Année politique Suisse 1973 : Allgemeine Chronik / Landesverteidigung / Défense nationale et société
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Armée et jeunesse
La crise d'identité que traverse notre armée est particulièrement patente au sein de la jeunesse. Comme l'a prouvé une manifestation d'étudiants à l'Université de Berne— le commandant de corps Hirschy, chef de l'instruction militaire, qui se proposait de traiter de « la valeur éducative et civique de l'armée », a été empêché de parler [21] — elle conteste de plus en plus la conception traditionnelle selon laquelle « tout Suisse naît soldat ». Habitée par une inquiétante absence d'enthousiasme et un profond scepticisme, une partie d'entre elle estime en outre légitimes l'effervescence entretenue, l'agitation concertée voire la subversion organisée contre l'une de nos plus anciennes institutions. Le constat en a été fait à Bâle par la Société suisse des officiers lors de son assemblée générale trisannuelle à laquelle, comme le veut la tradition, prennent part les têtes de l'armée et le chef du DMF [22]. On complètera l'analyse par la mention d'une vaste enquête japonaise auprès de 22 000 jeunes de onze pays du globe. Il en ressort que les Suisses interrogés détiennent le record mondial de pessimisme quant à la possibilité d'éviter un nouveau conflit généralisé [23]. On se trouve ainsi dans la situation paradoxale où des représentants de la génération montante, malgré une conscience aiguë des dangers de la guerre, loin de préconiser un renforcement de l'armée, manifestent au contraire à son endroit la réserve la plus extrême sinon une hostilité ouverte. Morosité ? Intoxication ? Défaitisme ? Antimilitarisme agressif plus ou moins téléguidé ? La diversité du diagnostic commande le choix des remèdes à administrer. L'idée, suggérée à Bâle, de la mise sur pied dans l'armée d'une troupe « anti-subversion » a soulevé non seulement une virulente critique de la gauche, mais encore les réserves de M. Gnägi [24]. Ce dernier, opposé à tout travail d'endoctrinement, s'est déclaré plutôt partisan d'une information aussi large et objective que possible, méthode effectivement propre à désamorcer les conflits et à favoriser le dialogue avec la jeunesse contestataire [25]. Politique dont les bienfaits, du moins est-il permis de le penser, se feront aussi sentir sur l'homme de la rue, très ignorant de la chose militaire, comme l'a mis en évidence l'important sondage de Lausanne [26].
Deux grandes tendances, l'une répressive, l'autre préventive, se dessinent en fait dans l'emploi des moyens propres à dissiper l'état d'esprit négatif qui règne dans l'armée et à résoudre les problèmes de discipline qui s'y posent. La première déboucherait sur diverses mesures de caractère plutôt anti-subversif : création d'une brigade spéciale, déjà mentionnée ; renforcement de la gendarmerie d'armée [27] ; durcissement de la justice militaire. La seconde consisterait, d'une part à appliquer la solution de M. Gnägi, d'autre part à étendre ou à mieux protéger les droits du « citoyen-soldat », formule plus ou moins directement préconisée à travers plusieurs démarches parlementaires, notamment l'ambitieux postulat Villard (ps, BE) en faveur d'une démocratisation de l'armée — rejeté en 1973 par 83 voix contre 22 par le Conseil national, échec prévu par l'auteur — et surtout l'initiative Hubacher (ps, BS) du 2 octobre 1973, d'objectif plus limité et d'avenir plus sérieux, visant à améliorer, grâce à l'institution d'un médiateur élu par le législatif fédéral, la situation juridique des hommes astreints au service militaire [28].
 
[21] Bâle : Allgemeine Schweizerische Militärzeitschrift, 139/1973, p. 289. Réactions : cf. zeitschrift, 139/1973, p. 198 ss. Texte (prévu) de la conférence : Documenta, 1973, no 2, p. 2 ss.
[22] TG, 139, 18.6.73 ; La Gruyère, 70, 19.6.73. Selon une statistique faite par des officiers de la place d'armes de Lausanne, 20 % seulement des recrues de certaines écoles sanitaires feraient preuve d'un esprit positif à l'endroit de l'armée : TLM, 61, 2.3.73.
[23] Domaine public, 251, 29.11.73 ; TLM, 343, 9.12.73.
[24] Bâle : Allgemeine Schweizerische Militärzeitschrift, 139/1973, p. 289. Réactions : cf. interventions Muret (pdt, VD) et Gnägi au CN (BO CN, 1973, p. 939 et 1628).
[25] Ibid. Cf. aussi interpellation Bräm (mua, ZH) et réponse de M. Gnägi : BO CN, 1973, p. 218 ss.
[26] TLM, 125, 5.5.73.,Cf. supra, p. 45 et note 12.
[27] Cf. intervention Muret (pdt, VD) au CN : BO CN, 1973, p. 939.
[28] Villard : BO CN, 1973, p. 627 ss. Hubacher : Délib. Ass. féd., 19'73, IV, p. 8 ; H. R. Kurz, «Das Militärjahr 1973 », in Der Fourier, 47/1974, p. 43.