Année politique Suisse 1968 : Allgemeine Chronik / Schweizerische Aussenpolitik
Aide au développement
L'aide au développement constitue, en raison même de l'importance croissante du tiers monde, un volet essentiel de l'activité politique suisse. Elle a été caractétérisée en 1968 par une espèce de crise et par une prise de conscience plus forte, en tout cas dans les milieux responsables, de la communauté de destin liant pays en développement et pays industrialisés; la mauvaise conscience qui servait de mobile essentiel à une aide reposant sur la charité semble devoir faire place progressivement à la volonté de résoudre les problèmes en commun par des efforts de longue haleine
[82]. On a aussi remarqué que les difficultés monétaires de certains pays industrialisés, comme l'attitude de divers pays en développement, trop enclins aux dépenses de prestige et aux aventures politiques, ralentissaient ces efforts et éloignaient la solution
[83]. Dans son rapport sur les « grandes lignes », le Conseil fédéral n'a pas mis particulièrement l'accent sur cette forme d'activité, que M. Spühler a pourtant soulignée en introduisant le débat
[84]. Les thèses du Parti radical sont presque muettes à cet égard
[85]. Mais, face à ces attitudes qui paraissent indiquer l'approbation d'une évidence sans problèmes, il faut mentionner la création d'un groupe parlementaire pour l'aide au développement, les manifestations de jeunes à Zurich, le mouvement, proche des Eglises, qui cherche à donner l'exemple par des engagements personnels, ainsi que, d'une façon générale, la politique systématique d'information entreprise par les responsables de l'aide gouvernementale
[86].
Les efforts entrepris sur le plan bilatéral ont été poursuivis malgré les difficultés de financement
[87]. Mais l'accent principal a été posé en 1968 sur la participation de la Suisse aux entreprises multilatérales et sur la collaboration internationale. La CNUCED a siégé en février et en mars à New-Delhi. Elle a recommandé l'instauration d'un système généralisé de préférences en faveur des exportations des pays en développement; de même, elle a fixé comme norme pour les efforts des pays industrialisés le taux de 1 % du produit national brut au lieu de 1 % du revenu national; elle a préféré le système d'accords particuliers par produits à un règlement global destiné à stabiliser les prix des produits de base. La Suisse, peu favorable au système de préférences adopté, a mis l'accent pour sa part sur les efforts de diversification des produits que les pays en développement doivent fournir, ainsi que sur la coopération régionale de ces pays
[88]. L'aide commerciale, qui repose sur le secteur privé, avec l'aide de la garantie gouvernementale aux risques d'exportation a été critiquée par ceux qui estiment que la Suisse en tire trop de profit: balance excédentaire de 1,3 milliard à l'égard du tiers monde, trop faible proportion, dans le total des exportations, des biens d'équipement et d'infrastructure
[89]. L'aide financière multilatérale s'est exercée entre autres par le canal de l'Accord international sur les céréales (mise à disposition de 32 000 tonnes de blé par an pour le programme d'aide alimentaire)
[90], par une participation active aux travaux de l'Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI), sous forme de contribution à un programme de formation d'économistes et d'ingénieurs des pays en développement
[91], par une hausse de la participation financière aux frais du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), encore bien faible, il est vrai, par rapport aux fonds versés par le PNUD aux experts suisses, aux entreprises de transports suisses, etc.
[92]. Dans le cadre de la discussion sur l'arrêté 1968 sur l'économie laitière, des postulats ont été transmis qui recommandent l'affectation de produits laitiers excédentaires à l'aide alimentaire
[93]. La Suisse a par ailleurs adhéré au Comité d'aide au développement de l'OCDE (CAD), qui groupe presque tous les pays industrialisés et dont le total de l'aide s'élève à quelque 10 milliards par an. Cette adhésion, comme d'ailleurs les problèmes posés par l'aide multilatérale l'ont fait, a souligné la disproportion existant en Suisse entre l'aide publique (5 % du total) et l'aide privée (95 %) définie de la manière la plus large, alors que la moyenne du CAD est de 65 % pour l'aide publique et 35 % pour l'aide privée. On en a tiré la conclusion que la Suisse devait multiplier l'aide publique, qui n'est pas liée au profit à court ou à moyen terme
[94]. Beaucoup d'observateurs ont appuyé ce point de vue
[95], alors que d'autres préféraient défendre les efforts des entreprises privées au nom de l'efficacité
[96]. Il convient de signaler enfin l'approbation par les Chambres de l'adhésion de la Suisse au secrétariat international du service volontaire
[97].
