Année politique Suisse 1975 : Grundlagen der Staatsordnung / Rechtsordnung
 
Ordre public
En 1975, l'ordre public a été mis en question de manière inhabituelle. Alors que la contestation de certains groupes sociaux faiblissait, de façon générale — aussi bien dans les écoles qu'à l'armée on notait moins de perturbations [16]l'occupation, pendant plus de deux mois, du terrain de la centrale nucléaire de Kaiseraugst constitua une sérieuse dénégation du pouvoir de l'Etat. Le souci élémentaire de la protection de l'environnement et le sentiment d'impuissance des moyens légaux à disposition ont conduit une grande partie de la population d'une région entière à soutenir une action illégale. Des personnalités de toute tendance politique ont pris part à l'occupation et les organisateurs principaux ont pris soin de ne pas laisser des groupements révolutionnaires en prendre la direction. Devant l'ampleur du mouvement, les autorités — notamment le chef du DFTCE, le conseiller fédéral Ritschard — ont cherché à rétablir la légalité plutôt par la persuasion que par l'engagement de la police. Ce procédé fut couronné de succès, comme on le verra plus loin, tout en provoquant un débat fondamental sur les relations entre l'Etat de droit et la démocratie [17]. De divers côtés, on affirmait que l'Etat ne pouvait simplement ignorer un mouvement populaire de cette ampleur [18],
Outre le mouvement de Kaiseraugst, qui correspond à ce qu'en Allemagne fédé rale on appelle « Bürgerinitiative », les autorités eurent affaire à des groupes isolés ayant recours à la violence ; ici et là, l'intensité de leurs actions s'accrut encore, Ainsi on assista à de sérieux combats de rue dans le Jura bernois et lors de la vague de protestation contre l'exécution, par le régime franquiste, de militants de l'opposition espagnole. Sans avoir toujours un caractère politique, plusieurs attentats à l'explosif eurent lieu. Le Ministère public fédéral annonça qu'un groupe de terroristes suisses et étrangers, arrêté en mars, avait commis une série d'attentats et plusieurs vols de munitions dans des dépôts de l'armée, en étroite collaboration avec des groupes terroristes à l'étranger [19].
A la suite de ces incidents et de la recrudescence de l'activité terroriste dans d'autres pays d'Europe, divers parlementaires ont attiré l'attention sur les moyens restreints dont disposaient la Confédération et les cantons pour garantir la sécurité publique. Le conseiller fédéral Furgler s'est prononcé à plus d'une reprise pour que soit institutionnalisée la collaboration intercantonale pour la lutte contre le terrorisme, comme le voulait en 1970 déjà le projet avorté de Police mobile inter cantonale. Le chef du DFJP préconise une procédure de regroupement progressif des cantons qui engagerait les réticents à s'y joindre, mais n'écarte pas toute solution centralisatrice [20]. Les cantons de Suisse orientale se sont entendus, vers la fin de l'année, sur une convention de coopération intercantonale [21]. A part les réticences fédéralistes, des réserves ayant trait au droit des individus, ont été formulées contre un instrument d'ordre supracantonal [22]. Par ailleurs, de nouvelles organisations privées se sont constituées pour lutter contre ce qu'elles nomment subversion ; cette lutte serait à leurs yeux négligée par les autorités [23]. Les travaux préliminaires du DFJP pour instituer un meilleur contrôle du commerce des explosifs rendant les attentats plus difficiles, ont abouti à un projet de loi. L'innovation essentielle réside dans la disposition précisant qu'un acquéreur d'explosifs et de moyens d'allumage doit en justifier l'emploi et décliner son identité [24]. En contre-partie des tendances au renforcement de l'ordre public, on constate un progrès dans les efforts entrepris pour protéger le citoyen contre l'arbitraire des autorités. La commission du Conseil national qui avait examiné l'initiative parlementaire Gerwig (ps, BS) sur l'écoute officielle de conversations privées a présenté, d'entente avec l'auteur, de nouvelles dispositions pour contrôler cette pratique. Certes, contrairement à l'initiative, elle rejette le droit de la personne à être informée ultérieurement des écoutes dont elle fut l'objet, cela dans l'intérêt de la procédure entamée et de la protection de l'Etat. Cependant, elle préconise un contrôle de la légalité des mesures d'écoute par le juge ainsi que la création par l'Assemblée fédérale d'une délégation permanente de contrôle ; cette instance sera chargée de vérifier périodiquement les surveillances ordonnées par les autorités fédérales et aura un accès inconditionnel à leur dossier [25]. Une autre initiative parlementaire déposée en 1973 et destinée à améliorer la protection juridique du citoyen demandait que le procureur de la Confédération soit libéré de ses tâches policières et que celles-ci soient confiées à un juge d'instruction fédéral. Elle fut rejetée par le Conseil national qui redoutait un affaiblissement de la sécurité de l'Etat [26].
 
[16] Cf. infra, part. I, 3 (Introduction) et 8a (Hochschulen).
[17] Pour les événements et les motifs, cf. infra, part. I, 6a (Atomkraftwerke). Sur le soutien des tendances, cf. AZ, 78, 5.4.75 ; NZ, 108, 7.4.75. Sur l'aide apportée par la population de la région, cf. TA, 105, 9.5.75.
[18] Cf. Domaine public, 313, 17.4.75 ; La Nation, 974, 25.4.75 ; 24 Heures, 109, 13.5.75 (J.-F. Aubert).
[19] Cf. infra, part. I, 1d (Question jurassienne), 2 (Bilaterale Beziehungen) et 8 (Kulturpolitik). Communication du Ministère public fédéral : NZZ, 126, 4.6.75 ; cf. APS, 1974, p. 15.
[20] Cf. l'intervention du CN Bratschi (ps, BE) lors des délibérations sur le Rapport de gestion du CF (BO CN, 1975, p. 943 ss.) ainsi que les postulats Honegger (prd, ZH) et Richter (prd, NE) et la réponse du CF Furgler (BO CE, 1975, p. 529 ss. ; BO CN, 1975, p. 1855 s.), en outre, l'allocution de M. Furgler devant les juristes suisses in Documenta, 1975, no 5, p. 10 s.
[21] Coopération des cantons de Suisse orientale (AI, AR, GL, GR, SG, SH, TG) : Ldb, 301, 30.12.75.
[22] Fédéralisme : BO, CN, 1975, p. 944 (Bonnard, lib., VD) ; BO CE, 1975, p. 532 (Guisan, lib., VD). Droit des individus : NZ, 312, 7.10.75 ; TA, 276, 27.11.75.
[23] Cf. TA, 149, 1.7.75 : Voix de la majorité silencieuse ; TG, 302, 29.12.75 : bulletin du Groupe d'informations suisse, édité par E. Cincera.
[24] FF, 1975, II, no 39, p. 1301. Cf. APS, 1974, p. 15.
[25] FF, 1976, I, no 7, p. 521 ss. Cf. APS, 1973, p. 16.
[26] Initiative Weber (ps, TG) (FF, 1975, I, no 19, p. 1760 ss. ; BO CN, 1975, p. 641 ss.). Le CN rejeta aussi un postulat de sa commission demandant une meilleure séparation des fonctions judiciaire et policière du Ministère public tout en préservant son unité. Cf. APS, 1973, p. 16.