Année politique Suisse 1971 : Grundlagen der Staatsordnung / Rechtsordnung
 
Droit de vote
La votation fédérale du 7 février sur l'introduction du suffrage féminin fut précédée d'une campagne animée. La Suisse officielle se prononça presque unanimement en faveur de l'acceptation du projet. En 1970, ce dernier avait déjà été admis sans opposition par les deux Chambres [1]. Tous les partis politiques nationaux et certaines associations professionnelles donnèrent la même consigne positive [2]. Les partis cantonaux suivirent [3], à l'exception de quelques rares formations favorables à la liberté de vote. Les opposants se regroupèrent en une Action fédérale contre le droit de vote féminin, sous la présidence de l'avocat argovien Markus Herzig [4]. Dans la presse, la majorité des voix qui s'élevèrent furent favorables au projet; en Suisse romande, ce fut presque l'unanimité. La radio et la télévision retransmirent des débats contradictoires [5]. Des magistrats fédéraux et cantonaux s'engagèrent par écrit et verbalement en faveur des droits politiques de la femme [6]. L'écrasante majorité des prises de position favorables au projet fut telle que les adversaires se plaignirent de ce qu'on étouffait leur voix [7]. Alors que ces derniers fondaient principalement leur argumentation sur les différences de fonction sociale et de mode de vie de la femme [8], les premiers invoquèrent soit une égalité naturelle de droit, soit l'aptitude de la femme à l'action politique, aptitude confirmée par l'expérience [9]. Bien que les sondages d'opinion eussent annoncé une majorité confortable en faveur de l'égalité des droits [10], on insista, en Suisse romande surtout, sur une forte participation au scrutin, car on ne tenait pour acquises ni la majorité des Etats ni celle du peuple [11]. Le résultat du scrutin dépassa les espérances [12]. La participation fut relativement élevée, seul le Tessin demeura en dessous de 50 %. Les partisans représentèrent presque une majorité des deux tiers. Le projet fut admis non seulement par les neuf cantons qui avaient déjà introduit le suffrage féminin en matière cantonale, mais encore par trois cantons et demi sur les quatre qui l'exerçaient à titre obligatoire ou facultatif en matière communale, et en plus par trois autres cantons qui n'avaient encore reconnu à la femme aucune égalité politique. Les plus fortes majorités acceptantes furent enregistrées en Suisse romande et au Tessin, ainsi que dans les grandes agglomérations urbaines de la Suisse alémanique; la majorité des cantons de Suisse centrale et de Suisse orientale constituèrent un bloc assez compact d'opposants.
La percée réalisée sur le plan fédéral se répercuta sur le plan cantonal. Dans les cantons d'Argovie, Schaffhouse et Zoug, les droits politiques complets furent reconnus à la femme sur le plan cantonal en même temps que sur le plan fédéral. Dans le canton de Schwytz, ce furent les adversaires qui l'emportèrent. Fribourg qui, en 1969, ne s'était prononcé que sur le principe, se donna les dispositions constitutionnelles nécessaires. Dans le courant de l'année suivirent Glaris — le premier canton à landsgemeinde — puis Berne et Thurgovie, alors que Soleure accordait le suffrage féminin sur le plan cantonal, tout en laissant aux communes le soin de décider à leur propre niveau. Les parlements des cantons d'Uri, Schwytz, Nidwald, Saint-Gall et des Grisons acceptèrent des projets allant dans ce sens. Dans les demi-cantons appenzellois, on prit les premières dispositions en vue de l'introduction du suffrage féminin sur le plan communal; Bâle-Campagne, qui n'avait pas encore accordé ce droit sur le plan communal, combla cette lacune [13].
Pour la Suisse, ce changement de condition juridique posa de nouveaux problèmes et créa de nouvelles conditions à l'exercice de ses activités dans la vie publique. La Ligue des femmes suisses contre le suffrage féminin fut dissoute en mars; toutefois, un groupe bernois décida de continuer la lutte pour la protection de la femme et de la famille d'une part, contre le nivellement politique et social des citoyens et citoyennes d'autre part [14]. L'Association suisse pour le suffrage féminin décida de militer, sous une autre appellation, en faveur de l'égalité des citoyennes en matière de droit civil, en matières sociale et économique aussi [15]. Du reste, au cours de la campagne électorale déjà, on avait fait remarquer qu'après l'obtention d'une égalité de droit en matière électorale, la femme aurait encore à lutter pour faire reconnaître réellement son égalité politique [16]. Des représentantes du beau sexe avaient souligné qu'il ne s'agissait pas simplement pour elles de s'aligner sur les hommes, mais encore que les hommes auraient à leur reconnaître certaines spécificités, comme leur propre mode d'organisation [17]. Dans cet ordre d'idées, on en vint à se demander s'il n'y avait pas lieu d'imposer aux citoyennes un devoir de servir qui correspondrait aux obligations militaires des hommes. Au mois de novembre, quatre organisations féminines présentèrent sur cette question une étude qui proposait quatre formules prévoyant un service obligatoire ou facultatif dans le cadre de la défense générale ou dans celui du travail social (santé, aide à la vieillesse et à l'enfance) [18]. Ces propositions suscitèrent des critiques dans les rangs de la gauche et en Suisse romande; toutefois, vers la fin de l'année, on entreprit au Conseil national quelques démarches qui tendaient à l'institution d'un service féminin obligatoire [19].
