Année politique Suisse 1968 : Grundlagen der Staatsordnung / Institutionen und Volksrechte
Gouvernement
Le Conseil fédéral, en acceptant, sous réserve il est vrai, la motion Schürmann (ccs., SO) en 1967
[1], avait admis en principe
d'établir un catalogue des tâches à accomplir au cours de la législature, ainsi que des priorités. Ce catalogue a ouvert des perspectives nouvelles à l'action gouvernementale, en contraignant le collège directeur et exécutif de la Confédération, sans attendre la revision préconisée de la loi sur les rapports entre les conseils, à examiner l'ensemble de son activité, à mieux coordonner ses travaux et ceux de l'administration. Les choix politiques que cet examen supposait ont été cependant limités, dans la mesure où le programme établi ne constitue pas, formellement, selon ses auteurs, la base d'un contrat de législature engageant la responsabilité du Conseil fédéral à l'égard des Chambres, ni la liberté d'action des partis dits gouvernementaux dans leurs rapports réciproques au sein du Conseil fédéral, au parlement ou devant le peuple. Le rapport sur les grandes lignes de la politique gouvernementale, du 15 mai 1968
[2], a fait l'objet d'une préparation détaillée et de nombreuses discussions au sein du Conseil fédéral. Celui-ci n'a consulté les partis politiques qu'à propos de la politique financière et de la loi sur la Banque nationale
[3]; un minimum d'accord lui semblait en effet souhaitable sur un sujet qu'il considère comme central. Lors de la publication du programme, les observateurs y ont reconnu le fruit positif d'un travail véritablement collégial; mais, malgré les précautions prises par le Conseil fédéral pour en indiquer les limites
[4], certains d'entre eux ont marqué de la déception, due essentiellement au fait qu'ils attendaient plus, qu'ils trouvaient trop vagues les formulations touchant aux priorités, qu'ils découvraient des lacunes
[5]. Après une introduction et un chapitre consacré au rappel des objectifs généraux de la politique gouvernementale, tels qu'ils sont fixés à l'art. 2 de la Constitution fédérale, le rapport passe en revue les divers aspects de cette politique. Il se conclut par des considérations sur les priorités à établir
[6], qui mettent l'accent sur le maintien des obligations constitutionnelles et la sauvegarde des libertés individuelles, une politique d'équilibre financier, le renforcement des moyens d'action de la Banque nationale, la libéralisation des échanges commerciaux, la stabilisation des effectifs de la main-d'oeuvre étrangère, l'amélioration des structures de production agricoles, une politique active du logement, une politique nationale de l'enseignement et de la recherche, la réforme du droit foncier et l'aménagement du territoire, une politique générale des transports, des mesures actives dans le domaine de la santé publique et dans celui de l'aide à la vieillesse. Ces différents problèmes feront l'objet d'une analyse plus détaillée dans les chapitres qui suivent. Le Conseil fédéral insiste encore sur l'information, la collaboration de tous les milieux, le maintien de la capacité de concurrence de l'économie, le partage équitable des fruits de la prospérité entre tous les groupes sociaux, les possibilités d'épanouissement à garantir aux citoyens et aux collectivités, la sauvegarde enfin du prestige de la Suisse dans un monde dont elle est solidaire.
