Année politique Suisse 1972 : Grundlagen der Staatsordnung / Institutionen und Volksrechte
 
Gouvernement
Les débats relatifs aux Grandes lignes de la politique gouvernementale furent l'occasion d'examiner le développement des organes fédéraux et de leurs rapports mutuels. Le Conseil fédéral qui, à la suite de la motion Schürmann (pdc, SO), avait fait en 1968 une première tentative de programme gouvernemental à moyen terme, était tenu, de par la révision de 1970 relative à la loi sur les rapports entre les conseils, d'exposer ses objectifs pour la nouvelle législature et d'établir un ordre de priorités. Le chancelier Huber, à qui incombait principalement l'élaboration de ce programme, se fonda pour l'essentiel sur les études prospectives que le Conseil fédéral avait demandées au groupe de travail Kneschaurek ; il s'assura en outre le concours de personnalités intéressées à la politique et de tendance les plus variées afin de formuler certaines idées directrices [1]. De cette manière l'on put placer en tête de l'inventaire des tâches gouvernementales un aperçu des tendances à long terme ainsi que des champs de tensions, et concevoir de grands ensembles d'objectifs, communs parfois à plusieurs départements. En conclusion, on put démontrer le caractère particulièrement urgent de certaines tâches et annoncer la publication de plus de 80 messages et rapports pour les années 1972 à 1974. On insista sur la nécessité de maîtriser les effets de la croissance économique sur la société et l'environnement, et l'on souligna le besoin ressenti par l'Etat de ressources financières nouvelles [2].
Le nouveau programme gouvernemental — il en sera encore question dans divers chapitres — fut salué dans la presse et au parlement d'une manière presque unanime comme un progrès par rapport à l'esquisse de 1968. Quelques critiques déplorèrent l'absence d'un ordre clair de priorités. D'autres contestèrent le fait qu'on se soit fondé sur l'autorité du professeur Kneschaurek et critiquèrent l'ampleur du programme [3]. Les Chambres fédérales furent convoquées fin avril à une session extraordinaire afin de débattre, séparément, des Grandes lignes, après avoir — comme la loi le prévoit — entendu en commun le discours d'ouverture du président de la Confédération. Au Conseil national, à l'exception des nouveaux groupements de droite, tous les groupes parlementaires se déclarèrent prêts à prendre acte ; les partis bourgeois allèrent même jusqu'à l'approbation expresse. Les démochrétiens et les socialistes regrettèrent que le rapport ne se référât pas au dénommé contrat de législature dont étaient convenus les partis au pouvoir et soulignèrent le large accord de fond existant entre les deux programmes. En revanche, les indépendants qui, en 1968, s'étaient plaints de ce que les Grandes lignes ne fussent pas soumises à l'approbation du parlement, s'en prirent cette fois aux partis gouvernementaux en soulignant que leur entente portait préjudice à la liberté de décision du législatif. Ce furent les républicains qui exigèrent à leur tour du parlement qu'il s'engageât par une décision, car les options proposées par le Conseil fédéral leur paraissaient dangereuses. Le promoteur des Grandes lignes, Schürmann (pdc, SO), se prononça aussi en faveur d'une revitalisation du parlement et un regroupement des forces en deux camps : partis gouvernementaux d'une part, opposition d'autre part. Il suggéra le recours à des votes consultatifs au sujet d'un ordre précis de priorités. Après le refus de deux propositions de renvoi, le Conseil national s'enlisa dans les détails de la politique concrète, fait qui ne contribua guère à renforcer la position du législatif. Le président de la Confédération, N. Celio, recommanda à la Chambre du peuple de suivre à l'avenir une procédure moins vétilleuse. Elle le fut effectivement moins au Conseil des Etats [4].
L'accord passé entre les partis gouvernementaux au sujet d'un contrat de législature fut signé avant la publication même des Grandes lignes. Ce fut l'occasion de rivalités quelque peu mesquines sur la paternité du programme : les radicaux se targuèrent des démarches entreprises en 1966 pour un programme minimum ; le PDC fit remarquer qu'il avait proposé des négociations interpartis dans son programme d'action de 1971, tandis que les socialistes soulignaient qu'ils avaient introduit dans la convention des exigences dont ils surveilleraient l'exécution. Dans les milieux de l'UDC, on se félicita de n'avoir pas attendu grand-chose de telles tractations [5]. Par la suite, les prises de contact prévues entre les quatre partis et entre leurs groupes aboutirent tout de même [6].
