Année politique Suisse 1979 : Sozialpolitik / Soziale Gruppen
 
Population étrangère
Malgré une relative stabilisation de la population immigrée et la diminution sensible de la tension en matière de politique à l'égard des étrangers, de nombreux problèmes subsistent encore, qu'il s'agira de résoudre dans un avenir prochain [1]. La commission consultative pour les étrangers (CEE) a estimé, dans le cadre d'une étude sur l'établissement des «relations équilibrées» entre ressortissants étrangers et autochtones, qu'il fallait poursuivre à moyen terme la politique de stabilisation de la main-d'oeuvre étrangère, saris pour autant accélérer les départs. Parallèlement, les efforts visant à améliorer l'assimilation des étrangers devaient être intensifiés. S'interrogeant par la suite sur la notion de «rapport équilibré» entre l'effectif de la population suisse et celui de la population étrangère, concept qui résume depuis quelques années les objectifs du gouvernement en matière de politique d'immigration, la commission s'est efforcée d'en donner une définition plus humaniste et qui tienne compte au mieux des intérêts légitimes des étrangers [2]. Pour sa part, la Fédération des colonies libres italiennes en Suisse (FCLIS) a relevé que l'intégration des étrangers dans la société helvétique ne se limitait pas exclusivement à des aspects humains et sociaux, mais comportait également une dimension politique. Elle a donc décidé de lancer un certain nombre de pétitions dans divers cantons afin que les étrangers vivant chez nous depuis cinq ans au moins et depuis une année dans un canton puissent obtenir le droit de vote et d'éligibilité aux niveaux cantonal et communal. En outre, elle s'est prononcée en faveur de la participation directe des représentants des immigrés aux institutions s'occupant des problèmes des étrangers [3]. En marge de ces propos, on s'est à nouveau penché sur les difficultés rencontrées par les enfants d'immigrés [4].
Lors de sa session d'automne, le Conseil des Etats a examiné le projet de loi sur le séjour et l'établissement des étrangers (LSSE), qui avait été publié en 1978 parle Conseil fédéral. Cette révision répondait à quatre préoccupations majeures: adapter le droit en vigueur aux conceptions prévalant actuellement sur le plan national et international, créer un cadre juridique pour notre politique à l'égard des étrangers, définir le statut de l'étranger selon la durée de sa présence en Suisse et accorder aux immigrés une protection garantissant leur statut [5]. Tout en adoptant à une large majorité l'essentiel du texte gouvernemental, la chambre des cantons s'est cependant prononcée en faveur d'un certain nombre de modifications. Elle s'est par exemple ralliée à la proposition de sa commission qui préconisait une amélioration de la condition juridique des étrangers exerçant depuis plus de cinq ans en Suisse et une année en particulier dans un canton une activité professionnelle. Ceux-ci devraient pouvoir jouir d'un droit «subjectif» à la prolongation de leur permis de séjour et ce indépendamment de la situation régnant sur le marché du travail [6]. Toutefois, elle a écarté la demande de renvoi au gouvernement présentée par le radical glaronnais Hefti, qui préconisait une loi-cadre laissant aux cantons et aux communes une plus grande autonomie. Quant au statut du saisonnier, point le plus controversé du nouveau projet, il a été maintenu, malgré les critiques des députés Meylan (ps, VD), Donzé (ps, GE) et Dobler (pdc, SZ). Seul un amendement Schlumpf(udc, GR), qui en exigeait une définition plus précise afin d'éviter les abus et d'éliminer la présence de «faux» saisonniers, a été accepté [7]. Le maintien du statut du saisonnier dans la nouvelle législation n'a de loin pas satisfait les associations proches des travailleurs immigrés. En effet, le Comité pour l'abolition du statut du saisonnier (CASS), appuyé par la FCLIS, l'Association des travailleurs espagnols en Suisse ainsi que des membres des partis de gauche, des syndicats et des Eglises envisageraient de lancer un référendum si le parlement ne changeait pas radicalement d'avis à ce sujet [8].
