Année politique Suisse 1978 : Infrastruktur und Lebensraum / Energie
 
Energie nucléaire
En 1978, les discussions sur l'énergie nucléaire ont été, une fois de plus, au centre des débats. Pour ses partisans — au nombre desquels on compte également le Conseiller fédéral Ritschard — l'énergie nucléaire est économique et présente peu de risques, en raison des prescriptions de sécurité très strictes. Faute de disposer de solutions de rechange, la Suisse ne peut y renoncer si elle ne veut pas risquer d'être prise au piège d'une crise économique sérieuse [14]. En revanche, les adversaires sont non seulement sceptiques quant à la parfaite maîtrise par l'homme des processus techniques, mais ils posent encore la question fondamentale de l'opportunité de la poursuite de la croissance économique telle que nous l'avons connue jusqu'à présent [15]. Le problème technique décisif concernant l'utilisation pacifique de la fission nucléaire se révèle être, de plus en plus, le retraitement du combustible ainsi que le stockage sans danger des déchets radioactifs. Certes, des essais concluants relatifs à ce procédé technique ont eu lieu à la Hague (France), qui est, à l'heure actuelle, la seule installation de retraitement commerciale existant dans le monde. Toutefois, des difficultés sérieuses pourraient survenir en raison de la capacité de cette usine. Pour ce qui est du stockage définitif des déchets hautement radioactifs, la science n'a trouvé, jusqu'à ce jour, aucune solution éprouvée et il n'existe, aujourd'hui encore, aucun endroit de stockage disponible [16]. Etant donné que la France a annoncé que les accords de retraitement, qui doivent être conclus d'ici 1979, contiendraient une clause de reprise obligatoire des déchets, il importe plus que jamais de chercher une solution en Suisse. C'est pourquoi le Conseil fédéral a chargé, en lieu et place de la CEDRA qui n'a pu atteindre ses objectifs, l'Institut fédéral de recherche en matière de réacteurs à Würenlingen de trouver en Suisse un endroit de stockage, en lui prescrivant d'établir un projet concret d'ici la fin de 1981. Le Conseil fédéral Ritschard a expliqué, à ce sujet, que les centrales atomiques existantes devraient être mises hors service si un projet suffisamment mûr n'était pas prêt dans un proche avenir (d'ici 1990 environ) [17]. Afin que la Suisse puisse continuer à immerger ses déchets faiblement radioactifs dans l'Atlantique, en collaboration avec d'autres nations, le Conseil des Etats s'est déclaré être d'accord avec la signature de la Convention sur la prévention de la pollution des mers résultant de l'immersion des déchets [18].
Les délibérations des Chambres fédérales concernant la révision de la loi sur l'énergie atomique ont constitué le point primordial des débats sur ce type d'énergie. Selon les déclarations du Conseiller fédéral Ritschard, il s'agit de remodeler la loi atomique, conçue en 1959 comme une loi devant encourager cette forme d'énergie, pour tenir suffisamment compte des problèmes politiques et techniques qui se posent au sujet de la construction des centrales nucléaires, sans toutefois rendre pratiquement impossible la mise en chantier de nouvelles centrales. Les négociations et discussions ont été nettement marquées par l'intention de trouver une véritable solution de rechange à l'initiative dite atomique. La menace d'un soutien à l'initiative a donc été brandie à plusieurs reprises par les partisans d'une pratique restrictive en matière d'autorisations, notamment par le groupe parlementaire socialiste [19]. Sous la présidence de K. Reiniger (ps, SH), la commission ad hoc du Conseil national a traité à fond du nucléaire et a proposé toute une série de modifications visant à durcir les exigences contenues dans le projet du Conseil fédéral. Toutes pes propositions ont été acceptées par la Chambre populaire. De son côté, la Chambre haute s'est ralliée, après quelques résistances, à la voie tracée par le Conseil national et cela, à l'exception de la question de l'indemnisation. Sur ce dernier point les deux Chambres sont parvenues à trouver un compromis. Une innovation importante de ce projet consiste à donner, non plus au Conseil fédéral, mais à l'Assemblée fédérale la compétence d'octroyer une autorisation générale pour construire une centrale nucléaire. Pour ce qui est de l'obligation d'apporter la preuve des besoins, afin que l'autorisation puisse être délivrée, on ne tiendrait pas seulement compte de la substitution des hydrocarbures, mais encore des mesures visant à économiser l'énergie, ainsi que les énergies renouvelables. On prendrait également en considération le problème fort actuel du stockage inoffensif des déchets radioactifs, puisque les centrales en question devraient pouvoir garantir un dépôt définitif, répondant aux normes de sécurité. Pour couvrir les frais de démolition des centrales désaffectées, les propriétaires seraient tenus de verser des contributions à un fonds spécialement prévu à cet effet.