La politique d'
aide humanitaire a connu, par la force des circonstances, un grand développement en 1968. Les travaux concernant la création d'un corps d'intervention en cas de catastrophe ont continué entre les départements fédéraux concernés, alors que l'idée de « casques bleus » disparaissait des préoccupations
[98].
L'aide aux deux Vietnam s'est poursuivie
[99], mais ce sont le tremblement de terre de Palerme, les événements de Tchécoslovaquie et la guerre au Nigeria qui ont le plus attiré l'attention. Un groupe considérable de sinistrés siciliens a été admis en Suisse à fin janvier en dehors des règlements concernant la main-d'oeuvre étrangère
[100]. Après l'invasion de la Tchécoslovaquie quelque 8000 ressortissants de ce pays se sont rendus en Suisse; le Conseil fédéral a édicté des prescriptions d'accueil très souples en leur faveur, les assimilant à des réfugiés et leur accordant de longs délais pour décider s'ils demanderaient l'asile politique ou non. A la mi-novembre, environ 3200 personnes avaient fait cette demande
[101]. En ce qui concerne le conflit nigérian, le Conseil fédéral, en plus des actions signalées plus haut
[102], soutint le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) par tous les moyens possibles; il mit à la disposition de celui-ci son ambassadeur à Moscou, August Lindt, des spécialistes détachés. de l'administration, ainsi que des crédits spéciaux
[103]. Le CICR se heurta à d'immenses difficultés, pour faire valoir son statut d'organisation humanitaire neutre, et pour agir dans les deux camps
[104]. Le Conseil fédéral avait d'ailleurs proposé de modifier l'aide de la Confédération au CICR au début de l'année, en augmentant la contribution annuelle à 2,5 millions, en renonçant à une créance de 7,5 millions et en procédant à une nouvelle avance de 10 millions
[105]. Ces mesures furent approuvées sans opposition parles Chambres, mais, lors des débats, des critiques furent émises contre le système de cooptation du Comité et contre l'absence de publication des comptes; ces critiques, qui traduisaient le souci de certains devant une organisation qui porte le renom de la Suisse à l'étranger et agit où le DPF ne peut le faire, se sont heurtées à une vive résistance fondée sur l'indépendance totale à garantir au CICR
[106]. Sur le plan politique, il faut encore mentionner l'intervention Renschler (soc., ZH), au cours des délibérations sur la juridiction administrative, tendant à soumettre les décisions en matière d'asile à la possibilité d'un recours auprès du Tribunal fédéral; le chef du DFJP, M. von Moos, et le Conseil national, ont refusé cette proposition 'qui aurait fait du droit d'asile, prérogative souveraine de l'Etat, un droit subjectif à l'asile
[107].
[82] Cf. article de l'ambassadeur R. Probst in NZZ, 752, 4.12.68, ainsi que l'avis du conseiller fédéral Spühler, in NZZ, 256, 26.4.68. La TdL a consacré 30 articles de fond à ce problème: 91, 31.3.68-212, 30.7.68. Voir aussi NZ, 57, 4.2.68; Ostschw., 71, 23.3.68; Vr, 88, 16.4.68.
[83] Cf. JdG, 98, 27.4.68; 99, 29.4.68; NZZ, 258, 28.4.68.
[84] Cf. FF, 1968, I, p. 1237, ainsi que les débats, notamment introduction de M. Spühler, intervention Furgler (ccs, SG), Allgöwer ind., BS) in Bull. stén. CN, 1968, p. 241, 248 s. et 263.
[85] Cf. Politische Rundschau, 47/1968, p. 97.
[86] Groupe parlementaire, cf. TdG, 137, 13.6.68; manifestations à Zurich, cf. NZZ, 755, 5.12.68; 758, 6.12.68; Vr, 296, 17.12.68; à Lucerne, cf. NZ, 570, 9.12.68; Déclaration de Berne, préparatifs, cf. Ostschw., 296, 21.12.68.
[87] Il faut signaler l'inquiétude des organismes privés, tels Helvetas, dont les ressources dépendent de la charité publique et subissent une pression; cf. NZZ, 202, 29.3.68.
