Année politique Suisse 1976 : Allgemeine Chronik / Schweizerische Aussenpolitik
 
Aide au développement
Les activités de l'ONU et de plusieurs de ses organisations spécialisées se sont de plus en plus déroulées ces dernières années sous le signe de la problématique Nord-Sud, dont l'importance s'est accentuée du fait de la crise économique mondiale. La revendication des pays en voie de développement en faveur d'un nouvel ordre économique mondial a pris une acuité particulière en coïncidant avec les symptômes de la récession généralisée et les difficultés énormes du commerce international et du système monétaire. Sur cette toile de fond, les relations de la Suisse avec le tiers monde ont pris une importance politique de premier rang, accompagnée d'aspects économiques que nóus traiterons plus loin en détail [49]. Que la Suisse soit menacée, dans ses relations avec le tiers monde, de glisser dans un nouveau dilemme de politique étrangère, cela se remarque dans le domaine de l'aide au développement où les prestations publiques de notre pays, mesurées en pourcentage du produit national brut, n'atteignent encore que la moitié des versements moyens des Etats industrialisés [50]. Ce ne sont pas seulement les réalités internationales, ni uniquement les considérations humanitaires, mais aussi l'intérêt évident de notre commerce extérieur qui parlent en faveur d'une augmentation massive de notre aide. Cependant, les efforts entrepris dans ce domaine ont été soit victimes du nationalisme isolationniste de larges milieux de la population ou bien en partie paralysés par les impératifs budgétaires.
Avec une participation de 34,5 % lors de la première votation populaire en matière de politique de développement [51], le souverain a désavoué le parlement pour une décision cependant prise à sa quasi-unanimité [52]. Les milieux conservateurs conduits par le conseiller national Schwarzenbach (mna, ZH) réussirent donc à faire refuser le prêt de 200 millions à l'Organisation internationale pour le développement (IDA) en utilisant des arguments de politique financière et de nature isolationniste [53]. Ils menèrent une campagne contre cette forme prétendument antisuisse, parce que multilatérale, de l'aide au développement ; durant la lutte, il se forma une alliance contre nature avec les groupes d'extrême-gauche et les partisans radicalisés du développement, qui reprochaient à l'IDA, en tant que filiale de la Banque mondiale, d'être un instrument de régulation et de contrôle néo-colonialiste de l'industrie d'exportation occidentale [54]. Estimant ce reproche non dénué de sens, plusieurs organisations suisses d'aide au développement n'ont pu se résoudre à recommander le oui [55]. Parmi les arguments des partisans du crédit, à part les motifs authentiquement altruistes, les intérêts tangibles des exportateurs dominèrent ; ils paraissaient suggérer aux citoyens que l'aide au développement était une affaire rentable et servait en premier lieu à créer de nouveaux débouchés [56]. Les autorités prirent directement part à la campagne qui fut très animée [57]. Le conseiller national Schwarzenbach qualifia un tel engagement de « lavage de cerveau fédéral » ; après le verdict populaire il réclama la démission du conseiller fédéral Graber [58]. L'interprétation de ce vote négatif, qui a mis une sourdine aux efforts entrepris pour démocratiser notre politique extérieure, a été très disputée : fallait-il vraiment le considérer comme un refus général de la politique menée par le Conseil fédéral en matière de développement ? [59].
La loi fédérale d'aide au développement a été enfin adoptée par le parlement au printemps sans provoquer de référendum, après une procédure de mise au point de plusieurs années [60]. En conformité avec le sens de cette loi, l'assistance aux régions et populations les plus pauvres du tiers monde a bénéficié d'un nouveau crédit-cadre de 240 millions de francs pour la coopération technique et financière. Avec ce projet, adopté par le Conseil national en décembre, le Conseil fédéral a tenu compte de la situation financière difficile et du vote populaire rejetant le crédit à l'IDA, puisqu'il n'a pas accru l'aide au développement dans la mesure initialement prévue, mais a proposé, en revanche, de mettre encore plus l'accent sur les projets bilatéraux [61]. Tandis que les « censeurs » conservateurs dénonçaient publiquement la politique du Conseil fédéral, malgré les correctifs apportés, comme un mépris de la volonté populaire et cherchaient à réduire le crédit [62], d'autres voix réclamaient, à l'opposé, un engagement plus marqué de la Suisse dans sa politique d'aide au développement [63]. Divers crédits concernant l'aide financière bilatérale à des pays du tiers monde furent approuvés sans difficulté par les Chambres [64].