Le rapport constitue une déclaration unilatérale, et le Conseil fédéral a pris soin de justifier ce point de vue en s'appuyant sur la Constitution qui fait de lui l'autorité directoriale de la Confédération. « C'est à lui qu'il appartient de déterminer la politique du gouvernement. Ni les décisions du Conseil fédéral, ni les plans d'action qu'il élabore ne requièrent la sanction préalable des Chambres fédérales. » Il ne saurait donc être question de responsabilité juridique devant les Chambres, auxquelles le rapport doit servir uniquement à faciliter le contrôle qu'elles exercent
[7]. Cependant, en publiant le rapport, en le soumettant aux Chambres en vue d'un débat général sans vote, le Conseil fédéral a jugé utile d'associer celles-ci à son travail et a pris une manière d'engagement moral à leur égard. Le Président de la Confédération, M. Sptlhler, en introduisant et en concluant les débats, a mentionné en outre l'intention du Conseil fédéral de présenter un rapport d'exécution à la fin de la législature, sous une forme encore à déterminer. Il a ajouté que le programme présenté était aussi une invitation aux partis représentés au gouvernement à conclure des accords entre eux
[8]. Au Conseil national, le président du groupe radical a pour sa part réclamé un accord formel sur un programme minimum entre les partis gouvernementaux, celui du groupe conservateur a insisté sur l'engagement moral pris tacitement par les partis à aider le Conseil fédéral à réaliser son programme, celui des agrariens, en annonçant l'engagement de son parti, a souhaité aussi un accord étendu sur les objectifs généraux
[9]: ces nuances n'ont pas levé l'équivoque mentionnée lors des délibérations sur la motion Schürmann
[10]. Le président du groupe socialiste, pour sa part, a souligné le droit qu'avait son parti de décider de participer au gouvernement tout en gardant sa fidélité à ses idées, aux objectifs qu'il a poursuivis, ainsi que sa liberté de comportement face aux propositions gouvernementales; ce droit ne serait pas un privilège, du moment qu'il est reconnu aux autres partis et, selon l'orateur, pratiqué par eux
[11]. Le porte-parole des Indépendants s'en est pris au principe de la déclaration unilatérale et aux dangers de l'affirmation absolue, comme les députés déjà mentionnés l'avaient du reste fait pour leur part, des pouvoirs « directeurs » du Conseil fédéral. Sa proposition de renvoi au gouvernement avec l'obligation pour celui-ci de présenter un rapport dont les conclusions seraient soumises à la décision du parlement, afin d'associer celui-ci à l'établissement des priorités, fut repoussée par 133 voix contre 19
[12]. Ces interventions ont mis en lumière la difficulté qui existe à vouloir concilier les exigences des mutations rapides auxquelles la Suisse est soumise avec le système en vigueur, qui éparpille les responsabilités gouvernementales entre des partenaires qui ne peuvent s'engager à fond, de crainte d'être lâchés par leurs commettants
[13]. Il faut rapprocher cette remarque de la constatation que fait le Conseil fédéral dans son rapport lorsqu'il écrit à propos des associations que le déplacement vers celles-ci de son autorité, ainsi que de celle du parlement, est déjà intervenu en partie, avec pour corollaire l'accroissement du risque de voir les intérêts particuliers l'emporter sur les exigences du bien public
[14]. On ne peut par conséquent s'empêcher de mesurer les limites des fonctions « directoriales » du Conseil fédéral à la faiblesse des corps intermédiaires : si les partis sont déjà peu en mesure de s'engager, les associations, dont le rôle effectif dans la législation, soit au stade de l'élaboration, soit à celui de l'exécution, n'est plus à démontrer, souffrent de défauts analogues qui les rendent plus représentatives de courants d'intértts ou d'idées que porte-paroles de groupes dont l'influence pourrait se réduire en rapports numériques.