Etant donné que l'arrêté fédéral complétant la loi atomique expirera fin 1983, au plus tard, ce sont surtout les dispositions transitoires qui revêtent une importance particulière pour les contrales disposant, certes, d'une autorisation d'implantation, mais qui ne sont pas encore au bénéfice d'un permis de construire (il s'agit de Kaiseraugst, de Graben et de Verbois). Ces trois centrales ne devront présenter leur projet de décharge définitive des déchets nucléaires qu'au moment où elles demanderont l'autorisation de mise en service; en outre, la procédure d'opposition et de consultation qui est prévue ne leur serait pas applicable. La question de savoir si et, le cas d'échéant, dans quelle mesure les détenteurs d'une autorisation d'implantation, qui ne recevraient pas d'autorisation générale, auraient droit à une indemnité, n'a pas pu être éclaircie. Conformément aux dispositions de la loi de 1959 sur l'énergie nucléaire, en cas de litige, cette question devrait:être tranchée par le Tribunal fédéral. Toujours est-il qu'il a été possible de préciser qu'un simple report chronologique (par exemple aussi longtemps que les besoins n'imposent pas une production d'énergie supplémentaire) ne saurait être considéré comme un refus d'autorisation entraînant une obligation d' indemnisation [20]. Bien que l'introduction d'une responsabilité civile illimitée à charge des propriétaires de centrales atomiques constitue l'une des revendications de l'initiative pour la protection contre l'énergie nucléaire, cette mesure a été écartée de la révision partielle de la loi atomique. En effet, le Conseil national a décidé d'étudier, au préalable, si l'adoption d'une responsabilité illimitée n'empêcherait pas la Suisse de ratifier les accords conclus en Europe dans ce domaine [21].
Le résultat de cette révision a été apprécié fort positivement dans de nombreux milieux. C'est ainsi que l'économie et notamment les producteurs d'électricité, qui, au cours des discussions parlementaires, s'étaient encore prononcés contre le renforcement de certaines dispositions et qui avaient rejeté la clause du besoin, en la considérant comme superflue, sont maintenant favorables à l'arrêté fédéral et le présentent comme une solution de rechange raisonnable, voire judicieuse à l'initiative dite atomique [22]. Aux yeux des adversaires modérés de l'énergie atomique, tels que le Parti socialiste suisse et la Société suisse pour la protection du milieu vital (SGU), cette réforme constitue, en premier lieu, un progrès par rapport au droit actuel qui, sur le plan politique, ne dispose d'aucun moyen d'action permettant d'influer sur la construction des centrales nucléaires [23]. En revanche, les adversaires irréductibles de celle-ci ont formulé de graves objections. L'«Action non violente contre la centrale atomique de Kaiseraugst», le POCH, le Parti socialiste autonome, la Ligue marxiste révolutionnaire et d'autres groupements ont lancé un référendum contre cet arrêté fédéral. Celui-ci a abouti dans les délais, puisque 87 387 signatures ont été recueillies. Les arguments principaux des adversaires sont les suivants: les deux centrales de Gösgen et Leibstadt ne seront pas touchées par cette nouvelle réglementation et, pour les trois prochaines centrales dont la construction est prévue, les dispositions transitoires ne permettront pas de faire usage du droit d'opposition, ni du droit de participation directe de la population. En outre, ils ont considéré que le droit d'expropriation, propre à la Confédération, et pouvant être, le cas échéant, délégué aux organisations chargées de chercher des endroits pour stocker les déchets radioactifs, comme étant un recul en regard de la pratique actuelle [24].
L'initiative «pour la sauvegarde des droits populaires et de la sécurité lors de la construction et de l'exploitation d'installations atomiques» a été rejetée par les deux Chambres. En effet, la majorité des parlementaires partageait l'avis du Conseil fédéral pour qui les tâches relatives à la construction des centrales atomiques sont d'importance nationale et ne sauraient, par conséquent, tomber sous le verdict de décisions populaires prises à l'échelon régional. De surcroît, la révision partielle de la loi fédérale sur l'énergie atomique, qui vient d'être achevée, garantirait la pratique d'une politique fort prudente en matière d'énergie nucléaire. Le parti auquel appartient le chef du Département fédéral des transports et communications et de l'énergie n'a pu partager cette argumentation. Bien que le comité du parti voulut attendre que la révision de la loi sur l'énergie atomique soit achevée avant de prendre position, le Parti socialiste suisse décida, lors de son congrès, de soutenir. activement l'initiative [25]. La revendication d'un moratoire dans la construction des centrales jusqu'en 1981, présentée sous forme de deux pétitions et d'une initiative parlementaire, n'a pas trouvé grâce aux yeux du parlement [26].
