Année politique Suisse 1969 : Allgemeine Chronik / Schweizerische Aussenpolitik
Europe
A la suite de la démission du général de Gaulle, l'intégration européenne a pris un nouveau départ. La conférence de La Haye a été précédée de peu par la visite à Berne du président de la Commission des Communautés européennes, Jean Rey. Malgré ses origines suisses, il venait pour la première fois dans notre pays à titre officiel
[27]. Les autorités fédérales lui ont exprimé le désir de se rapprocher davantage du Marché commun
[28]. A croire qu'il en a pris bonne note, puisque la conférence de. La Haye s'est déclarée prête à ouvrir des négociations avec la Suisse et l'AELE en général
[29]. L'
intégration européenne a préoccupé le Conseil des Etats; à la suite du Conseil national, il a adopté en mars la motion Furgler de décembre 1968 sur les rapports de la Suisse avec les Communautés européennes
[30]. L'intérêt de la question réside dans la possibilité de concilier l'intégration avec les institutions helvétiques et la neutralité. Le motionnaire a qualifié d'insensée l'affirmation selon laquelle la Suisse devrait renoncer à la démocratie directe pour rentrer dans la CEE et devenir une démocratie représentative
[31]. De son côté M. Celio, conseiller fédéral, a assuré qu'il n'y avait qu'une contradiction apparente entre intégration et neutralité active et permanente
[32]. Des universitaires européens, dont plusieurs Suisses, se sont aussi prononcés. En collaboration avec diverses personnalités, ils ont publié une étude systématique sur la position des trois neutres — Autriche, Suède, Suisse — en face de ce problème
[33]. C'est l'étude la plus complète qui ait paru jusqu'ici. Les auteurs préconisent une tactique plus souple dans la politique des neutres: il convient, disent-ils, de ne pas négliger les solutions déjà envisagées, mais surtout de prendre conscience des nouvelles virtualités offertes pour trouver la solution la plus satisfaisante. Quant à la population en général, 38 % seulement, selon un sondage, est d'avis qu'il faut pousser davantage les efforts vers l'intégration, 38 % également se déclare favorable au statu quo, et 20% n'a pas d'opinion
[34].
L'élection à la présidence du
Conseil de l'Europe du libéral genevois Olivier Reverdin a été saluée par beaucoup, mais plus spécialement par les Romands, comme un grand honneur pour la Suisse. Seul candidat, personne à Strasbourg n'a contesté son élection, bien que notre pays ne fasse partie de l'auguste assemblée que depuis 1963. Grec de culture, spartiate de caractère et philhellène de coeur, le nouveau président, avec son expérience d'homme politique suisse, passe comme médiateur possible dans le conflit qui oppose la Grèce aux autres Etats membres du Conseil
[35]. Dans son discours d'intronisation, il a souligné que la Suisse était le pays oü coexistent des cultures très diverses et où les problèmes sont résolus de manière à ne brimer aucune minorité
[36]. Malgré ses qualités, le Genevois n'est cependant pas parvenu à concilier les parties en présence. Menacée d'exclusion, la Grèce s'est retirée spontanément. Le Conseil fédéral, qui s'est abstenu de prendre position malgré une demande de condamnation émanant des partis gouvernementaux et de l'Alliance des Indépendants, aurait préféré une suspension à terme ou avec sursis, seule possibilité d'après lui d'exercer une influence réelle sur le Gouvernement grec
[37].
