Année politique Suisse 1970 : Allgemeine Chronik / Schweizerische Aussenpolitik
Aide au développement
Un volet capital des rapports de la Suisse avec le monde extra-européen réside en effet dans l'aide au développement. L'urgence d'une solution à ce grave problème aux dimensions mondiales a intensifié le grand débat qui s'est engagé à son sujet depuis quelques années
[77]. La prise de conscience qui s'opère au sein de l'opinion publique s'est approfondie et a trouvé dans la conférence interconfessionnelle Suisse-tiers monde son expression dominante. Elle a rassemblé non seulement des représentants des Eglises, mais aussi des personnalités de la politique, de l'économie, du monde bancaire et de tous les milieux intéressés à l'aide aux pays en voie de développement, sans oublier un groupe de jeunes qui s'est signalé par la vivacité de sa contestation
[78]. Les thèmes agités et les résolutions prises n'ont rien apporté, il est vrai, d'essentiellement nouveau, mais la décision de créer une centrale d'information pour l'aide au tiers monde marque le point de départ d'une action destinée à sensibiliser davantage une population encline parfois à considérer certaines régions de Suisse comme sous-développées et devant bénéficier en priorité de l'aide au développement
[79].
La triple alternative analysée en 1969 — aide publique ou privée, bilatérale ou multilatérale, spécialisée ou diversifiée
[80] — s'est retrouvée au centre des débats en 1970. L'examen a cependant été approfondi au point de remettre assez largement en question le concept même de développement. Il est nécessaire de faire une distinction entre croissance, notion quantitative et développement, notion qualitative. L'affirmation de la primauté spirituelle de l'homme devrait conduire, selon divers milieux, à faire de l'éducation le pilier central de l'aide au tiers monde
[81]. Cette aide a fortement baissé en 1969. De 1,49 % en 1968, le taux annuel du produit national brut (PNB) qui lui est consacré est tombé à 0,64 %
[82]. La Suisse se trouve ainsi occuper l'une des dernières places dans la liste établie par l'OCDE et formant le Comité d'aide au développement (CAD). La cause de cette chute n'est pas imputable à l'aide publique de la Confédération, laquelle a augmenté, mais à l'aide privée: opérés massivement en 1968, les investissements se sont brusquement ralentis pour retrouver un rythme comparable à celui des années 1966/1967. On s'accorde en conséquence dans un nombre croissant de milieux à reconnaître la nécessité de réduire l'énorme disproportion existant entre l'aide publique et privée
[83]. L'aide publique est'moins sujette aux variations que l'aide privée. Moins sujette à caution aussi: l'investissement de capitaux privés ressemble trop souvent, dit-on, à une exploitation de type colonialiste. Telle est la raison pour laquelle par exemple le vaste projet du barrage de Cabora Bassa au Mozambique, auquel des entreprises suisses se proposent de collaborer, a été si fortement critiqué
[84]. L'une des conditions premières d'une aide efficace étant dans sa régularité, nombreux sont ceux qui préconisent sur ce point une politique concertée à l'échelle internationale et mondiale
[85]. Une concertation universelle permettrait probablement de résoudre certains problèmes, celui entre autres de la fuite des capitaux, c'est-à-dire des dépôts bancaires effectués dans les pays industrialisés par des sociétés et particuliers des pays en voie de développement
[86]. Des divergences subsistent enfin quant à la spécification de l'aide. L'aide à fonds perdus entraîne vite le gaspillage, affirment ceux qui souhaitent plutôt des investissements à long terme et à faible intérêt, formule que pratique par exemple l'Union soviétique
[87]. Certains souhaitent la perception d'un impôt fédéral spécialement affecté à la coopération technique; ils rencontrent les réticences de ceux qui craignent l'impopularité d'un tel projet
[88]. D'autres, constatant que la coopération technique travaille avant tout dans l'agriculture, désirent une intensification des efforts dans les autres secteurs
[89].
La controverse n'a pas paralysé l'action. La Confédération a
inauguré une nouvelle stratégie du développement. Coordonner pour éviter la dispersion et augmenter son efficacité, tel est le but que s'est fixé l'Organisation des Nations Unies (ONU) pour la seconde décennie du développement (1971-1980) et que la Suisse a adopté dans ses grandes lignes par la déclaration du 24 octobre 1970
[90]. De façon plus concrète, le Conseil fédéral a proposé à la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (UNCTAD) l'instauration en faveur du tiers monde d'un système généralisé de préférences douanières dont l'objectif final est l'exemption totale des droits perçus aux frontières. Le projet a été adopté par la Conférence
[91]. La personnalité de droit international a été reconnue à la Banque interaméricaine de développement, malgré l'opposition des groupes de gauche au Conseil national
[92]. La commission Pearson de la Banque mondiale ayant fixé à 0,7 % du PNB le taux que les pays industrialisés devraient consentir avant 1980 à l'aide publique au tiers monde, le Conseil fédéral a déclaré: «Supposer que la Suisse puisse accepter cet objectif ne répondrait pas à des vues réalistes »
[93]. C'est que le taux de l'aide publique accordée par la Suisse n'a été que de 0,1 % en 1969. Les critiques n'ont pas manqué au refus du gouvernement
[94], mais ont été atténuées par la solution de rechange qu'il a présentée, celle d'un crédit-cadre d'aide financière d'une ampleur « raisonnable »
[95]. Un autre reproche lui a été fait, celui d'avoir décliné l'entrée de la Suisse dans l'Agence de coopération technique créée à la Conférence de Niamey. Le principe d'universalité, a-t-il déclaré, est incompatible avec l'établissement de relations privilégiées d'ordre linguistique
[96]. Au niveau bilatéral, les réalisations abondent et il suffira de relever les accords conclus avec le Ruanda, le Cameroun, le Kenya, l'Equateur et le Pakistan
[97]. Les idées ne manquent pas en Suisse pour trouver de nouvelles formes de coopération. C'est ainsi que pour promouvoir l'assistance technique, il a été proposé de remplacer le service militaire par un service volontaire à l'étranger
[98]. L'encouragement au volontariat s'est d'autre part concrétisé par une augmentation intéressante de la subvention versée à chaque volontaire
[99].
