Année politique Suisse 1973 : Grundlagen der Staatsordnung / Föderativer Aufbau
Question territoriales
La question jurassienne, cette année encore, s'est trouvée placée sous le signe de l'alternative bernoise fondée sur le programme du 17 mars 1967 et concrétisée, pour une première partie, dans l'additif constitutionnel de 1970: autonomie dans le cadre de l'Etat bernois ou création d'un nouveau canton. Vu les relations de majorité dans les districts jurassiens, cette possibilité de choix signifie pour le Jura qu'il lui faut se prononcer sur le maintien de son unité ou sur son éclatement. En dépit de tentatives de conciliation, le cours des choses a abouti à un durcissement des fronts ainsi qu'à un certain renforcement de la position bernoise
[17].
Du côté
séparatiste, ainsi qu'on l'avait annoncé l'année précédente, un « gouvernement jurassien d'opposition » a été créé. L'assemblée des délégués du Rassemblement jurassien (RI) a désigné en janvier R. Béguelin, R. Jardin et R. Schaffter comme e formateurs » d'un tel organe ; en juin, le comité directeur en a approuvé la composition qui tient compte de tous les partis d'une certaine importance au Jura, UDC mise à part. Ce e gouvernement d'opposition s, dont les 24 membres demeurent pour la plupart inconnus, a peu fait parler de lui ; dans une proclamation, il a incité le e peuple jurassien » à manifester sa force en descendant dans la rue
[18]. Les séparatistes n'ont pas pris part à la discussion du statut du Jura tel qu'il a été présenté en 1972 par le Conseil-exécutif ; à de rares exceptions près, leurs députés au Grand Conseil ont renoncé à participer à la préparation du statut dans le cadre de la députation jurassienne. En revanche, on a redemandé une intervention de la Confédération : d'une part par la voie d'une motion du conseiller national séparatiste Wilhelm (pdc), de l'autre par le lancement d'une pétition aux autorités fédérales
[19]. Parallèlement, les députés séparatistes au Grand Conseil ont invité tous les parlements cantonaux à faire pression sur la Confédération et sur le canton de Berne en faveur de la cause du RJ. Ils ont aussi demandé à pouvoir s'entretenir avec le conseiller fédéral Furgler, mais ont renoncé à leur requête car le chef du DFJP ne voulait pas engager la Confédération à intervenir
[20] ; en réponse à la motion Wilhelm devant le Conseil national, il avait souligné que l'article 16 de la Constitution n'autorisait une intervention de la Confédération que dans la mesure où un canton n'est plus à même d'assurer l'ordre public.
La tension s'accrut encore à la suite de
nouvelles actions de l'organisation de la jeunesse séparatiste. Celle-ci donna occasion au conseiller national Ziegler (ps, GE) de défendre, lors de la fête de la jeunesse jurassienne en mai, sa thèse de la double légalité et de mettre en parallèle la lutte des Béliers et la lutte des classes
[21]. Le 3 août, des formations du Bélier ont occupé, en commun avec des membres du groupe wallon « Action », l'ambassade de Suisse à Bruxelles et l'ambassade de Belgique à Berne. L'évacuation des lieux n'a pas provoqué d'incidents ; cependant, la nuit suivante, un certain nombre de Béliers ont pénétré dans le poste de la police cantonale à Delémont afin d'obtenir la mise en liberté des jeunes Belges arrêtés à Berne
[22]. Peu après, le chef du gouvernement bernois Jaberg a été empêché, sous les vociférations et avec force pétards et bombes fumigènes, de prendre la parole au marché-concours de Saignelégier
[23]. Le « Front de libération jurassien » (FLJ) ne fit parler de lui qu'en janvier à l'occasion d'un attentat aux explosifs dans les Franches-Montagnes. En septembre, en revanche, une vingtaine de personnes déguisées ont défilé à Delémont, portant des fusils d'assaut et s'intitulant « Armée jurassienne de libération ». Un attentat nocturne contre le conseiller national antiséparatiste Gehler (udc) a suscité quelque émotion, l'auteur se faisant passer pour un Bélier
[24].