La Suisse est actuellement le seul membre de l'Assemblée de Strasbourg à n'avoir pas encore signé la Convention européenne des droits de l'homme
[38]. Le gouvernement a proposé d'y adhérer moyennant des réserves importantes
[39]. Selon M. Spühler, le projet devait constituer un acte de solidarité internationale ne portant aucune atteinte aux intérêts de la Confédération
[40]. Les adversaires de la Convention ne furent pas de son avis. Certains agitèrent le spectre du « juge étranger» venant se mêler mal à propos de la justice suisse, considérée par eux comme un modèle du genre
[41]. A ce refus d'une restriction de la souveraineté nationale
[42] s'ajoutent d'autres objections, développées surtout au Conseil des Etats qui, rappelons-le, a rejeté la signature. Par exemple que la Suisse, pour honorer sa réputation de « démocratie témoin », devait envisager une mise en application intégrale de la Convention plutôt qu'une signature immédiate avec réserves
[43]. Ou encore que l'un des principes traditionnels de la politique étrangère du pays était précisément d'éviter l'adhésion partielle aux traités et conventions
[44]. Par contre, les «internationalistes », majoritaires dans la Commission chargée de l'examen du projet, invoquèrent en faveur de la Convention la nécessité d'une plus grande ouverture au monde et soulignèrent que la Suisse, en tant que petit Etat, devait assurer sa sauvegarde par la promotion du droit international
[45].
Les questions de sécurité ont préoccupé la Suisse, tant au niveau mondial qu'européen. Quatre-vingt-douzième Etat à signer le
traité de non-prolifération nucléaire, notre pays n'est pas apparu, aux yeux de ceux qui souhaitaient une signature plus rapide, comme particulièrement pressé
[46]. La décision du Conseil fédéral du 27 novembre a cependant surpris
[47]. Par deux fois en effet, en 1962 et 1963, le peuple avait voté et affirmé qu'il ne pouvait refuser à l'armée d'éventuelles armes atomiques. Si bien que la signature a semblé contrecarrer la volonté populaire
[48]. D'autre part, le Parti des paysans, artisans et bourgeois avait, dans le courant de l'année, déclaré son opposition au traité
[49]. Enfin s'était constitué le 19 septembre un comité d'action contre l'adhésion de la Suisse au traité de non-prolifération
[50]. La présence en son sein du chef de l'état-major général de l'armée, P. Gygli, émut les pacifistes et autres adversaires de la bombe, en particulier le « Mouvement suisse contre l'armement atomique »
[51]. Mais celui-ci finit par crier victoire et déclara son but atteint à l'annonce de la signature
[52]. Le gouvernement précisa peu après que les deux votations populaires ne portaient pas atteinte à la compétence de l'Assemblée fédérale, seule habilitée à décider de l'équipement de l'armée
[53] .
La neutralité étant en relation directe avec le maintien de la paix, la Suisse a été naturellement sollicitée par le projet, lancé le 19 mars par les Etats membres du Pacte de Varsovie, d'une
Conférence européenne de sécurité. Que ce soit à Bucarest ou à Belgrade, nos conseillers fédéraux ont été interrogés à ce sujet
[54]. Un observateur yougoslave a souhaité que la Suisse surmonte sa « passivité traditionnelle » et s'engage plus à fond
[55]. Les « Européens » d'Helvétie voient là une occasion pour nos autorités d'activer concrètement la politique étrangère du pays, par exemple en proposant Genève comme lieu de conférence
[56]. Sur ce dernier point, le Conseil fédéral a reçu précisément une offre du gouvernement finlandais; il s'est déclaré favorable au principe d'une telle rencontre, à la condition toutefois qu'elle soit ouverte aux puissances extra-européennes qui contribuent depuis la dernière guerre à la sécurité du continent
[57].
[27] TLM, 323, 19.11.69. Parmi ses arrière-grands-parents, il compte 3 Suisses, 2 Belges, 1 Français, 1 Italien et 1 Allemand (Bund, 274, 23.11.69). Sa visite a eu lieu les 21/22 novembre et la conférence de La Haye les 1 /2 décembre 1969.
[28] GdL, 270, 19.11.69; 273, 22./23.11.69.
[29] JdG, 283, 4.12.69. Cf. infra, p. 74 s.
[30] Délib. Ass. féd., 1969, I, p. 45. Cf. APS, 1968, p. 39 s.
[31] Europa, 36/1969, 6, p. 7.
[32] Discours prononcé à Genève à l'occasion du 75° anniversaire de la Chambre de commerce française en Suisse (TdG, 255, 31.10.69).