[88] Cf. Rapp. gest., 1968, p. 268 s., ainsi que GdL, 31, 7.2.68; 76, 30.3.68; 81, 5.4.68; JdG, 33, 9.2.68; 37, 14.2.68; TdG, 113, 14.5.68; 223, 23.9.68; NZ, 81, 18.2.68; 151, 5.4.68; 436, 21.9.68; 441, 24.9.68; NZZ, 139, 3.3.68; Tw, 84, 9.4.68; Vr, 88, 16.4.68.
[89] Cf. NZZ, 280, 8.5.68; NZ, 209, 8.5.68; JdG, 107, 8.5.68; TdL, 138, 17.5.68; 139, 18.5.68.
[90] Cf. Rapp. gest., 1968, p. 240; FF, 1968, I, p. 73 ss.; NZZ, 145, 5.3.68; 161, 12.3.68; PS, 54, 6.3.68. Les débats au Conseil national ont tourné essentiellement sur la possibilité de réduire les excédents laitiers par un canal analogue. Une proposition Ziegler (soc., GE) d'inscrire un nouveau poste d'aide alimentaire au budget a été acceptée.
[91] Accord avec l'ONUDI, cf. JdG, 119, 22.5.68. La Suisse a par ailleurs décidé de participer aux frais administratifs de l'ONUDI, cf. FF, 1968, I, p. 429 ss.; NZZ, 374, 20.6.68; 576, 18.9.68.
[92] Cf. NZZ, 645, 18.10.68. Conférence du PNUD à Vienne, cf. TdL, 167, 15.6.68.
[93] Postulat de la commission, cf. Délib. Ass. féd., 1968, I, p. 12; postulats Barras (ces, FR) et Kurmann (ces, LU), ainsi que délibérations in Bull. stén. CN, 1968, p. 56 ss., 58 ss. et 114. Voir aussi plus bas, p. 78.
[94] Cf. NZZ, 374, 20.6.68; 429, 15.7.68; 672, 30.10.68; 711, 17.11.68; GdL, 143, 21.6.68; 254, 30.10.68.
[95] Cf. NZZ, 256, 26.4.68; 258, 28.4.68; NZ, 57, 4.2.68; 81, 18.2.68; 161, 5.4.68; 196, 29.4.68; PS, 34, 10.2.68 ; GdL, 134, 11.6.68 ; 259, 5.11.68 ; JdG, 213, 12.9.68 ; Bund, 246, 20.10.68.
[96] Cf. notamment NZZ, 280, 8.5.68; 514, 21.8.68.
[97] Cf. APS, 1967, p. 42 et NZZ, 145, 5.3.68.
[98] Cf. Rapp. gest., 1968, p. 67.
[99] Cf. APS, 1967, p. 39 s., ainsi que plus haut, p. 34.
[100] Cf. NZZ, 65, 30.1.68; Bund, 25, 31.1.68; et plus bas, p. 103 s.
[101] Cf. Bund, 196, 22.8.68; 197, 23.8.68; 288, 8.12.68; NZZ, 518, 23.8.68; 525, 27.8.68; 536, 30.8.68; 664, 28.10.68; 715, 19.11.68; 578, 6.12.68; Vat., 202, 30.8.68; Ostschw., 202, 31.8.68; 284, 7.12.68; BN, 365, 31.8.68; GdL, 197, 23.8.68; 217, 17.9.68.
[102] Cf. plus haut, p. 34.
[103] Cf. TdG, 191, 15.8.68; 240, 12.10.68; GdL, 239, 12.10.68; 243, 17.10.68; NZZ, 322, 28.5.68; 542, 3.9.68; 549, 5.9.68; 632, 14.10.68; 641, 17.10.68; NZ, 389, 25.8.68.
[104] Cf. NZZ, 453, 25.7.68; 462, 30.7.68; 470, 2.8.68; 490, 12.8.68; 542, 3.9.68; NZ, 408, 4.9.68; TdG, 169, 21.8.68; GdL, 276, 26.11.68.
[105] Cf. APS, 1967, p. 43; FF, 1968, I, p. 45 ss.
[106] Cf . NZZ, 164, 13.3.68; Tat, 62, 14.3.68; Bund, 62, 14.3.68; NZ, 122, 14.3.68; TdG, 63, 14.3.68; TdL, 64, 14.3.68.
[107] Cf. Bull. stén. CN, 1968, p. 326 ss.
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