Inquiet des entreprises des Béliers, le gouvernement bernois, peu après les incidents de Saignelégier, demanda un crédit complémentaire pour la mise sur pied d'un corps spécial de la police cantonale ; simultanément, et tout en préconisant une procédure accélérée pour certains types de délits, il sollicita du Tribunal cantonal une enquête, à mener par un juge d'instruction extraordinaire, sur les actes perpétrés par les Béliers. Le Grand Conseil accorda le crédit ; divers orateurs, notamment jurassiens, critiquèrent cependant la procédure gouvernementale comme psychologiquement maladroite ; elle fut effectivement mal accueillie en Suisse romande
[25]. Faisant pendant à la motion Wilhelm, une interpellation Schwarzenbach (mna, ZH) réclama du Conseil fédéral des mesures pénales contre les chefs séparatistes
[26].
Les efforts pour parvenir à un
dialogue sur le statut d'autonomie entre toutes les tendances jurassiennes restèrent vains. Ni la députation jurassienne, boycottée par les séparatistes, ni le PRD, ni le chef démo-chrétien du DFJP n'ont réussi à faire sortir de leur isolement les représentants du PDC à forte majorité séparatiste
[27]. Le Conseil fédéral présenta encore ses bons offices, mais souligna qu'une nouvelle médiation ne pourrait prendre les aspects d'un arbitrage
[28].
En novembre, le
statut du Jura fut traité par le Grand Conseil bernois. Les propositions de l'exécutif, généralement sous forme de mandat donné par le parlement au gouvernement pour l'élaboration de dispositions constitutionnelles et de lois, n'ont pas été acceptées sans modification. Ainsi, le législatif a rejeté la création d'un cercle jurassien pour l'élection au Conseil national, idée examinée pourtant déjà avec soin sur le plan fédéral. D'autre part, il s'est prononcé, contrairement à la proposition du gouvernement, pour la création d'un parlement régional jurassien, sans cependant lui fixer ses compétences. En garantissant constitutionnellement le siège jurassien au Conseil des Etats, il est allé également au-delà de l'offre du Conseil-exécutif. Pour le reste, il s'est rallié à ce dernier ; des propositions allant plus loin dans les concessions, qu'elles viennent de représentants de la Troisième force, du PRD ou de l'Alliance des indépendants, ne furent pas suivies
[29]. Les exigences minimales formulées par le Mouvement pour l'unité du Jura (MUJ) au sujet d'un statut du Jura — élection des conseillers d'Etat et des députés aux Chambres fédérales dans un cercle jurassien, formation d'un Conseil jurassien doté de compétences consultatives ou législatives pour toutes les affaires concernant le Jura — n'ont, et de loin, pas été remplies. Dans la presse, on a notamment imputé à la volonté de puissance d'une alliance rouge et verte (PS-UDC) le veto mis à la constitution d'un cercle jurassien pour les élections au Conseil national. Le porte-parole des députés séparatistes, lesquels se sont abstenus de toute participation à la discussion de détail, a déclaré que le Grand Conseil avait brisé la Troisième force
[30].
Ainsi que le demandait un postulat adopté en fin de débats, le Conseil-exécutif a mis en vigueur, avant même la fin de l'année, l'additif constitutionnel de 1970 et a ordonné lui-même un
plébiscite, fixé au 23 juin 1974, sur la question de la séparation. Pour motiver sa décision, il a fait valoir qu'il ne croyait plus en une possibilité d'accord ; il s'est référé en outre à une recommandation de la commission Petitpierre formée en 1968
[31]. L'accueil par l'opinion publique suisse fut mitigé ; de manière générale on n'attendait guère de solution résultant de la décision bernoise
[32]. Dans le Jura, seuls les antiséparatistes se déclarèrent satisfaits ; san tarder, ils ont constitué un comité d'action en vue de la campagne plébiscitaire
[33]. Le MUJ, en revanche, avait déjà décidé, à l'issue du débat au Grand Conseil sur le statut d'autonomie, de boycotter le plébiscite en recommandant de voter blanc ou de s'abstenir
[34]. C'est le RJ qui avait incité le gouvernement bernois, lors de la fête du peuple jurassien en septembre, de mettre en vigueur l'additif constitutionnel et d'organiser ainsi « son plébiscite ». Alors que le secrétaire général Béguelin expliquait cette invitation comme une provocation destinée à mettre en évidence l'impuissance bernoise, une tendance opposée apparut au sein du mouvement séparatiste préconisant, dans un premier temps, la création d'un canton du Jura-Nord
[35].
Un mouvement de sécession de moindre envergure éclata aussi en Obwald, où la
commune d'Engelberg, coupée du reste du territoire cantonal, s'estime lésée dans l'élection des autorités. Le Conseil communal a envisagé un rattachement au canton limitrophe de Nidwald et a ordonné une expertise de droit constitutionnel à cet égard
[36].
