Année politique Suisse 1968 : Wirtschaft / Geld, Währung und Kredit
 
Politique monétaire
Le marché suisse de l'argent a marqué en 1968 une tendance générale à la contraction. Les causes en ont été la reprise conjoncturelle d'une part, et d'autre part les hauts taux d'intérêt pratiqués en particulier sur le marché de l'Eurodollar, taux qui ont engagé les banques suisses à placer plus qu'auparavant des capitaux à court terme à l'étranger. Ainsi des capitaux étrangers qui en d'autres circonstances agissent de façon inflationniste ont été déviés rapidement à nouveau sur des places étrangères, ce qui eut aussi pour effet de soutenir la politique monétaire internationale. Le phénomène de contraction a été par ailleurs interrompu par la ruée internationale sur l'or, par les troubles de mai en France et par la crise monétaire de novembre: l'insécurité mondiale entraîna un afflux considérable de capitaux en Suisse, qui détendirent le marché pour un temps.
Si on le compare à l'agitation du marché à court terme, le marché des capitaux à long terme s'est tenu dans des normes plus calmes. La part des emprunts obligataires destinée à couvrir des besoins nouveaux a atteint en 1968, avec 3736 millions, un nouveau sommet. Si l'on tient compte en plus des émissions d'actions suisses et les remboursements, la mise à contribution nette du marché des capitaux s'est élevéé à 3919 millions contre 3400 millions en 1967 [1]. Aucune hausse d'intérêt n'a marqué le déroulement de ce programme chargé; cela est d'autant plus étonnant que les taux pratiqués en Suisse sont encore parmi les plus bas du monde [2].
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Système monétaire international
La crise du système monétaire international, qui durait déjà depuis un certain temps, a connu deux moments de tension particulière en 196$. Une demande d'or très forte a conduit à des hausses de prix et à des records de ventes. Après que l'on eût tenté pendant longtemps de maintenir le prix de l'once d'or fin à 35 $, ce qui ne fut possible qu'en injectant dans le pool de l'or de fortes masses provenant des réserves américaines, le marché de Londres fut fermé à la mi-mars. La conférence des gouverneurs des banques centrales, qui se réunit par la suite à Washington, décida de couper le marché en deux: le prix de 35 $ l'once de fin fut maintenu pour les transactions à buts monétaires entre les banques centrales, mais le marché privé, à buts thésaurisateurs et industriels, ne fut plus approvisionné par les banques centrales. L'obligation américaine de convertir en faveur des personnes privées fut abolie [3]. Le second moment critique eut lieu en novembre. Une réévaluation du mark allemand fut attendue, alors que des spéculations à la dévaluation minaient un franc français déjà affaibli par les troubles de mai. Le franc fut sauvé de la dévaluation par un crédit de 2 milliards de dollars et par des mesures internes draconiennes, entre autres par le rétablissement du contrôle des changes. La République fédérale refusa pour sa part de réévaluer le mark, mais introduisit en contrepartie un système de taxes renchérissant de 4 % les exportations et de détaxes favorisant les importations [4]. Ces événements internationaux ne louchèrent la Suisse que de façon marginale. Elle participa aux crédits de soutien à la Grande-Bretagne et à la France pour un montant de 150 millions $ [5]. Après la division du marché de l'or, Zurich développa son importance au point de devenir la place la plus animée du marché libre [6]. Plusieurs interventions eurent lieu au parlement pour demander des éclaircissements au Conseil fédéral sur la crise monétaire et ses conséquences pour la politique commerciale de la Suisse. Le Conseil fédéral ne prédit pas de baisse des exportations; il émit l'espoir que le contrôle des changes et les obstacles aux importations n'auraient qu'un caractère temporaire. Selon lui, une hausse du prix de l'or ne résoudrait pas les problèmes, du moment que ceux-ci étaient provoqués par le déficit des balances des paiements des pays à monnaie de réserve. La démonétisation de l'or irait à l'encontre des intérêts d'un petit Etat. De même, le système sur lequel repose le Fonds monétaire international serait aussi fondé sur l'or, bien que la création de droits de tirage spéciaux ait créé des réserves monétaires supplémentaires. Ce sont ces droits de tirage qui pourraient précisément conférer au Fonds une importance accrue dans les décisions de politique monétaire [7]. Ces considérations ne restèrent pas sans influence sur la relance de la question de l'adhésion de la Suisse aux organisations de Bretton Woods (Fonds monétaire et Banque mondiale). Lors du débat sur le rapport de gestion, le conseiller fédéral Bonvin annonça que le DFFD et la Banque nationale remettraient la question à l'étude. En adhérant, la Suisse devrait mettre environ 600 millions $ à disposition, une moitié sous forme de prêt à la Banque mondiale, l'autre sous forme de quote-part au Fonds monétaire [8].