[33] HANS MAYRZEDT et HANS CHRISTOPH BINSWANGER, Die Neutralen in der europäischen Integration, Kontroversen, Konfrontationen, Alternativen, Wien-Stuttgart, 1970 (1969). L'ouvrage réunit 27 contributions, dont 10 rédigées par des Suisses. Cf. compte rendu in Europa, 36/1969, 10, p. 18 ss.
[34] Enquête d'opinion publique KONSO (cf. supra, note 14). Les remarques faites plus haut sur les divergences constatées selon l'âge, la langue et l'habitation sont aussi valables ici; la jeunesse, la Suisse romande et les villes de plus de 10.000 habitants sont plus ouvertes à l'Europe.
[35] TdG, 111, 13.5.69; 113, 16.5.69; JdG, 111, 13./14.5.69; Europa, 36/1969, 6, p. 3; cf. aussi NZZ, 288, 13.5.69; 293, 16.5.69; NZ, 215, 13.5.69; Reverdin est professeur de langue et littérature grecques à l'Université de Genève et parle le grec moderne. Sur le plan politique, il est conseiller national. Cf. aussi APS, 1968, p. 34.
[37] Cf. GdL, 291, 13./14.12.69; NZZ, 714, 7.12.69; TLM, 343, 9.12.69. La lettre au Conseil fédéral est signée de W. Bringolf (soc., SH), W. Hofer (PAB, BE), Furgler (ccs, SG), Vontobel (ind., ZH), tous les quatre membres effectifs ou suppléants de la délégation du Conseil national au Conseil de l'Europe, ainsi que d'A. Weber (rad., UR) et W. Renschler (soc., ZH). Cf. infra, p. 47.
[38] Cf. intervention Borel (rad., GE) au CE (Bull. stén. CE, 1969, p. 207).
[39] Cf. supra, p. 13, et APS, 1968, p. 23 s. et 40.
[40] Bull. stén. CE, 1969, p. 217 ss.
[41] Cf. entre autres les interventions Fischer (rad., BE) au CN et Grosjean (rad., NE) au CE (Bull. stén. CN, 1969, p. 346; Bull. stén. CE, 1969, p. 214).
[42] Cf. wf, Artikeldienst, 45, 8.9.69.
[43] Intervention Choisy (lib., GE). L'expression « démocratie témoin » est empruntée au Français André Siegfried (Bull. stén. CE, 1969, p. 212).
[44] Ibid., p. 209, intervention Bolla (rad., TI).
[45] Ibid., p. 211, intervention Amstad (ccs, NW).
[46] Cf. entre autres VO, 218, 22.9.69; 219, 23.9.69. Cf. APS, 1968, p. 38.
[47] JdG, 275; 25.11.69; 280, 1.12.69; Délib. Ass. féd., 1969, IV, p. 60 (petite question urgente Schwarzenbach); GdL, 304, 30.12.69.
[50] Bund, 221, 22.9.69; JdG, 220, 22.9.69; GdL, 224, 26.9.69.
[51] VO, 218, 22.9.69; cf. NZZ, 592, 26.9.69; GdL, 224, 26.9.69; petites questions Müller (soc., BE), Bussey (soc., VD) et Forel (PdT, VD): Délib. Ass. féd., 1969, III, p. 59,; VO, 222, 26.9.69.
[54] TdG, 92, 21.4.69; TLM, 306, 2.11.69; NZZ, 655, 3.11.69; cf. infra, p. 47.
[56] Interpellation Renschler (soc., ZH) au CN (Délib. Ass. féd., 1969, III, p. 53 s.). Le Congrès annuel de l'Union européenne de Suisse, réuni à Bienne les 11/12 octobre, a traité le thème de la politique européenne de sécurité. Le prof. suisse C. Gasteyger, directeur de l'Institut atlantique de Paris, a montré le rôle éventuel des Etats neutres ou non engagés (Europa, 36/1969, 11, p. 6 ss.). Cf. aussi Europa, 36/1969, 9, p. 9 ss.; NZZ, 620, 13.10.69.
[57] C'est-à-dire les USA et le Canada. Déclaration du Conseil fédéral du 24.7. (NZZ, 451, 25.7.69; GdL, 171, 25.7.69; TLM, 206, 25.7.69; JdG, 171, 25.7.69.
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