Année politique Suisse 1972 : Grundlagen der Staatsordnung / Rechtsordnung
 
Droits fondamentaux
En 1972, la Suisse effectua deux pas importants dans le développement des droits de l'homme : la signature de la Convention européenne, et la reconnaissance, du moins par les Chambres fédérales, d'un premier droit social constitutionnel, le droit à la formation.
Comme il l'avait annoncé, le Conseil fédéral soumit au parlement, en février, un rapport complémentaire sur la question de l'adhésion de la Suisse à la Convention européenne des droits de l'homme [1]. On y soulignait que cette adhésion était rendue nécessaire par les récentes démarches effectuées par la Suisse en vue d'un rapprochement plus étroit avec les Communautés européennes [2]. Alors qu'en 1968 le Conseil fédéral avait eu l'intention de signer la Convention et l'ensemble des protocoles additionnels qu'elle comprenait — tout en formulant les réserves nécessaires — cette fois il proposa d'écarter provisoirement certains protocoles afin de réduire le nombre des réserves à formuler. Toutefois, il se déclara très favorable à la reconnaissance du droit de requête individuel auprès de la Commission des droits de l'homme, ainsi qu'à celle du caractère obligatoire de la juridiction de la Cour. Il demanda à ce que la signature intervînt encore durant l'année ; quant à la procédure de ratification, elle ne serait introduite qu'après la votation populaire sur la suppression des articles confessionnels d'exception. Les deux Chambres approuvèrent les propositions du Conseil fédéral ; seules quelques voix s'élevèrent contre la nouvelle instance juridique pour en contester le prétendu caractère supranational. Au Conseil national, les libéraux estimèrent que cette question devait faire l'objet d'une votation populaire ; du côté socialiste, on présenta une motion demandant la signature de tous les protocoles complémentaires, ce qui impliquerait notamment des réserves quant au droit de vote des femmes et quant à l'élection au bulletin secret de toutes les autorités législatives [3]. Les documents présentés par le Conseil fédéral furent signés en décembre [4].
Pour adapter le plus rapidement possible la législation suisse en matière de liberté individuelle, un postulat Gerwig (ps, BS) réclama un projet de loi fédérale permettant de supprimer d'un coup tous les obstacles des dispositions cantonales sur l'internement administratif, préventif, etc. Mais le Conseil fédéral s'opposa à l'élaboration d'un nouveau projet de loi en faisant valoir que l'évolution actuelle de la jurisprudence du Tribunal fédéral ainsi que celle des législations fédérale et cantonale allaient dans le sens du postulat [5]. Dans un secteur particulier, celui de la protection de la vie privée contre l'emploi abusif de l'ordinateur, le gouvernement proposa la création d'une commission d'experts. Les ministres de la justice des pays membres du Conseil de l'Europe de même que la Société suisse des juristes se sont également inquiétés du danger que représente le libre accès aux renseignements ainsi enregistrés sur la vie privée des citoyens [6].
Après le rejet en 1970 par les autorités fédérales, par le peuple et les cantons d'une initiative en faveur d'un droit au logement, les deux Chambres ont accepté sans grande opposition en 1972 le projet gouvernemental visant à inscrire dans la Constitution un premier droit social relatif à l'enseignement. Nous en exposerons ailleurs les modalités [7]. Ce changement d'attitude à l'égard des droits sociaux fut facilité par le fait que depuis plus de cent ans, en Suisse, c'est l'Etat qui est responsable de l'instruction, à l'encontre des autres droits sociaux, par exemple au travail et à l'habitation. Ainsi pouvait-on considérer ce nouveau droit non seulement comme une déclaration d'intention, mais encore — du moins en partie — comme un droit individuel que l'on pouvait réclamer ; toutefois le chef du DFI autant que les juristes par lui consultés soulignèrent qu'il y avait lieu d'en préciser encore le contenu du point de vue de la législation ou de la jurisprudence [8].
Dans ses Grandes lignes de politique gouvernementale pour la législature 1971-1975, le Conseil fédéral se fit l'écho d'un sentiment largement répandu : on se plaint de voir l'individu livré sans défense à la force des événements. En vue d'accroître la participation de l'individu à la protection du domaine personnel, il annonça, entre autres, son intention de faciliter le recours de droit public. Comme on se plaignait que beaucoup de citoyens hésitent à recourir aux moyens juridiques que fournit le droit civil, par suite des difficultés et des risques financiers liés à une telle procédure, le Conseil fédéral manifesta son intention d'entreprendre une enquête sur l'efficacité du droit privé dans la garantie du libre épanouissement de la personnalité [9].
 
[1] FF, 1972, I, no 13, p. 989 ss. Cf. APS, 1971, p. 15.
[2] Cf. APS, 1968, p. 23 s. ; 1969, p. 13 s. ainsi qu'infra, p. 36 ss.
[3] BO CN, 1972, p. 1697 ss. ; BO CE, 1972, p. 774 ss. Le CN adopta sous forme de postulat la motion Eggenberger de 1971, reprise par M. Muheim (ps, LU) (Délib. Ass. féd., 1972, IV, p. 25 ; cf. APS, 1971, p. 15, note 61).
[4] NZZ, 598, 22.12.72 ; TG, 300, 22.12.72.
[5] BO CN, 1972, p. 1568 ss. Cf. infra, p. 19.
[6] Cf. la réponse à la motion Bussey (ps, VD), adoptée sous forme de postulat par le CN (BO CN, 1972, p. 2127 ss.). Conférence des ministres de la Justice : NZ, 219, 18.5.72 ; JdG, 118; 23.5.72. Société suisse des juristes (SSJ) : Edmond Bertrand, Edouard Houtart, Spiros Simitis, s L'informatique au service du droit a, in SSJ, Rapports et communications, 106/1972, fasc. 3, p. 401 ss. Cf. aussi Pierre Hessler, « Datenverarbeitung und Datenschutz a, in Verwaltungs-Praxis, 26/1972, p. 131 ss.
[7] Cf. les nouveaux articles constitutionnels sur la formation, infra, p. 127 s. ; sur le droit au logement, cf. APS, 1970, p. 12 s., 120 ss.
[8] Cf. notamment FF, 1972, I, no 6, p. 415 ss., les interventions du CF Tschudi au CE (BO CE, 1972, p. 131 s., 582 s.), ainsi que les expertises de Kurt Eichenberger et Peter Saladin et l'article de Thomas Fleiner, cités infra, p. 128, note 6.
[9] FF, 1972, I, no 15, p. 1067.