Accédant au voeu du Conseil fédéral
[100], les cantons et communes ont accepté de compléter à leur manière l'oeuvre nationale. A Genève, le Parti libéral a proposé que les contribuables payent un « centime additionnel » pour le tiers monde, ce qui représenterait une contribution cantonale d'environ 2,5 millions de francs par an. Le Gouvernement vaudois, sur la base d'une motion de 1966, a annoncé son intention d'augmenter son effort. Le Grand Conseil soleurois a accepté de créer dans ce but un nouveau poste au budget du canton. La ville de Lausanne s'est lancée dans l'élaboration d'un plan ad hoc et celle de Zurich a décidé de lier dans une même oeuvre l'aide à l'étranger et le soutien aux communes suisses en difficultés
[101], Les Eglises, qui pratiquent l'aide au développement depuis qu'il existe des missions, ont poursuivi leur effort sur deux plans: celui de la coordination entre institutions charitables, donnant ainsi à l'oecuménisme une forme très concrète d'expression; et celui de la propagande, que ce soit en faveur du mouvement dit de la Déclaration de Berne, ou de celui des paroisses dont un nombre croissant consacrent une partie de leur budget à l'aide au tiers monde
[102]. Parmi les organisations non confessionnelles, mentionnons pour terminer l'Association suisse d'assistance technique Helvetas qui prévoit de dépenser près de trois millions de francs au cours de l'exercice 1970/1971 pour la réalisation des objectifs qu'elle s'est fixés
[103].
[77] Cf. APS, 1966, p. 31 s.; 1967, p. 41 ss.; 1968, p. 41 s.; 1969, p. 48 ss.
[78] Conférence: TdG, 183, 7.8.70; Bund, 247, 22.10.70; JdG, 253, 30.10.70; NZZ, 506, 30.10.70; GdL, 257, 4.11.70. Groupe de jeunes: TdG, 255, 31.10./1.11.70; 275, 24.11.70; NZN, 276, 25.11.70; AZ, 277, 28.11.70.
[79] NZN, 274, 23.11.70; NZZ, 545, 23.11.70; Tat, 95, 24.4.70; Schweizerische GewerbeZeitung, 42, 16.10.70. Une enquéte de l'Institut de journalisme de l'Université de Fribourg sur le thème du tiers monde dans la presse suisse a montré que la grande majorité des articles concernaient non pas les problèmes du développement, mais les faits de guerre (NZN, 236, 9.10.70).
[80] Cf. APS, 1969, p. 49.
[81] Civitas, 25, 1970, 11, p. 915 ss.; GdL, 99, 30.4.70; 257, 4.11.70; Lib., 227, 31.10./1.11.70.
[82] Tw, 186, 12.8.70; 194, 21.8.70; AZ, 186, 14.8.70. Les chiffres indiqués dans APS, 1969, p. 49 concernent 1968.
[83] GdL, 105, 8.5.70; NZ, 196, 30.4.70; 521, 11.11.70; NZZ, 275, 17.6.70; Tw, 255, 30.10./ 1.11.70.
[84] TdG, 136, 13./14.6.70; PS, 134, 17.6.70; NZ, 270, 17.6.70; GdL, 149, 30.6.70; 251, 28.10.70.
[86] Postulat Ziegler (soc., GE) adopté par le CN: Délib. Ass. féd., 1969, II, p. 48; NZ, 450, 1.10.70.
[88] Critique au projet de la Déclaration de Berne (GdL, 99, 30.4.70).
[89] La Gruyère, 116, 8.10.70; Lib., 227, 31.10./1.11.70.
[90] Bund, 250, 26.10.70; JdG, 249, 26.10.70; NZ, 493, 26.10.70; NZZ, 498, 26.10.70; Vat., 248, 26.10.70. Cf. aussi la nouvelle publication officielle Entwicklung — Développement (No 1, oct. 1970).
[91] GdL, 239, 14.10.70; NZZ, 479, 15.10.70; 498, 26.10.70.
[92] FF, 1970, I, p. 1093 ss.; VO, 230, 8.10.70; NZZ, 462, 5.10.70; 468, 8.10.70; 586, 16.12.70.
[93] 81e rapport du Conseil fédéral ... sur les mesures de défense économique envers l'étranger (FF, 1970, II, p. 322).
[94] Bund, 191, 18.8.70; Lb, 193, 21.8.70; NZN, 194, 21.8.70; Tw, 194, 21.8.70.
[95] FF, 1970, II, p. 322.
[97] RO, 1970, p. 301 ss., 579 ss., 927 ss.; NZZ (ats), 405, 1.9.70; NZZ (afp), 563, 4.12.70.
[98] Postulat Renschler (soc., ZH) adopté par CN: Délib. Ass. féd., 1970, II, p. 33; AZ, 295, 19.12.70.
[99] GdL (ats), 181, 6.8.70.
[100] Cf. APS, 1969, p. 50.
[101] Genève: TdG, 37, 13.2.70. Vaud: TLM, 235, 23.8.70. Soleure: NZZ (ats), 368, 11.8.70. Lausanne: TdG, 296, 18.12.70. Zurich: NZZ, 542, 20.11.70.
[102] NZZ (ats), 184, 22.4.70; 278, 19.6.70; Vat., 271, 21.11.70.
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