Le Conseil fédéral a eu aussi à se pencher sur ses
méthodes de travail. Après la roquade décidée à fin 1967, qui avait placé M. Gnägi à la tete du DMF, M. Celio à celle du DFFD et M. Bonvin à celle du DFTCE, mais avec effet au 1er juillet pour permettre l'achèvement des tâches en cours et notamment l'élaboration du rapport sur les grandes lignes, des critiques ont été émises, soit à cause des sacrifices imposés à l'un ou l'autre des conseillers touchés, soit à cause de la longueur de l'interrègne; rien n'est venu après coup étayer ces critiques, sinon les divergences de vues concernant le programme financier intérimaire
[15]. La publication du « Rapport Hongler », demandé par le Conseil fédéral à la suite des postulats Borel (rad., GE), Chevallaz (rad., VD) et Schmitt (rad., GE) de 1964 et 1965
[16], après la nomination d'un nouveau Chancelier
[17], a relancé le débat sur la réforme des méthodes gouvernementales. Alors que le rapport mettait l'accent sur les mesures destinées à renforcer le travail collégial, par une meilleure répartition de l'emploi du temps des c9nseillers fédéraux, par une plus large délégation de compétences et par l'introduction éventuelle de conseillers spéciaux, le Conseil fédéral a préféré s'atteler d'abord à la Chancellerie pour faire de celle-ci un état-major de coordination. Diverses mesures d'organisation ont été prises au cours de l'année. Parmi celles-ci, retenons la réorganisation interne de la Chancellerie
[18], les directives sur les consultations inter-départementales
[19], le mandat donné à la Chancellerie de contrôler l'exécution du rapport sur les grandes lignes
[20], la revision opérée par le Conseil fédéral de son arrété du 17 novembre 1914 sur les compétences en vue de renforcer les délégations
[21]. Il faut enfin faire une mention spéciale de la revision entreprise de la loi de 1914 sur les attributions, qui touche à toute l'organisation de l'administration
[22].
Alors que la Chancellerie réorganisée s'adjoignait un service central de traduction qui devrait permettre un meilleur équilibre des rédactions en allemand et dans les langues minoritaires, des problèmes se sont posés au sujet de la représentation des minoritaires dans les postes supérieurs de l'administration et de l'emploi de ceux-ci à des tâches plus largement créatrices. Malgré l'interpellation Reverdin (lib., GE) et la réponse jugée satisfaisante donnée par le Président de la Confédération
[23], malgré aussi l'intervention en italien de M. Franzoni (ces, TI) lors du débat sur les grandes lignes
[24], des incidents ont eu lieu au cours de l'année, qui ont entraîné une mauvaise humeur certaine dans les minorités linguistiques
[25].
[1] Cf. APS, 1967, p. 12 s.
[2] Cf. FF, 1968, I, p. 1221 ss.
[3] Cf. plus bas, p. 60 et 67 s.
[4] Cf. notamment les déclarations de M. Spühler le 20 mai, lors de la conférence de presse accompagnant la publication du rapport, in Bund, 118, 21.5.68, et l'introduction de celui-ci.
[5] Cf. NZ, 231, 21.5.68; 237, 26.5.68; Lb, 118, 21.5.68; 120, 24.5.68; Lib, 120, 24.5.68. — L'organe des Indépendants critiqua quant à lui tout le rapport, seul à le faire parmi les journaux consultés: cf. Tat, 118, 21.5.68; 122, 25.5.68.
[6] Cf. FF, 1968, I, p. 1262 ss.
[8] Cf. Bull. stén. CN, 1968, p. 236 s. et 308 s.; Bull. stén. CE, 1968, p. 163 et 181.
[9] Cf. Intervention des CN Weber (rad., UR), Furgler (ces, SG), Tschanz (PAB, BE) in Bull. stén. CN, 1968, p. 244, 249 et 252. Sur les positions des partis politiques en général, cf. APS, 1966, p. 149; 1967, p. 149 ss.
[10] Cf. APS, 1967, p.12 s.
[11] Intervention du CN Graber (soc., VD), qui s'appuie sur un rapport approuvé par le Congrès du Parti socialiste suisse en 1966, in Bull. stén. CN, 1968, p. 244 ss. — Voir aussi APS, 1967, p. 12 et 153.
[12] Intervention du CN König (ind., ZH) in Bull. stén. CN, 1968, p. 254 ss.
[13] C'est le sens notamment de l'intervention du CN Reverdin (lib., GE), in Bull. stén. CN, 1968, p. 259.
