Année politique Suisse 1973 : Allgemeine Chronik / Landesverteidigung / Défense nationale et société
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Politique de sécurité de la Suisse
Pour l'Etat moderne, aux prises avec des tensions idéologiques, politiques et sociales quasi constantes voire avec des crises et des conflits déclarés, seule une stratégie globale de sécurité permet d'assurer à l'individu et à la société protection durable et plein épanouissement. C'est ainsi que le Conseil fédéral justifie, dans son rapport très remarqué du 27 juin 1973 sur la politique de sécurité de la Suisse, la présentation d'une conception d'ensemble, inexistante jusqu'ici, de la « défense générale » du pays [1]. Le lien qu'il établit ainsi avec les autres secteurs de l'activité politique nationale, celui notamment de la conduite de nos relations extérieures, est donc capital. Les conséquences, positives ou négatives, qui en découlent ne le sont pas moins, ce qui explique, à côté de la nouveauté du document, l'intérêt suscité par sa publication. Fruit d'un travail collégial, ce premier livre blanc de la défense générale helvétique — le rapport de 1966 concernait la seule défense militaire — constitue la doctrine gouvernementale en la matière. L'emploi du terme de « sécurité » est peut-être révélateur d'une certaine évolution — ouverture plus grande au monde _ et en tout cas significatif d'une volonté d'innovation à mettre en rapport avec les efforts accomplis en ce moment sur le vieux continent pour bannir la guerre froide entre l'Est. et l'Ouest, qu'il s'agisse des négociations de Genève sur la limitation des armes stratégiques (SALT), de celles de Vienne sur la réduction des troupes en Europe (MBFR) et surtout du déroulement, en Finlande puis en Suisse, de la Conférence de sécurité et de coopération européenne (CSCE) à laquelle notre pays, de façon très active, participe [2].
Sur la base, considérée comme immuable, de la neutralité armée [3], le rapport définit d'abord les objectifs : maintien de la paix dans l'indépendance (rejet de la non-violence érigée en principe absolu), de la liberté d'action, protection de la population, défense du territoire national. Il distingue ensuite divers types de menace — état de paix relative, guerre indirecte, guerre classique, recours aux moyens de destruction massive, chantage - pour opposer à chacun une riposte « proportionnée » et fixer aussi d'autres objectifs, généraux ou particuliers, d'une stratégie de défense, la dissuasion principalement. Les moyens correspondants, coordonnés et engagés tour à tour selon une certaine progression, sont d'ordre interne (au premier chef les quatre piliers de la défense nationale, mais aussi la recherche polémologique) [4] et externe (politique étrangère et diplomatie). Sont ensuite examinés les problèmes relatifs à la conduite de la défense où sont abordés, entre autres, les rapports du politique et du militaire (priorité du premier sur le second). Un chapitre de conclusion dresse l'inventaire, à vrai dire impressionnant, des principes essentiels en matière de sécurité : de la volonté d'indépendance, condition sine qua non du comportement défensif, à l'esprit de sacrifice suprême en passant par la ténacité au combat, la guérilla, la résistance non violente, la collaboration éventuelle avec l'adversaire de notre agresseur, entre autres.
L'accueil réservé au texte gouvernemental, bien que généralement favorable, a été d'inégale chaleur. Dans l'ensemble, les milieux conservateurs se sont montrés plus positifs à son égard que les milieux progressistes. Ces derniers lui ont notamment reproché de n'être que la version embellie d'une doctrine traditionnelle plus ou moins implicite [5]. Certains auraient préféré à la prudente et rapide approche de la situation stratégique en Europe une analyse plus poussée voire des prises de position plus nettes [6]. D'autres se sont demandé, en dépit des assurances contraires données par le Conseil fédéral, si une telle conception faisant appel à la quasi-totalité des forces vives du pays ne risquait pas de dégénérer en une « militarisation » de la politique nationale. Certaines de ces critiques, et d'autres, de détail, ont été encore entendues au Conseil des Etats qui a pris connaissance du rapport à sa session d'hiver [7]. Il l'a approuvé sans opposition tout en adoptant un postulat visant à étendre les compétences de la commission des affaires militaires à l'examen des problèmes de la défense générale [8].
La diversité des appréciations dont le document gouvernemental a fait l'objet n'est que l'une des multiples expressions, peut-être exacerbée, de la vive controverse qui, depuis plusieurs années, anime le débat autour d'une défense nationale située en ce moment, comme l'a remarqué un officier supérieur, à la croisée des chemins [9]. La polémique, vue à travers ses péripéties de 1973, touche à nouveau des domaines très variés. Déjà mentionnés ici en 1972, ils ne seront pas répétés et nous renvoyons le lecteur aux chroniques antérieures [10]. En revanche, il convient de dégager certaines lignes de force qui, à la faveur de l'actualité, paraissent profiler l'affrontement entre partisans et adversaires du statu quo dans l'agencement des grandes institutions et structures de notre défense.
 
[1] FF, 1973, II, no 34, p. 103 ss.
[2] Sur la CSCE, cf. supra, p. 37.
[3] La controverse à ce sujet a notamment été développée dans la revue Profil, 52/1973, p. 100 ss. (article de Günther Nenning), 155 s. (Hans Adank) et 174 ss. (Hans Rudolf Hilty).
[4] Sur l'Institut suisse pour l'étude des conflits et le maintien de la paix, cf. supra, p. 40 et infra, p. 136. Cf. aussi Allgemeine Schweizerische Militärzeitschrift, 139/1973, p. 170 ss. (article de Urs Schwarz) et 388 ss. (de Max Arnold, exposant le point de vue socialiste), et surtout Hervé Savon, « L'Institut suisse pour l'étude des conflits et le maintien de la paix », in Etudes polémologiques, Revue française de polémologie, Paris, janvier 1974.
[5] Cf. notamment AZ, 196/197, 24/25.8.73 ; Domaine public, 244, 11.10.73. Autres accents en partie négatifs : Tw, 197, 24.8.73 ; VO, 196, 25.8.73. Parmi les approbations pratiquement sans réserve, citons : Ldb, 194, 24.8.73 ; Lib., 269, 24.8.73 ; 270, 25/26.8.73 ; NBZ, 263, 24.8.73 ; Var., 195, 24.8.73.
[6] Cf. entre autres 7dG, 199, 27.8.73 ; Ww, 35, 29.8.73.
[7] BO CE, 1973, p. 713 ss. C'est le CE L. Guisan (lib., VD) qui a signalé le danger de la « militarisation » (ibid., p. 722). Au CN, une motion Villard (ps, BE) demandant de mettre au pilon les exemplaires restants du Livre dit de la défense civile, au ton incompatible, selon le député, avec une stratégie de paix, a été repoussée à la session d'hiver par 87 voix contre 10 (BO CN, 1973, p. 1694 ss.).
[8] BO CE, 1973, p. 725.
[9] Le colonel commandant de corps G. Lattion, in NZZ, 116, 13.3.73.
[10] Cf. APS, 1972, p. 48 sa.