Année politique Suisse 1969 : Allgemeine Chronik / Schweizerische Aussenpolitik
Aide au développement
La prise de conscience de l'acuité du problème s'est accompagnée d'une critique approfondie de ses modalités actuelles. Une vaste controverse s'est engagée au niveau des autorités et de l'opinion. Elle peut se résumer en une triple alternative: aide publique ou privée? bilatérale ou multilatérale? diversifiée ou spécialisée? Se basant sur un critère international largement admis et fixant à 1 % du produit national brut le taux minimum de l'aide que devraient apporter les pays industrialisés
[111], le gouvernement a annoncé que ce chiffre s'élevait pour la Suisse à 1,49 %
[112]. Sans doute, mais on a fait remarquer que 1,38 % de ce total concernait le secteur privé et seulement 0,11 % le secteur public; que le taux de 1 % s'entendant de J'aide publique uniquement, notre pays, avec son 0,11 % se situait en dernière position des Etats membres du Comité d'aide au développement (CAD); et que s'il occupait la première place pour l'aide privée, on ne pouvait l'en féliciter, car elle s'avérait si rémunératrice qu'elle ne faisait finalement qu'appauvrir le tiers monde, autrement dit qu'elle produisait l'inverse de l'effet recherché et tombait dans le discrédit comme forme à peine déguisée d'impérialisme et de néo-colonialisme
[113]. Les défenseurs de l'état de fait ont alors avancé que, malgré son manque de désintéressement, l'aide privée devait être conservée à cause de son efficacité avérée et qu'en- réalité, les oeuvres suisses jouissaient dans le tiers monde de la meilleure réputation
[114]. Pour les mêmes raisons, ont-ils ajouté, il faut maintenir l'aide bilatérale, en dépit de l'accróissement de l'aide multilatérale
[115]. Mais beaucoup ont été sensibles à la nécessité d'une plus grande coordination des efforts accomplis
[116]. Selon l'Institut Battelle de Genève, un énorme gaspillage se produit actuellement par la dispersion des forces, le manque d'imagination, le faible rendement de l'aide et l'incapacité à résoudre certains problèmes; une analyse scientifique du développement s'impose
[117]. Quant à savoir s'il faut diversifier encore ou au contraire spécialiser l'aide suisse, les avis divergent également: alors que les uns sont partisans d'une spécification proprement helvétique dans les domaines de la banque, du commerce et de l'industrie
[118], les autres pensent au contraire intensifier la collaboration agricole pour résoudre le problème crucial de la faim dans le monde
[119].
Sur le plan des réalisations concrètes, on a assisté à l'adoption par les Chambres du
crédit cadre de coopération technique pour les années 1970, 1971 et 1972 d'une valeur de 180 millions
[120] et à la signature d'accords ad hoc avec le Kenya, le Burundi et le Dahomey
[121]. Le conseiller fédéral Schaffner a suggéré que les cantons et les communes participent aux projets de la Confédération
[122]. Zurich, Thurgovie et Genève se sont effectivement intéressés à l'aide au tiers monde
[123], et dans les communes genevoises, le Parti indépendant-chrétien social a proposé d'inscrire au budget un crédit annuel en faveur de l'aide technique
[124]. Par ailleurs, les citoyens suisses ont été sollicités par le mouvement religieux et oecuménique dit de la «Déclaration de Berne» à faire dorénavant le don volontaire d'une partie de leur revenu mensuel
[125]. Signalons enfin la générosité d'une jeunesse de plus en plus nombreuse qui n'hésite pas à s'engager, malgré l'absence de profit pécuniaire, dans le service volontaire de la coopération technique
[126].
Le
drame nigérian et l'entraide qu'il a suscitée dans le monde ont montré aux Etats conscients de leur solidarité internationale l'importance de leur politique d'aide humanitaire. La Suisse, loin d'être en retard dans ce domaine, fait figure de pionnier. Mais la patrie d'Henri Dunant a constaté que les principes de la Croix-Rouge n'étaient pas toujours acceptés facilement dans le tiers monde: la crise du CICR en est la preuve
[127]. Une réforme de l'organisation s'est imposée dans le sens de l'efficacité et de l'information
[128]. Le nouveau président du Comité, Marcel Naville, d'une famille qui a déjà beaucoup servi la Croix-Rouge, a déclaré qu'il fallait éliminer de notre mentalité certains clichés d'allure paternaliste
[129]. Les difficultés n'ont cependant pas empêché le CICR d'accomplir une tâche immense: outre son action au Nigeria, la plus vaste qui ait été menée depuis la dernière guerre mondiale, il est encore intervenu au Moyen-Orient pour un échange général de prisonniers arabes et israéliens, et en Grèce pour la visite des détenus politiques et des déportés
[130]. Il a évidemment bénéficié pour cela du soutien financier de la Confédération
[131], qui est allé aussi à d'autres organisations caritatives
[132]. Un crédit de 50 millions a été accepté par les Chambres pour la poursuite de l'entraide internationale purement humanitaire, dans les trois prochaines années
[133]. Une motion Bieri (rad., ZH) sur l'aide médicale permanente à l'étranger a été acceptée comme postulat par le Conseil national
[134]. Le projet Furgler (cos, SG) d'une aide d'urgence comprenant deux sections, l'aide permanente et l'aide immédiate (en cas de catastrophe), a poursuivi son chemin
[135]. Le refus des PTT de concéder à Caritas une liaison radio avec le Biafra a été critiqué comme relevant d'une politique de neutralité dénuée de toute valeur morale
[136]. L'assistance aux réfugiés tchécoslovaques en Suisse a incité le Conseil fédéral à libérer un nouveau crédit de 4,5 millions de francs, et le Grand Conseil zurichois à en voter un de 1,4 million
[137]. De son côté, le Parti suisse des paysans, artisans et bourgeois s'est déclaré en faveur de la poursuite d'une aide généreuse à ces mêmes ressortissants
[138]. Une circulaire du DFJP sur les principes régissant l'admission des réfugiés a été publiée: elle confirme la pratique suivie jusqu'ici, tout en précisant certaines notions
[139].
