l'octroi de nouveaux prêts à l'Union postale universelle (19,5 millions) et à la FIPOI [40], à Genève, (91,5 millions) pour l'agrandissement du Palais des Nations et d'autres projets dépendant de l'Organisation météorologique mondiale et de l'Union internationale des télécommunications [41]. Le nouveau prêt a donné lieu à des études poussées, de la part du DPF et des milieux intéressés, sur la situation des organisations internationales à Genève, en vue de développer la collaboration entre les autorités fédérales et cantonales et les organisations, en vue de mettre au net aussi les conséquences de l'exonération fiscale des fonctionnaires sur les finances genevoises; une tentative, avortée, d'initiative tendant à soumettre au référendum populaire toute transaction immobilière avec les organisations internationales, une campagne d'opinion exagérant le manque à gagner fiscal avaient montré que les esprits n'étaient pas calmés à Genève [42]. La possibilité de décharger Genève sur Lausanne a été encore évoquée, avec l'accord des autorités concernées.
 
[15] Cf. APS, 1966, p. 25 s.; Weltwoche, 1730, 6.1.67; NZ, 240, 29.5.67.
[16] Séances du CN, les 14 et 15 juin, cf. NZZ, 2598, 14.6.67; 2613, 15.6.67; Vat., 138, 17.6.67; Tat, 140, 16.6.67; GdL, 138, 16.6.67; 140, 19.6.67; JdG, 140, 19.6.67; Tw, 138, 16.6.67; Bund, 174, 18.6.67.
[17] Positions hostiles du PAB suisse in NBZ, 12, 16.1.67; 52, 3.3.67; 134, 12.6.67; du Parti démocrate, Lb, 235, 9.10.67; voir aussi Zürcher Woche, 5, 3.2.67; Tat, 47, 25.2.67; BN, 229, 3.6.67; GdL, 41, 18.2.67; 48, 27.2.67, etc. Le Parti conservateur chrétien-social est pour l'étude du problème simplement; JdG, 158, 10.7.67.
[18] Cf. le très important article du prof. P. Guggenheim in NZZ, 1516, 9.4.67.
[19] 259 candidats interrogés se prononcent pour l'entrée à l'ONU, 195 contre. Sur cette enquête, voir plus bas p. 38 s.
[20] Cf. APS, 1966, p. 27 s.
[21] ibid. et NZZ, 523, 8.2.67.
[22] Cf. Schweizer Rundschau, 66/1967, Nr 4/5, April/Mai.
[23] Séance du 4 octobre 1967. — Cf. Bull: stén. CN, 1967, 495. La motion a été acceptée par le CE le 5 décembre.
[24] Cf. NZ, 459, 5.10.67; Weltwoche, 1768, 29.9.67; JdG, 248, 23.10.67. — La plus grosse difficulté semble être de trouver des volontaires. Voir aussi l'opinion du ministre Bindschedler in NZZ, 403, 30.1.67.
[25] Cf. NBZ, 68, 22.3.67; 134, 12.6.67; GdL, 48, 27.2.67; 235, 9.10.67; TdG, 248, 23.10.67.
[26] Cf. TdG, 24, 28.1.67; GdL, 23, 28.1.67; NZZ, 369, 28.1.67.
[27] Cf. NZZ, 2354, 30.5.67; PS, 120, 30.5.67; Vat., 121, 30.5.67; JdG, 123, 30.5.67.
[28] Cf. NZ, 398, 30.8.67; NZZ, 3525, 27.8.67.
[29] Texte de l'aide-mémoire in JdG, 271, 20.11.67; NZZ, 4954, 20.11.67.
[30] Cf. NZZ, 5119, 29.11.67; 5472, 19.12.67.
[31] Cf. NZZ, 4938, 19.11.67; NZ, 537, 20.11.67: JdG, 270, 18.11.67; Weltwoche, 1776, 24.11.67; 1777, 1.12.67. Voir en outre: GdL, 42, 20.2.67; Tw, 133, 10.6.67; NZZ, 1026, 10.3.67; 1099, 14.3.67.
[32] Séance du 18 décembre; le conseiller fédéral Spühler y a déclaré en substance que dans l'état actuel de la science et de la stratégie nucléaires, il ne semble pas que la Suisse pourrait sensiblement améliorer sa défense nationale en s'équipant d'armes atomiques. Cf. Bull. stén. CN, 1967, p. 593 ss., ainsi que Lib., 294, 19.12.67; Ostschw., 293, 19.12.67; NZ, 588, 19.12.67; JdG, 296, 19.12.67.
[33] Cf. GdL, 35, 11.2.67; 234, 7.10.67; JdG, 37, 14.2.67; NZ, 70, 11.2.67; NZZ, 4194, 6.10.67.
[34] Cf. NZZ, 3348, 12.8.67; 3385, 16.8.67; 3897, 19.9.67; 4076, 29.9.67; GdL, 190, 16.8.67; JdG, 190, 16.8.67; Lb, 191, 18.8.67; Weltwoche, 1762, 18.8.67.
[35] Cf. NZZ, 4076, 29.9.67.
[36] Cf. APS, 1966, p. 30 s.; RO, 1967, p. 209 s. ; NZZ, 617, 622, 627, 14.2.67; Vat., 41, 18.2.67; JdG, 37, 14.2.67. — Voir aussi PS, 2, 4.1.67; Vat., 11, 14.1.67; NBZ, 12, 16.1.67; NZZ, 200, 17.1.67; GdL, 24, 30.1.67.
[37] Cf. GdL, 49, 28.2.67; 134, 12.6.67. Voir aussi NZZ, 1516, 9.4.67. Une interprétation différente est donnée dans PS, 164, 20.7.67. De très importantes nations commerçantes n'appliquent aucune sanction.
[38] Cf. plus bas, p. 42.
[39] Cf. NZZ, 3099, 19.7.67.
[40] Fondation immobilière pour les organisations internationales.
[41] Message in FF, 1967, I, p. 1141 ss. ; séances du CE du 19 septembre, in NZZ, 3904, 19.9.67, du CN du 19 décembre, in NZZ, 5484, 19.12:67; cf. aussi FF, 1968, I, p. 25. Sur les 91,5 millions accordés à la FIPOL, 4 millions sont destinés à l'ONU à fonds perdu. La FIPOI serait ainsi pourvue pour cinq ans.
[42] Cf. NZZ, 2504, 8.6.67; 2806, 27.6.67; 4555, 27.10.67; JdG, 147, 27.6.67; 251, 27.10.67; TdG, 131, 7.6.67; 183, 7.8.67; etc. — Sur les oppositions genevoises, voir en outre JdG, 75, 1.4.67; 81, 8.4.67.