De son côté, le Conseil fédéral a proposé aux Chambres de rejeter l'initiative populaire «Etre solidaire» sans même lui opposer de contre-projet. Lancée en 1974, cette initiative n'avait abouti qu'en 1977. Elle prône une politique nouvelle à l'égard des étrangers, qui leur garantirait une protection juridique complète tant sur le plan humain que sur le plan social. De surcroît, elle met l'accent sur l'intégration de l'immigré dans la communauté nationale, demande une limitation rigoureuse des entrées et surtout exige l'abolition du statut du saisonnier [9]. Dans son message, le gouvernement a insisté sur le fait que la LSSE, actuellement discutée par l'Assemblée fédérale, tenait lieu de solution de rechange dans la mesure où de nombreux éléments contenus dans l'initiative y sont réalisés. D'autre part, nos autorités se sont déclarées fermement opposées à la suppression du statut du saisonnier pour des raisons tenant à leur politique de stabilisation de la main-d'oeuvre étrangère et à la menace qui pourrait peser sur l'activité des entreprises appartenant aux branches économiques saisonnières [10]. Ces propos ont été violemment critiqués par les promoteurs de l'initiative qui ont réaffirmé leur volonté de combattre toute politique fondée sur les seuls intérêts économiques de la Suisse et le respect de la sensibilité xénophobe. Ils ont donc décidé de maintenir leur projet et de s'en référer au verdict populaire [11]. Les employeurs pour leur part ont tenu à préciser que si cette initiative devait faire l'objet d'un scrutin, ils se verraient contraints de la combattre énergiquement [12].
L'ordonnance limitant le nombre des étrangers exerçant une activité lucrative a été modifiée [13]. Cette réglementation, qui détermine les contingents des nouvelles autorisations de séjour des diverses catégories de travailleurs étrangers pour 1979/80, innove dans plusieurs domaines. Les cantons disposeront dorénavant de 7000 autorisations à l'année (1978/79: 6000) et de 2000 autorisations de courte durée, c'est-à-dire six mois au maximum dans un but préalablement établi ou douze mois pour les jeunes filles au pair (1978/79: 1500). De plus, les conditions des autorisations à l'année à charge du contingent fédéral ont été élargies (de 2500 à 3000). Pour ce qui est des saisonniers, la durée de leur séjour a été strictement limitée à la période saisonnière effective de neuf mois. Le contingent global demeure fixé à 110 000, les quotas cantonaux ont été adaptés aux nouveaux besoins en main-d'oeuvre et l'effectif réservé à l'OFIAMT passe de 8000 à 10 000 unités. Enfin, une modification de nature humanitaire a été apportée. Des dérogations pourront être accordées à un étranger contraint de partir, alors que la femme et les enfants se trouvent établis en Suisse. L'intéressé ne sera désormais plus soumis aux mesures de limitation [14]. L'Union syndicale suisse (USS), et les syndicats chrétiens ont condamné l'intention manifestée par la nouvelle réglementation de créer une masse de main-d'oeuvre conjoncturelle susceptible d'être augmentée ou réduite selon les besoins et d'hypothéquer ainsi la politique de stabilisation suivie jusqu'à présent par le Conseil fédéral. Pour I'USS, l'accroissement des travailleurs à l'année ne pourrait être à la rigueur accepté que si les effectifs des saisonniers diminuaient [15]. De son côté, l'Union centrale des associations patronales (UCAP) a réservé un accueil favorable à cette ordonnance, tout en regrettant l'assouplissement trop «timide» des mesures d'admission des travailleurs immigrés [16].
C'est en automne que le DFJP a soumis à la consultation des directions cantonales cle police, des chefs du contrôle des habitants et de la Conférence suisse sur l'information le texte d'une nouvelle ordonnance sur le registre central des étrangers (RCE), qui doit régler la protection des données dans le cadre de la législation relative aux étrangers. Ce projet vise pour l'essentiel à protéger efficacement les étrangers contre une utilisation abusive des données rassemblées à leur sujet. On envisage par ailleurs de doter cantons et communes de prescriptions sur le contrôle de l'exactitude, de la rectification, de l'actúalité et de la transmission de celles-ci. Les cantons ont cependant exprimé leur crainte face à l'introduction de telles prescriptions dans la mesure où les données des ressortissants étrangers et suisses ne sont pas répertoriées séparément et qu'il s'avérera particulièrement délicat de réglementer les informations concernant les seuls étrangers [17].
Enfin, le parlement a ratifié quatre accords bilatéraux conclus avec la France, l'Autriche, le Liechtenstein et l'Italie à propos de l'assurance-chômage dont bénéficient les frontaliers. L'instauration du régime obligatoire de cette assurance en avril 1976 avait modifié le statut juridique des frontaliers. C'est ainsi que ceux qui étaient domiciliés en Suisse, mais travaillaient à l'étranger, ne pouvaient plus s'assurer chez nous contre le chômage. Et inversement, ceux qui exerçaient une activité salariée dans notre pays, mais habitaient à l'étranger, étaient obligés de cotiser bien que, faute d'avoir leur domicile en Suisse, ils n'avaient droit qu'aux indemnités versées pour cause de chômage partiel. Ces accords doivent permettre aux frontaliers de payer leurs cotisations dans l'Etat où ils travaillent et d'y toucher également les prestations de l'assurance en cas de chômage partiel. En revanche, c'est à l'Etat dans lequel les travailleurs frontaliers sont domiciliés qu'il incombera de couvrir le risque de chômage complet de ses ressortissants. A cet effet, les cotisations partielles seront rétrocédées sous forme d'un montant forfaitaire par les organismes d'assurance-chômage d'un pays à l'autre [18].