[111] Cf. APS, 1968, p. 41.
[112] Réponse du Conseil fédéral du 29.9. à une petite question Renschler (soc., ZH) du 3.3. (Délib. Ass. féd., 1969, III, p. 57; TLM, 274, 1.10.69; NZZ, 606, 5.10.69; PS, 224, 2.10.69).
[113] Intervention Forel (PdT, VD) au CN (Bull. stén. CN, 1969, p. 934). Cf. aussi GdL, 272, 21.11.69; TdG, 245, 20.10.69. A part les communistes traditionnels, remarquons que la nouvelle gauche présente ici le mime point de vue critique que certains milieux d'allégeance religieuse (cf. NZZ, 630, 19.10.69; 639, 24.10.69).
[114] Intervention Deonna (lib., GE) au CN (Bull. stén. CN, 1969, p. 922 ss.).
[115] Message du Conseil fédéral du 21.5. (FF, 1969, I. p. 1339).
[116] Intervention Furgler (ccs, SG) en faveur d'une conception d'ensemble de la politique d'aide au développement et d'un regroupement administratif des services fédéraux en question au sein du DPF (Bull. stén. CN, 1969, p. 924 ss.; NZZ, 711, 5.12.69; TdG, 285, 5.12.69).
[117] TdG, 249, 24.10.69.
[118] Position du prof. Gilbert Etienne, de l'Institut universitaire de hautes études internationales de Genève (GdL, 272, 21.11.69).
[119] Cf. supra, note 114.
[120] Message du Conseil fédéral proposant une augmentation du crédit (cf. supra, note 115); adopté par le CE le 7.10 et par le CN le 8.12. (Délib. Ass. féd., 1969, III, p. 8; Bull. stén. CN, 1969, p. 919 ss.).
[121] NZZ, 517, 25.8.69; 688, 21.11.69; JdG, 23, 29.1.69.
[122] Déclaration de M. Schaffner du 19.2. (GdL, 42, 20.2.69).
[123] Motions Frei (év.) et Berger (dém.) adoptées par le Grand Conseil zurichois (Tat, 35, 11.2.69; NZZ, 681, 18.11.69); motion adoptée par le Grand Conseil thurgovien (NZZ, 318, 28.5.69); projet de loi Ruffieux (ccs) au Grand Conseil genevois (JdG, 231, 4./5.10.69).
[124] Cf. JdG, 231, 4./5.10.69.
[125] NZZ, 18, 10.1.69; NZ, 15, 10.1.69; BN, 13, 10.1.69; Lb, 7, 10.1.69; Tw, 6, 10.1.69; PS, 6, 10.1.69; TLM, 10, 10.1.69; GdL, 7, 10.1.69; JdG, 7, 10.1.69; 9, 13,1.69; TdG, 8, 10.1.69.
[126] JdG, 272, 21.11.69; NZZ, 687, 21.11:69; PS, 249, 31.10.69.
[127] Après l'affaire Lindt (cf. supra, p. 45 s.), le CICR a dû renoncer à sa mission au Nigeria-Biafra et confier ses compétences à une Commission d'assistance contrôlée par Lagos (NZZ, 417, 10.7.69; 422, 14.7.69; GdL, 161, 14.7.69).
[128] TLM, 350, 16.12.69. Cf. APS, 1968, p. 43.
[129] TdG, 9, 11./12.1.69; 151, 1.7.69.
[130] TLM, 350, 16.12.69.
[131] Elle lui a versé à cet effet 6 millions de francs (NZZ, 169, 18.3.69; TdG, 65, 18.3.69).
[132] Entre autres à Caritas suisse et à l'Entraide protestante suisse (NZZ, 79, 6.2.69; 637, 23.10.69).
[133] FF, 1969, I, p. 1407 ss. Cf. NZZ, 319, 29.5.69; 735, 19.12.69; GdL, 224, 26.9.69.
[134] Délib. Ass. féd., 1969, III, p. 3.
[135] Bull. stén. CN, 1969, p. 924 ss.; NZZ, 711, 5.12.69; TdG, 285, 5.12.69. Cf. aussi APS, 1968, p. 42.
[137] NZZ, 110, 19.2.69; Tat, 47, 25.2.69. En septembre, 11.000 ressortissants tchécoslovaques se trouvaient dans notre pays (NZZ, 565, 15.9.69). Cf. APS, 1968, p. 43.
[138] NZZ, 117, 25.8.69; NZ, 387, 25.8.69; GdL, 196, 23./24.8.69.
[139] TdG, 246, 21.10.69. Cf. APS, 1968, p. 43.
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