 
[49] Cf. infra, Weltwirtschaftssystem. Sur les problèmes économiques du développement, voir entre autres Tat, 58, 9.3.76 ; TA, 254, 30.10.76 ; Bund, 293, 14.12.76 W. Mauderli, in Profil, 55/1976, p. 11 ss. ; A. Bänziger, « Revolution – entwicklungspolitisch », in Civitas, 31/1975-76, p. 521 ss. ; R. Büchi, Erf olgsevaluierung von Entwicklungsprojekten, (Diss. St. Gallen) Bern 1976 ; Entwicklungsprobleme - interdisziplinär, hrsg. v. H.-B. Peter und J. A. Hauser, Bern 1976 ; A.-M. Holenstein / J. Power, Hunger. Die Welternährung zwischen Hoffnung und Skandal, Frankfurt/M. 1976 ; Béatrix Mühlethaler, Die Dritte Welt im Spiegel der Schweizer Presse, Fribourg 1976 ; Produits de base et dépendance, Service d'information tiers monde, Berne 1976 ; Zur Diskussion gestellt : Entwicklungsland Welt - Entwicklungsland Schweiz, hrsg. v. P. Braunschweig und B. Gurtner, Basel 1976 ; cf. aussi les titres cités infra, notes 93 et 120-124.
[50] Cf. la presse des 15.3.76 et 6.7.76 ; B. Kappeler, in LNN, 195, 23.8.76. Cf. aussi Entwicklung - Développement, no spécial, fév. 1976 et no 30, oct. 1976.
[51] Résultat du scrutin : 713 987 non et 550 865 oui. Cf. FF, 1976, II, p. 1528 et la presse du 14.6.76. Cf. aussi E. Frischknecht / P. Gilg, in Bund, 185-186, 10-11.8.76, ainsi que Publitest, Studie Nr. 111 : Entwicklungshilfe, Zürich 1976.
[52] Cf. BO CN, 1975, p. 477 ss. ; BO CE, 1975, p. 352 s. Cf. aussi APS, 1975, p. 50.
[53] Cf. entre autres Der Republikaner, 1-9/10, 6.1-2.7.76.
[54] Cf. la presse des 6.3.76 et 23.4.76 ; 24 heures, 64, 17.3.76 ; NZZ, 73, 27.3.76 ; Bresche, 70, 28.5.76. Voir aussi E. Feder, Das neue Weltbankprogramm zur Selbstliquidation der Bauernschaft der Dritten Welt, Bern 1976 ; R. Tetzlaff, « Die Entwicklungspolitik der Weltbank », in Leviathan, 1/1973, p. 489 ss. Cependant, le PdT et la revue Zeitdienst approuvèrent le crédit (VO, 119, 26.5.76 ; 121, 29.5.76 ; 127, 5.6.76 ; Zeitdienst, 21, 4.6.76).
[55] Cf. TA (ddp), 105, 7.5.76 ; Vat. (sda), 114, 17.5.76 ; Erklärung von Bern, Rundbrief, 1976, no 1.
[56] Cf. wf, Dok., 17, 26.4.76 ; 21, 24.5.76 ; gk, 16, 29.4.76 ; 20, 3.6.76 et la presse surtout aux mois de mai et juin 1976.
[57] Cf. LNN, 39, 17.2.76 ; 46, 25.2.76 ; Entwicklung - Développement, 1976, nos 25-29 ; P. R. Jolles, in Documenta, 1976, no 1, p. 32 ss.
[58] Cf. Der Republikaner, 4, 19.3.76 ; 9/10, 2.7.76.
[59] Cf. la presse des 14 et 19.6.76 ; R. Reich, in Schweizer Monatshefte, 56/1976-77, p. 276 s.; H. Stranner, in NZ, 186, 17.6.76.
[60] Cf. BO CE, 1976, p. 60 ss. ; FF, I, p. 1067 ss. ; APS, 1975, p. 49 s.
[61] Cf. FF, 1976, III, p. 757 ss. ; BO CN, 1976, p. 1579 ss. et la presse des 29.10.76, 15 et 16.12.76.
[62] Cf. le CN Fischer (prd, BE), in BZ, 260, 5.11.76 ; NZZ, 300, 22.12.76. Cf. aussi BO CN, 1976, p. 1583 ss. (motion Schwarzenbach, mna, ZH).
[63] Cf. Ldb, 264, 12.11.76 ; NZ, 389, 13.12.76 ; BO CN, 1976, p. 1585 ss. (interpellations Hofer, udc, BE, Blum, ps, BE, Auer, prd, BL).
[64] Aide financière au Pérou : cf. FF, 1975, II, p. 1661 ss. ; BO CN, 1976, p. 327 ss. ; BO CE, 1976, p. 290 ss. Crédit à la Tunisie : cf. FF, 1976, II, p. 1505 ss. ; BO CN, 1976, p. 1042 ss. ; BO CE, 1976, p. 589 s.