 
[1] L'effectif global des travailleurs étrangers exerçant une activité lucrative se chiffrait à 676 855 à la fin août 1979. d'où une augmentation de 2% en regard de l'année précédente (663 384). C'est essentiellement l'accroissement du nombre des saisonniers (+14,80) dont le besoin se faisait sentir dans le secteur de la construction qui a modifié les parts respectives de l'effectif total de la main-d'oeuvre étrangère. Cf. La Vie économique, 52/1979, p. 634 ss.; 53/1980. p. 148 ss.
[2] Aux yeux de la CFE, seul un rapport qui écarte les tensions entre autochtones et étrangers et tienne compte de manière appropriée des nécessités économiques, de l'évolution démographique ainsi que d'autres intérêts d'ordre politique, culturel ou social peut être considéré comme «équilibré». Cf. la presse du 29.5.79; CSS, 22, 20.6.79. Voir également le manuel publié par la CFE en collaboration avec les associations faitières des bourgeoisies, des communes et des villes (Les étrangers dans la commune) Berne 1979, ouvrage visant à amener les autorités communales à prendre conscience de leur responsabilité et à promouvoir une véritable intégration des étrangers dans les communes.
[3] NZZ (sda), 254. 1.11.79 ; VO, 214. 7.11.79.
[4] Cf. infa, Jeunesse.
[5] Cf. APS, 1978. p. 117 s.
[6] Dans son avant-projet, le gouvernement s'octroyait lui-même la compétence de restreindre le droit au renouvellement du permis de séjour en raison d'un fléchissement de l'activité économique ou pour des motifs d'ordre public (24 Heures, 79, 4.4.79; presse du 18.8.79).
[7] BO CE, 1979, p. 355 ss.; presse du 25.9.79 et du 26.9.79.
[8] Presse du 12.5.79 (CASS); NZZ, 145, 26.6.79 (FCLIS); TA (ddp), 223, 26.9.79 (Etre solidaires); 24 Heures, 242, 18.10.79 (comité vaudois contre le maintien du statut du saisonnier). Cf. également Ww, 40, 3.10.79; Les étrangers en Suisse: historique, analyse critique du projet de loi fédérale, propositions pour une nouvelle politique: livre blanc/Communauté de travail «Etre solidaires», Genève (1978); W.A. Stoffel, Die völkervertraglichen Gleichbehandlungsverpflichtungen der Schweiz gegenüber den Ausländern, Zürich 1979 (thèse Fribourg), présenté à l'occasion de la conférence de presse des comités romands contre la LSSE à Lausanne (JdG, 231, 4.10.79; VO, 191, 5.10.79).
[9] Domaine public, 504, 14.6.79 (les trois exigences de l'initiative) et APS, 1974, p. 118; 1977, p. 121.
[10] FF, 1979, 111, p. 605 ss.; presse du 6.10.79; Vat., 256, 5.11.79; presse du 6.11.79.
[11] Presse du 10.11.79; VO, 217, 12.11.79 (soutien du PST).
[12] RFS, 46, 13.11.79; SAZ, 46, 15.11.79; 49, 6.12.79.
[13] Cf. APS, 1978, p. 118.
[14] RO, 1979. p. 1391 ss.; presse du 25.10.79.
[15] 24 Heures (ats), 176. 31.7.79 (CSC); CSS (communiqué), 28. 29.8.79; 38. 24.10.79. (USS).
[16] RFS, 41, 9.10.79.
[17] Rapp. gest., 1979, p. 132; presse du 11.9.79; SAZ, 42. 18.10.79; BaZ, 262, 8.11.79; CSS, 45, 5.12.79; information de l'Office fédéral des étrangers. Voir également supra, part. I, 1b (Menschenrechte).
[18] Remarquons cependant que l'accord passé avec le Liechtenstein ne prévoit pas de versement compensatoire et que celui conclu avec l'Italie comprend deux clauses supplémentaires (versement de montants compensatoires complémentaires). Cf. FF, 1979, I, p. 813 ss.; BO CN, 1979 p. 780 s.; BO CE, 1979, p. 491 ; JdG, 91, 20.4.79; NZZ, 91, 20.4.79. ainsi que APS, 1976, p. 123.