[17] Cf. APS, 1967, p. 15 ; 1969, p. 30 ss. ; 1970, p. 26 s. Pour les événements, cf. Cercle d'études historiques de la Société jurassienne d'Emulation, Chronique jurassienne 1973, 1974.
[18] Jura libre, 1139, 24.1.73 ; 1161, 27.6.73 ; 1167, 29.8.73 (proclamation) ; 1171, 26.9.73 (deuxième déclaration). Cf. APS, 1972, p. 28.
[19] Députation jurassienne : TLM, 70, 11.3.73 ; 158, 7.6.73 ; 297, 24.10.73. Motion Wilhelm : BO CN, 1973, p. 804 ss. Pétition : Jura libre, 1161, 27.6.73.
[20] Démarches des députés : TLM, 171, 20.6.73. Renonciation à l'entretien : Jura libre, 1175, 24.10.73 ; TLM, 299, 26.10.73.
[21] Jura libre, 1155, 16.5.73 ; cf. APS, 1970, p. 188. Pour l'activité des Béliers, cf. aussi TLM, 57, 26.2.73 ; 152, 1.6.73 ; TG, 89, 16.4.73 ainsi que Jura libre, 1182, 12.12.73 (les 7 CF brillés en effigie).
[22] TLM, 216, 4.8.73 ; 217, 5.8.73 ; NZZ, 357, 5.8.73.
[23] Bund, 187, 13.8.73 ; TLM, 225, 13.8.73.
[24] FLJ : TG, 7, 10.1.73 ; 9, 12.1.73 ; cf. APS, 1972, p. 27 s. Défilé : TLM, 263, 20.9.73. Attentat contre M. Gehler : TG, 127, 4.6.73 ; BO CN, 1973, p. 501.
[25] Demandes du Conseil-exécutif : Bund, 192, 19.8.73. Grand Conseil : Bund, 219, 19.9.73. Echos de presse : TA, 190, 18.8.73 ; TLM, 230, 18.8.73 ; GdL, 192, 18/19.8.73 ; TG, 192, 18/19.8.73.
[26] BO CN, 1973, p. 1350 ss.
[27] Députation : TLM, 157, 6.6.73. PRD : GdL (ats), 131, 7.6.73. M. Furgler : BO CN, 1973, p. 820 ss. Réunions des autres partis : TLM, 185, 4.7.73 ; GdL (ats), 435, 20.9.73.
[28] Cf. notamment réponse au postulat Masoni (pdc, TI) : BO CN, 1973, p. 1353 s.
[29] Bund, 273-275, 278, 279, 21-28.11.73. Cf. APS, 1972, p. 28 s. et supra, p. 20 s.
[30] Revendications du MUJ : GdL, 23, 29.1.73. Alliance UDC-PS : Bund, 279, 28.11.73 ; Vat., 279, 1.12.73. Députés séparatistes : Lib., 50, 28.11.73 ; TLM, 332, 28.11.73.
[31] Conseil-exécutif : Bund, 297, 19.12.73. Postulat : Bund, 279, 28.11.73. Sur la commission Petitpierre, cf. APS, 1968, p. 19 ; 1971, p. 26 s.
[32] Cf. notamment Bund, 297, 19.12.73 ; GdL, 296, 19.12.73 ; Ostschw., 297, 19.12.73 ; TG, 296, 19.12.73 ; Tw, 297, 19.12.73 ; BN, 301, 22.12.73 ; NZZ, 596, 23.12.73.
[33] Prises de position : GdL (ats), 296, 19.12.73 ; NZZ (ats), 591, 20.12.73. Comité d'action : Journal du Jura, 299, 21.12.73 (annonce). A noter aussi la formation d'une nouvelle organisation de jeunesse antiséparatiste « Sanglier » : GdL, 293, 15/16.12.73 ; TA, 293, 17.12.73.
[35] Fête du peuple jurassien : Jura libre, 1169, 12.9.73 ; 1170, 19.9.73. Béguelin : Ww, 52, 28.12.73. Tendance favorable à un canton du Jura-Nord : Jura libre, 1170, 19.9.73 ; 1171, 26.9.73 : Lib., 70,22/23.12.73.
[36] Vat:, 114, 17.5.73 ; 116, 19.5.73.
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