L'introduction du suffrage féminin a été l'occasion de soulever encore d'autres questions relatives aux droits civiques. Ainsi le fait que le nombre d'électeurs ait doublé a été à l'origine de démarches, tant sur le plan fédéral que sur celui des cantons, visant à augmenter le nombre des signatures requises au lancement des initiatives et référendums [20]. Par égard pour les citoyennes, le canton d'Argovie abolit l'obligation de vote, autrement dit supprima la pénalisation des abstentionnistes [21]..
 
[1] Cf. APS, 1970, p. 13.
[2] Partis: PRDS (TdG, 292, 14.12.70; Bund, 292, 14.12.70); PSS (NZZ, ats, 14.11.71); PDC (Vat., 7, 11.1.71); PAB (GdL, ats, 7, 11.1.71); Indépendants (GdL, ats, 10, 14.1.71); PdT (VO, 14, 19.1.71); Evangéliques (NZZ, ats, 38, 25.1.71); Libéraux (GdL, 28, 4.2.71). — Associations: USS (NZZ, ats, 604, 29.12.70); FSE (Tw, 15, 20.1.71); Union des paysannes suisses (GdL, ats, 21, 27.1.71).
[3] PAB de Schaffhouse (NZ, 38, 25.1.71); PRD d'Appenzell Rhodes-Extérieures (NZZ, ats, 28, 19.1.71).
[4] NZZ (ats), 14, 11.1.71. Plusieurs comités cantonaux se sont constitués pour combattre le projet: NZZ (upi), 22, 15.1.71 (Argovie); NZZ (ats), 38, 25.1.71 (Berne); 49, 31.1.71 (Lucerne); 51, 1.2.71 (Grisons) et autres.
[5] Sur la presse romande, cf. TLM, 33, 2.2.71; radio et télévision: NZZ, 56, 4.2.71.
[6] Le Conseil fédéral a répondu affirmativement à une petite question du CN Cevey (rad., VD) qui lui demandait de participer activement à la campagne électorale: cf. GdL, 22, 28.1.71; discours du CF von Moos in Documenta Helvetica, 1971, no 1, p. 27 ss., 45 ss. Pour Fribourg, cf. Lib., 92, 20.1.71.
[7] NZZ (upi), 22, 15.1.71; NZN, 17, 22.1.71.
[8] Vat., 25, 1.2.71; TLM, 33, 2.2.71; Lb, 28, 3.2.71.
[9] Egalité naturelle: St. Galler Tagblatt, 16, 21.1.71; NZZ, 51, 1.2.71; TLM, 36, 5.2.71; aptitude: TdG, 22, 28.1.71; TLM, 34, 3.2.71.
[10] TLM, 24, 24.1.71; TdG (ats), 28, 4.2.71.
[11] JdG, 25, 1.2.71; GdL, 28, 4.2.71.
[12] 621.109 oui contre 323.882 non, participation de 57,7 %; 6 1/2 cantons ont rejeté le projet: AR, AI, GL, OW, SG, SZ, TG, UR. Cf. Annuaire statistique de la Suisse, 1971, p. 553, 556; Bund, 38 et 39, 16 et 17.2.71.
[13] Cf. infra, p. 155 s.
[14] NZZ (ats), 148, 30.3.71.
[15] Nouvelle appellation: Association suisse pour les droits de la femme (GdL, ats, 118, 24.5.71; NZZ, 237, 25.5.71).
[16] Tw, 1, 4.1.71; Vat., 12, 16.1.71.
[17] MARIE-THERESE LARCHER-SCHELBERT, « Die helvetische Landschaft nach der politischen Gleichberechtigung der Frau », in Schweizer Rundschau, 70/1971, p. 290 ss.
[18] Alliance de sociétés féminines suisses, Fédération suisse des femmes protestantes, Ligue suisse des femmes catholiques, Société d'utilité publique des femmes suisses; GdL, 258, 5.11.71; Tat, 262, 8.11.71; Lb, 304, 30.12.71.
[19] Critiques: Ww, 44, 3.11.71; AZ, 259, 5.11.71; GdL, 261, 9.11.71; NZ, 525, 14.11.71. Cf. motion Tanner (ind., ZH) et postulat Tschopp (pdc, BS) (Délib. Ass. féd., 1971, V, p. 40 s.).
[20] Cf. réponse favorable du CF von Moos à l'interpellation Nänny (rad., AR) au CE (Bull. stén. CE, 1971, p. 411 ss.) et modifications constitutionnelles dans les cantons de Nidwald et du Valais (cf. infra, p. 160 s.).
[21] Cf. infra, p. 155 s.