[14] Cf. FF, 1968, I, p. 1235 s. — Commentaires sur les débats, in Vr, 144, 22.6.68; Bund, 144, 23.6.68; Ostschw., 144, 22.6.68; NZZ, 378, 23.6.68; JdG, 145, 24.6.68.
[15] Cf. plus bas, p. 67; sur les critiques, cf. Vat., 1, 2.1.68; Lib., 1, 3.1.68 ; Ostschw., 3, 4.1.68; 11, 13.1.68; NBZ, 1, 3.1.68; JdG, 2, 4.1.68; Bund, 6, 9.1.68; GdL, 8, 11.1.68; Domaine public, 85, 18.1.68. La presse proche des milieux radicaux, socialistes et indépendants a, pour sa part, commenté la roquade très favorablement; cf. encore APS, 1967, p. 11.
[16] Rapport d'experts sur les améliorations d apporter d la conduite des affaires gouvernementales et de l'administration par le Conseil fédéral (Rapport Hongler), Berne, novembre 1967, ronéoté. Cf. aussi Ostschw., 40, 16.2.68; Tat, 39, 16.2.68; Vat., 40, 16.2.68; NZZ, 89, 22.2.68; NZ, 89, 22.2.68; GdL, 39, 16.2.68; JdG, 39, 16.2.68; 41, 19.2.68; TdG, 40, 16.2.68. Voir aussi APS, 1965, in ASSP, 6/1966, p. 143.
[18] Cf. GdL, 4, 8.1.68; 8, 11.1.68; NZ, 41, 25.1.68. Voir Rapp. gest. 1968, p. 3 ss.
[19] Directives du 1er avril 1968, mentionnées dans le rapport présenté par le vice-chancelier Buser à l'Association suisse de science politique le 1er mars 1969: Die Rolle der Verwaltung und der Interessengruppen im Entscheidungsprozess in der Schweiz, ronéoté.
[20] Cf. TdG, 295, 16.12.68 (interview du chancelier Huber).
[21] Il s'est agi d'un transfert de compétences, dans 34 cas du Conseil fédéral aux chefs de départements, dans 84 autres des chefs de départements aux directeurs administratifs. Cf. RO, 1969, p. 81 ss. ainsi que NZZ, 795, 24.12.68; GdL, 301, 24.12.68.
[22] Décision du 16 octobre 1968, créant une commission d'experts chargée de préparer la révision de la loi fédérale du 26 mars 1914, sous la présidence du chancelier Huber. Cf. Bund, 244, 17.10.68; GdL, 243, 17.10.68; NZZ, 720, 20.11.68.
[23] Cf. Délib. Ass. féd., 1968, II, p. 47 s., et NZZ, 358, 13.6.68 et 359, 14.6.68.
[24] Cf. Bull. stén. CN, 1968, p. 260 ss.
[25] Nomination de M. Redli à la tête des PTT et éviction de M. Ducommun, cf. plus bas, p. 67 et 93, et TdL, 102, 11.4.68;187,5.7.68; GdL, 89,17.4.68 ; 150,29.6.68 ;154, 4.7.68;156, 6.7.68; 163, 15.7.68; JdG, 154, 4.7.68; 167, 19.7.68; TdG, 157, 6.7.68; 161, 11.7.68; PS, 152, 5.7.68; 157, 11.7.68; Lib., 157, 9.7.68; NZ, 305, 5.7.68; NZZ, 422, 11.7.68; Bund, 161, 12.7.68; Lb, 158, 9.7.68; 159, 10.7.68. — Nomination d'une commission fédérale chargée d'estimer les exigences attachées aux fonctions supérieures dans l'administration, sans commissaires romands ou tessinois; cf. PS, 298, 27.12.68. Selon M. Riesen (soc., FR) qui intervint auprès du Conseil fédéral à ce sujet, sur quelque 80 fonctionnaires directement subordonnés aux chefs de département, seuls 6 sont romands ou tessinois.
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