Année politique Suisse 1973 : Grundlagen der Staatsordnung / Rechtsordnung
 
Articles confessionnels
Le scrutin fédéral sur la suppression des articles confessionnels fut précédé d'une campagne animée qui a duré trois mois. Les organisations politiques et ecclésiastiques se sont ralliées dans leur grande majorité à la proposition des autorités fédérales. Les grands partis nationaux, de même que l'Alliance des indépendants, les libéraux-démocrates et le PdT se sont prononcés pour le « oui » ; les grands partis bourgeois et l'Alliance l'ont fait dans des assemblées de délégués. La Conférence des évêques de Suisse et l'Union catholique populaire ne furent pas les seuls à se joindre à eux ; il y eut aussi la Fédération des Eglises protestantes, la Communauté de travail des Eglises chrétiennes et, avec certaines réserves, le « Volksbund » protestant. Sur le plan cantonal, en revanche, le front des partis favorables à la suppression offrait quelques brèches. Ce fut le cas notamment de l'Union démocratique du centre, dont les sections cantonales les plus importantes (Berne et Zurich) optèrent pour la liberté de vote ; ce fut le cas aussi des radicaux neuchâtelois et des socialistes d'Argovie et de Bâle-Campagne. Trois partis nationaux se prononcèrent aussi pour la liberté de vote : les républicains, l'Action nationale et le Parti évangélique populaire ; certains groupements cantonaux de ces deux dernières formations rallièrent le camp des adversaires [17].
La campagne fut menée cependant moins par les partis que par divers comités d'action, les adversaires s'étant déjà organisés l'année précédente [18]. Par des assemblées et des manifestations de rue, des débats publics, des tracts, des articles de journaux et des annonces publicitaires, les adversaires tracèrent l'image d'un Ordre des jésuites à tenir à l'écart de la Suisse car commandé de l'étranger, hostile à la Constitution et secrètement avide de puissance. Souvent, ils invoquèrent le système hiérarchique de l’Eglise catholique et sa prétention de détenir seule la totalité de la vérité dogmatique, ainsi que la soif de pouvoir d'un « catholicisme politique » comme autant d'arguments en faveur du maintien des articles. Cette campagne d'hostilité mobilisa nombre d'éléments émotionnels au sein de la population non catholique contre le projet des autorités ; en outre, les opposants reprochèrent au Conseil fédéral et aux moyens de communications de masse d'être partiaux et de manipuler l'opinion publique. Les défenseurs, pour leur part, soulignèrent le caractère discriminatoire des articles d'exception, à l'égard des ordres comme de I'Eglise catholique-romaine en général, et relevèrent les changements intervenus au sein de cette Eglise après le Deuxième Concile du Vatican [19]. Arguments appuyés sur la riche documentation qui leur fut apportée, un mois avant la votation, par la publication, depuis longtemps attendue, de la partie essentielle du rapport du professeur Kägi, sur lequel se fondait le projet [20].
Le scrutin du 20 mai, relativement peu fréquenté, fit apparaître une mince majorité en faveur de la suppression des articles [21]. La décision fut de caractère nettement confessionnel : les catholiques-romains adoptèrent le projet à une majorité écrasante, les autres le rejetèrent dans la proportion de un à trois, les réformés de Suisse septentrionale et orientale donnant une minorité acceptante plus forte que ceux de Suisse occidentale. Le résultat fut enregistré avec satisfaction par les autorités, la presse et aussi par l'Ordre des jésuites ; dans les milieux réformés, les voix ne manquèrent pas pour relever l'insuffisance des efforts oecuméniques au sein du protestantisme suisse [22].
 
[17] Pour les consignes, cf. Ldb (ats), 110, 15.5.73 ; Bund, 129, 5.6.73. Le « non » fut recommandé par l'AN de TG ainsi que par les évangéliques de BE, BL et TG, tandis que les évangéliques de BS plaidèrent pour le « oui ».
[18] Cf. APS, 1972, p. 16. Signalons parmi les opposants le Comité d'action pour la souveraineté nationale et l'autonomie spirituelle du citoyen (CASNAC) en Suisse romande et l'« Aktionskomitee für die Wahrung des konfessionellen Friedens durch die Staatsschutzartikel » (AWFS) en Suisse alémanique ; un comité sous la présidence du CN Dürrenmatt (lib., BS) s'est prononcé en faveur de la suppression.
[19] Manifestations de rue : Bund, 59, 12.3.73 ; NZZ, 219, 14.5.73. Débats publics : NZZ, 85, 21.1.73 ; 203, 4.5.73 ; 212, 9.5.73. Articles de presse des opposants : Bund, 97, 27.4.73 ; 108, 10.5.73 ; BN, 107, 9.5.73 ; NZ, 144, 10.5.73 ; 151, 16.5.73 ; TLM, 132, 12.5.73. Pour l'argumentation favorable, cf. notamment Civitas, 28/1972-73, no 8, p. 483 ss.
[20] Werner Kägi, Gutachten zum Jesuiten- und Klosterartikel der Bundesverfassung, Bern 1973 (traduction française réduite : Consultation concernant les articles constitutionnels sur les jésuites et les couvents, Berne 1973). Cf. APS, 1969, p. 16.
[21] L'abrogation fut acceptée par 791 076 contre 648 924 voix et par 16 1/2 contre 5 1/2 cantons. La participation fut de 40,3 %. Cantons rejetants : VD, NE, BE, ZH, SH, AR (FF, 1973, I, no 26, p. 1605 ss.).
[22] Commentaires : ensemble de la presse du 21.5.73 et NZZ, 235, 23.5.73 (Pedro Arrupe, supérieur général des jésuites). Analyses : Bund, 128, 4.6.73 ; 129, 5.6.73 ; Reformatio, 22/1973, p. 455 ss. ; Marc Wyss, Un aspect de la résistance au changement en Suisse : laffaire des Jésuites (multigr.).