Les initiatives cantonales lancées par les adversaires de l'énergie atomique, ont montré qu'il existe au sein de la population, du moins au niveau régional, une volonté très nette de participer aux décisions concernant la construction de centrales nucléaires. Suivant l'exemple de Bâle-Ville, le peuple de Bâle-Campagne a adopté par 40 336 oui contre 23 585 non un article constitutionnel aux termes duquel le gouvernement cantonal à l'obligation de faire opposition à tout projet de centrale nucléaire qui serait implantée sur le territoire du canton ou dans les environs immédiats [27]. A Schaffhouse, le Grand Conseil a opposé, à une initiative populaire analogue, un contre-projet prévoyant l'octroi, aux citoyens, d'un droit de participation aux prises de position du canton en matière de construction de centrales nucléaires. Ce contre-projet, auquel les auteurs de l'initiative s'étaient ralliés dans l'intervalle, a été adopté par 17 108 oui contre 7 128 non. Par conséquent, il n'a pas été nécessaire de soumettre l'initiative au peuple. Dans le canton de Neuchâtel également, un droit semblable de participation a de bonnes chances d'être adopté; en effet, après que le Tribunal fédéral avait cassé la décision de nullité prise, l'an dernier, par le parlement cantonal, celui-ci a recommandé maintenant d'accepter l'initiative populaire à ce sujet [28].
Les travaux de construction ou de mise en service des centrales de Leibstadt et de Gösgen avancent conformément aux calendriers établis. Malgré dé nombreuses oppositions pour lesquelles l'effet suspensif n'a pas été prononcé, le DFTCE a délivré l'autorisation de mise en service pour la centrale de Gösgen. L'exploitation débutera au printemps 1979. Aucune décision n'a encore été prise concernant Kaiseraugst. Toutefois, ses promoteurs maintiennent fermement leur projet et escomptent obtenir prochainement le permis de construire [29].
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Politique des sociétés d'électricité
La politique pratiquée par la majeure partie des sociétés d'électricité, aux mains des collectivités publiques, a de nouveau été critiquée. En effet, les Grands Conseils des cantons d'Argovie, de Berne et de Zurich ont chargé leur gouvernement respectif d'intervenir contre les hausses des prix et des tarifs décrétées par ces sociétés, afin de constituer des réserves destinées à ériger des centrales nucléaires. Ces hausses des prix ont également fait l'objet d'un examen par le délégué du Conseil fédéral à la surveillance des prix et elles ont été finalement différées d'une année [30]. De même, la propagande des sociétés d'électricité contre l'initiative dite atomique a été maintes fois décriée. Cependant, les gouvernements cantonaux d'Argovie, de Berne, de Schaffhouse et de Zurich ont été unanimes à soutenir que, dans un cas pareil, les sociétés semi-publiques avaient le droit d'user de la propagande politique, parce que l'initiative mettait en péril l'accomplissement de leur tâche qui consiste à assurer l'approvisionnement en électricité [31]. Devant le malaise résultant d'une politique commerciale peu transparente, le Grand Conseil bernois a institué une commission d'experts chargée d'étudier les moyens permettant au parlement bernois d'exercer une plus grande influence sur les Forces motrices bernoises (FMB). Dans le canton de Zurich, le Parti socialiste a déposé une initiative parlementaire visant à introduire la participation du peuple et du parlement aux décisions des Forces motrices du Nord-Est (Nordostschweizerische Kraftwerke, NOK) [32]. A Lausanne, les partis de l'extrême gauche et les adversaires de l'énergie nucléaire ont demandé, avec succès, le référendum contre la nouvelle réglementation des tarifs du gaz et de l'électricité; ils contestent surtout l'augmentation des taxes de base, parce qu'elle frapperaient plus lourdement encore les consommateurs économes [33].
 
[14] CF Ritschard in BO CN, 1978, p. 510 s. Cf. aussi Bund 14, 18.1.78; TG, 197, 24.8.78.
[15] Critique visant la sécurité nucléaire: J. Rossel, Atompoker, Bern 1978 ; St. Baer et al., Atombetrug, Zürich 1978, p. 57 ss. Croissance illimitée: cf. Schweiz. Bund für Naturschutz et al., Jenseits der Sachzwänge, Zürich 1978, p. 177 m.; E. Buess, Der Streit um die Kernenergie, Basel 1978; F. Jaeger, «Monopole — Atom-Grrosstechnologie — totalitärer Staat», in TA, 76, 3.4.78.
[16] Retraitement du combustible: TA, 14, 18.1.78; Schweiz. Finanzzeitung, 16, 19.4.78; Basler AZ. 95, 19.5.78. Stockage: cf. notamment les déclarations du CN Reiniger (ps, SH) (BO CN, 1978, p. 461).