La procédure de consultation ayant été prolongée, le Conseil fédéral ne fut pas en mesure de trancher la question qu'on lui avait posée de savoir si un même canton pourrait désormais avoir plus d'un membre en son sein [7]. Par ailleurs, le conseiller national Schwarzenbach (mna, ZH) demanda à ce que les conseillers fédéraux en exercice soient soumis à des scrutins populaires et périodiques de confirmation. Sa requête, présentée fin 1971 sous la forme d'une initiative parlementaire, fit l'objet d'une initiative populaire en automne. Elle fut lancée en même temps que la nouvelle initiative du MNA contre l'emprise étrangère, mais elle ne fut pas appuyée par tous les conseillers nationaux du parti [8]. S'il s'agissait là d'une manoeuvre permettant le retrait de magistrats en perte de popularité, il en alla autrement pour le conseiller fédéral Celio, qui avait annoncé sa retraite pour la fin de l'année ; de nombreux milieux lui témoignèrent leur confiance, à quoi il répondit en novembre en décidant de rester au gouvernement, tout en faisant valoir des arguments d'ordre plus objectif [9].
Lorsque le Conseil fédéral renonça à l'acquisition d'un nouvel avion de combat — à la suite d'une procédure d'évaluation qui avait duré six ans — beaucoup y virent un symptôme de l'insuffisance du système gouvernemental. D'un côté, on reprocha au collège des sept de ne pas être intervenu assez tôt dans les travaux de l'administration ; d'un autre côté, on ne manqua pas, ceci dans la patrie de Paul Chaudet (l'ancien conseiller fédéral, qui devait son échec à l'acquisition des Mirages), de relever la prétendue erreur commise par le parlement en 1964 [10].
 
[1] Cf. Leo Schürmann, «  Die Auswirkungen der Richtlinien für die Regierungspolitik auf die Bundesverwaltung », in Verwaltungs-Praxis, 27/1973, p. 3 ss. ainsi que APS, 1968, p. 8 ss. ; 1970, p. 19 et 1971, p. 19.
[2] FF, 1972, I, no 15, p. 1021 ss.
[3] Critiques à l'ordre de priorités établi : NZ, 148, 29.3.72 ; TG, 75, 29.3.72 ; Bund, 76, 30.3.72 ; NZZ, 154, 2.4.72 ; TA, 84, 11.4.72. Sur les études prospectives, cf. article du professeur W. Wittmann, in NZ, 151, 2.4.72, ainsi que BO CN, 1972, p. 510, 513 s., 523.
[4] Débats au CN : BO CN, 1972, p. 502 ss., 590 ss., 632 ss. Les propositions de renvoi (Schwarzenbach, mna, ZH, et Oehen, an, BE) furent toutes deux rejetées par 124 voix contre 8. Débats au CE : BO CE, 1972, p. 243 ss. Appréciation des débats : Vat., 98, 27.4.72 ; 99, 28.4.72 NZZ, 197, 28.4.72 Tw, 100, 29.4.72 ; TG, 101, 1.5.72.
[5] Cf. APS, 1971, p. 19 ; Bund, 57, 8.3.72 ; Tw, 57, 8.3.72 ; NBZ, 59, 10.3.72. Texte intégral Tw, 56, 7.3.72 ; résumé en français : TLM, 61, 1.3.72.
[6] Cf. mention du CN Franzoni (BO CN, 1972, p. 511 s.).
[7] NZZ (ats), 340, 24.7.72. Cf. APS, 1971, p. 21.
[8] Der Republikaner, 11, 4.8.72 ; 13, 15.9.72. Cf. APS, 1971, p. 20 ; NZZ (dds), 435, 18.9.72 GdL (ats), 219, 19.9.72. Sur l'autre initiative, cf. infra, p. 114.
[9] Ldb, 118, 25.5.72 ; AZ, 203, 30.8.72 ; Lih., 279, 31.8.72 ; Ostschw., 224. 23.9.72 ; TA, 233, 6.10.72 ; TG, 258. 3.11.72. Cf. APS, 1971, p. 20. Un recueil de discours des années 1967 à 1971 publié au printemps (Nello Celio, Démocratie en marche, Frauenfeld 1972) connut aussitôt une deuxième édition (NZZ, ats, 234, 23.5.72).
[10] NBZ, 214, 12.9.72 ; TA, 213, 13.9.72 ; NZZ, 505, 29.10.72. Critiques vaudoises : GdL, 217, 15.9.72 ; 218, 16/17.9.72. Cf. infra, p. 52 s., et APS, 1965, in ASSP, 6/1966, p. 142 ss. et 150.