L'argent-métal a aussi subi l'assaut des spéculateurs. Les remous entraînés par la fièvre croissante de l'or, l'arrêt des ventes d'argent par le Trésor américain en 1967 et l'augmentation de l'utilisation industrielle de l'argent conduisirent à une hausse brutale du prix du métal. Cette hausse eut pour effet que la valeur métallique des pièces de monnaie suisses en argent — à l'exception de l'écu — dépassa leur valeur nominale. Profitant de cette différence, des acheteurs se procurèrent en Suisse de grandes quantités de pièces d'argent, les firent passer à l'étranger et les revendirent à des fonderies en réalisant des gains appréciables [9]. La menace pesant ainsi sur notre monnaie d'argent était àprévoir depuis longtemps. On avait modifié la loi sur la monnaie en 1967, de façon à accorder au Conseil fédéral la compétence de fixer les propriétés techniques de la monnaie divisionnaire [10]. Les mesures préventives prises par la Confédération, la Banque nationale et les banques suisses s'avérèrent insuffisantes en mars; le Conseil fédéral dut prendre un arrêté interdisant, avec effet immédiat, la thésaurisation, la fonte et l'exportation des pièces en argent. Il annonça en même temps les préparatifs engagés en vue de frapper de nouvelles pièces, dont l'alliage devait être encore fixé [11]. M. Bonvin lança à la radio un appel à la population, la conjurant de faire circuler les pièces de monnaie pour éviter une pénurie qui serait nuisible au commerce de détail. On contrôla à la frontière que personne n'exporte plus de 10 francs en monnaie [12]. Prévenu par une indiscrétion, le Conseil fédéral annonça que l'alliage des nouvelles pièces de 50 centimes, de 1 franc et de 2 francs, tel qu'il fut fixé dans une nouvelle ordonnance d'exécution, serait à l'avenir de 75 % de cuivre et de 25 % de nickel. Les premières mises en circulation eurent lieu en mai déjà [13]. Après coup, M. Bonvin fit savoir au Conseil national que le montant des pièces exportées était estimé à 1,3 millions de francs; on ne disposait pas de données sur les exportations non déclarées; la thésaurisation en petit n'était pas contrôlable non plus [14].
 
[1] Cf. NZZ, 32, 16.1.69; NZ, 593, 22.12.68 ; BN, 540, 21./22.12.68; La Vie économique, 42/1969, p. 91 s.
[2] Cf. Union de banques suisses, Niveau et structure de l'intérét, Zurich, 1968; Rapport de la Commission de recherches économiques, 194, supplément de La Vie économique, 42/1969, février, p. 16 s.
[3] Cf. APS, 1967, p. 56 s.; GdL, 59, 11.3.68; 61, 13.3.68; 65, 18.3.68; TdG, 61, 12.3.68; NZ, 125, 15.3.68; NZZ, 174, 18.3.68.
[4] Cf. NZZ, 727, 24.11.68; 728, 25.11.68; Bund, 277, 25.11.68; GdL, 277, 26.11.68; TdG, 278, 26.11.68.
[5] Cf. NZZ, 183, 21.3.68 (crédit de 50 millions de $ pour l'Angleterre); 586, 23.9.68 (crédit de 100 millions de $ pour la France).
[6] Cf. TdG, 90, 17.4.68.
[7] Petite question Bussey (soc., VD) in TdG, 135, 11.6.68; interpellations Trottmann (ccs, AG), Wyss (soc., BS), Eisenring (ccs, ZH) et petite question Fischer (rad., BE) in NZZ, 781, 17.12.68. Cf. aussi la conférence du conseiller fédéral Schaffner tenue à la journée officielle de la Foire suisse d'échantillons (NZ, 194, 28.3.68) et une interview avec l'ambassadeur E. Stopper à l'occasion de l'assemblée annuelle du Fonds monétaire international (Lb, 233, 4.10.68). Au sujet du projet des droits de tirage spéciaux, cf. les conférences de Rio de Janeiro du 25 au 29 septembre 1967 (APS, 1967, p. 57) et de Stockholm du 30/31 mars 1968 (NZZ, 204, 1.4.68).
[8] Cf. PS, 17, 23.1.68; GdL, 147, 26.6.68; Bund, 150, 30.6.68. Cf. aussi la conférence de M. Iklé à l'assemblée générale de la Chambre de commerce de Zurich (NZZ, 416, 9.7.68; 419, 10.7.68).
[9] Cf. GdL, 71, 25.3.68; Bund, 71, 25.3.68; Ostschw., 73, 26.3.68; le prix de l'once d'argent fin avait monté de Fr. 183 en 1967 à Fr. 350 au mois de mars 1968.
[10] Cf. APS, 1967, p. 56.
[11] Cf. NZZ, 191, 26.3.68 ; NZ, 142, 26.3.68; TdG, 28.3.68.
[12] Cf. PS, 80, 5.4.68; NZZ, 218, 7.4.68.
[13] Cf. NZZ, 267, 2.5.68; Bund, 90, 18.4.68 et 91, 19.4.68; JdG, 91, 19.4.68.
[14] Réponse à l'interpellation du CN Roth (PAB, AG) et à trois petites questions (NZZ, 390, 27.6.68).