[17] TG, 39, 16.2.78. Cf. Ritschard in TW, 115, 20.5.78. Cf. aussi APS, 1977, p. 98 s.; Schweizerische Elektrizitätswirtschaft, Die nukleare Entsorgung der Schweiz, Zürich 1978; S. Baer et al., Atombetrug, Zürich 1978, p. 117 ss.
[18] FF. 1978, II, p. 441 as.; BO CE, 1978, p. 623 s.
[19] FF, 1977, III, p. 321 ss.; APS, 1977, p. 95 s.; BO CN, 1978, p. 457 ss., 1228 ss. et 1338; BO CE, 1978, p. 252 ss., 418 ss., 495 et 531. CF Ritschard in BO CN, 1978, p. 511. La proposition du groupe parlementaire socialiste visant à ajourner le vote final sur l'initiative atomique, jusqu'à ce que la discussion de la loi, au sein des deux Chambres, soit close, s'est imposé au CN (NZZ, 144, 24.6.78).
[20] FF, 1978, II, p. 895 ss. Au sujet de l'indemnité cf. aussi NZZ, 227, 30.9.78.
[21] BO CN, 1978, p. 560 ss. Cf. aussi F. Forster, « Haftpflicht als Farce», in F. Forster et al., Politische und wissenschaftliche Verantwortung im Atomzeitalter, Zug 1978.
[22] Le président de la Société pour le développement de l'économie suisse: RFS, 40, 3.10.78. Producteurs d'électricité: NZZ, 84, 12.4.78 ; TA, 302, 29.12.78. Cf. aussi E. Hugentobler, Schweizerische Kernenergiepolitik, Zürich 1978.
[23] PSS: TW, 251, 26.10.78. SGU: TA, 270, 20.11.78.
[24] NZZ (sda), 236, 11.10.78 ; TG, 93, 22.4.78 ; Focus, 1978,110 102, p. 33; Bresche, 126, 4.12.78 ; FF, 1979, I, p. 369 s.
[25] APS, 1977, p.97; BO CN, 1978, p. 526 ss. et 1439; BO CE, 1978, p. 290 ss. et 531; cf. aussi BO CN, p. 511 ss. PSS: Vr, 116, 22.5.78; NZZ, 116, 23.5.78. Etant donné l'importance nationale de la question, le CN Vincent (pdt, GE) a exigé, par le biais d'une motion, l'étatisation de l'industrie nucléaire (Délib. Ass. féd., 1978, VII, p.57; BO CN, 1978, p. 470 s.).
[26] APS, 1977, p. 97 ; BO CE, 1978, p. 290 s. ; BO CN, 1978, p. 1716 ss.
[27] BaZ, 126, 12.5.78; 136, 23.5.78 ; 138, 25.5.78 ; 142, 29.5.78. Contre l'avis de leur exécutif, les parlements de Bâle-Campagne et de Zurich se sont prononcés pour la validité des initiatives qui leur ont été soumises. (BL: BaZ, 54, 24.2.78. ZH: NZZ, 43, 21.2.78). Cf. aussi APS, 1977, p. 97 s. et infra, part. II, 6a.
[28] SH: Ldb, 84, 13.4.78; 255, 3.11.78; . TA (ddp), 270, 20.11.78. NE: Lib., 230, 6.7.78; TLM, 346, 12.12.78.
[29] Gösgen: FF, 1978, I, p. 491 s.; FF, 1978, II, p. 752 ; NZZ (sda), 85,13.4.78 ; 230,4.10.78 ; Leibstadt: NZZ. 125, 2.6.78. Kaiseraugst : BaZ, 20, 21.1.78 ; NZZ, 257, 4.11.78. La recherche à propos d'éventuelles émanations nocives (pour le climat) dégagées par les centrales nucléaires projetées dans la région bâloise, n'a donné que des indications intermédiaires. Ces dernières n'ont pas permis d'échafauder des conclusions définitives (TA, 287, 9.12.78).
[30] NOK: TA, 45, 23.2.78; 95, 25.4.78; 277, 28.11.78; 293, 16.12.78: Vr, 250, 25.10.78. FMB: Bund, 45, 23.2.78; TW, 212, 11.9.78; 227, 28.9.78.
[31] Argovie: TA, 255. 2.11.78. Berne: Bund, 239,12.10.78. Schaffhouse: Ldb, 145, 27.6.78. Zurich: TA, 256, 3.11.78.
[32] Berne: Bund, 38,15.2.78; cf. aussi APS, 1977. p. 98. Zurich: Vr, 267, 14.11.78 Cf. aussi TA, 158.11.7.78; NZZ, 205, 5.9.78.
[33] VO, 218, 29.9.78; 230, 14.10.78; TLM. 354, 20.12.78.