Année politique Suisse 1980 : Infrastruktur und Lebensraum / Energie
 
Energie nucléaire
Bien qu'on n'ait pas pris de décision importante en ce qui concerne l'utilisation de l'énergie nucléaire en 1980, ce thème a pourtant été la source de toutes sortes de controverses. Avant que la loi révisée sur l'énergie atomique ait trouvé sa première application, le Conseil national a dû discuter de nouvelles propositions de modification. A. Gerwig (ps, BS) et F. Jaeger (adi, SG) avaient demandé que la décision concernant l'octroi d'une autorisation générale soit soumise au référendum facultatif. Les deux parlementaires n'ont pas pu faire valoir leur opinion selon laquelle les citoyens doivent se prononcer en votations à propos de questions hautement politiqués, comme la construction d'une centrale nucléaire. Le conseiller national Vincent (pdt, GE) n'a pas eu plus de succès avec sa motion qui demandait l'étatisation de la production d'énergie atomique. Il avait fondé sa proposition sur l'argument suivant: une affaire aussi importante pour l'avenir du pays ne devrait pas être abandonnée aux intérêts privés. De même, l'initiative parlementaire de la socialiste Morf (ZH) n'a pas trouvé grâce aux yeux de la chambre populaire. Elle voulait que l'on modifie les dispositions transitoires de la loi atomique de telle sorte que le projet concernant le stockage définitif des déchets radioactifs soit exigible lors de l'octroi de l'autorisation générale déjà, et non pas seulement au moment de l'autorisation d'exploiter la centrale nucléaire [16].
Indépendamment de la révision partielle de la loi atomique, le Conseil fédéral avait présenté sa nouvelle réglementation concernant la responsabilité civile de l'exploitant d'une installation atomique. Le Conseil des Etats, qui a traité cette question en premier lieu, a accepté l'introduction du principe de la responsabilité illimitée. Impressionné par l'accident de Harrisburg (USA), il a étendu la responsabilité aux dommages qui résultent de l'évacuation d'une population menacée. Cependant, il n'a pas accepté l'idée selon laquelle les exploitants d'installations atomiques devraient augmenter de 200 à 500 millions de francs la couverture de dommages auprès des assurances'privées. Le conseiller fédéral Schlumpf a pourtant assuré qu'il recommanderait une telle adéquation ultérieurement, avec l'accord des sociétés d'assurance [17].
Malgré l'échec qu'ils avaient essuyé lorsque leur initiative avait été votée en 1979, les adversaires des centrales nucléaires n'ont pas abandonné l'espoir de parvenir à leur but par le biais d'une révision constitutionnelle. Deux initiatives, au contenu pratiquement identique, ont été lancées dans cette intention en 1980. L'une d'elles a été mise sur pied par les promoteurs de l'initiative sur l'énergie, dont nous avons parlé plus haut. Ces milieux n'admettant que la collaboration de groupements soutenant cette dernière, un deuxième comité s'est formé et a lancé sa propre initiative antinucléaire. Les deux propositions désirent interdire la construction de nouvelles centrales atomiques et d'installations pour enrichir et retraiter l'uranium. Elles souhaitent en outre ne stocker que des déchets atomiques provenant du marché intérieur dans les entrepôts suisses. Toutefois, le projet des adversaires de l'initiative sur l'énergie est plus radical dans la mesure où il veut interdire aussi la mise en exploitation de la centrale de Leibstadt, en voie de construction, et recommande l'arrêt progressif de l'activité des centrales nucléaires qui existent déjà [18].
Le nouveau régime d'autorisations en matière de centrales nucléaires — que la révision partielle de la loi sur l'énergie atomique a mis en vigueur— est appliqué pour la première fois à propos du projet de Kaiseraugst. A part l'examen de la sécurité technique et l'enquête spéciale concernant les effets négatifs éventuels sur le climat, il faut encore faire la preuve que la production d'énergie prévue est vraiment nécessaire. C'est le Conseil fédéral qui détermine si la preuve du besoin a été apportée et sa décision doit recevoir l'aval du parlement. La commission fédérale de l'énergie, chargée de donner son avis au Conseil fédéral sur la question de savoir si l'approvisionnement du pays exige la construction de la centrale nucléaire de Kaiseraugst, n'a pas pu se prononcer en faveur d'une recommandation unanime. Un tiers des membres de cette commission pensait qu'on connaîtrait jusqu'à la fin des années quatre-vingt un manque d'énergie, qui correspondrait à peu près à la capacité totale du projet de Kaiseraugst. Un deuxième groupe, presque aussi fort, prévoyait également un problème d'approvisionnement. A son avis pourtant, la pénurie deviendra nettement moins importante et ne justifierait plus le projet actuel de Kaiseraugst. Il faudrait développer un projet dont la capacité serait réduite de moitié environ et qui pourrait éventuellement fonctionner au charbon ou au gaz, au lieu du combustible atomique. Le troisième tiers de la commission était d'avis qu'on ne manquerait pas d'énergie dans les vingt prochaines années si l'on prenait les mesures d'économie nécessaires et que l'on encourageait l'utilisation de sources énergétiques renouvelables. Comme les pronostics dépendent de ce que l'on considère comme la politique énergétique future souhaitable, ces conceptions opposées ne peuvent surprendre. Ils ont démontré cependant que la loi sur l'énergie atomique laisse une place assez importante aux décisions politiques [19]. En ce qui concerne la centrale de Kaiseraugst, les cantons ont aussi dü s'exprimer sur la question du besoin. La moitié a estimé qu'il y avait un besoin; certains gouvernements cantonaux ont déclaré ne pas être en mesure, ou à peine, de faire de tels pronostics. Dans le canton de Zurich, le peuple a dû se prononcer sur ce sujet. Le gouvernement qui s'était exprimé en faveur de Kaiseraugst a obtenu l'approbation d'une petite majorité des citoyens [20]. Les gouvernements des deux Bâle examinent la possibilité d'ériger une centrale électrique alimentée au charbon sur le territoire de Bâle-Campagne. Elle pourrait servir d'alternative à la centrale nucléaire de Kaiseraugst. De son côté, l'Office fédéral de l'énergie a pris contact avec l'«Energie Nucléaire de Kaiseraugst SA» en vue d'un éventuel renoncement à la construction, comme le postulat du Conseil des Etats l'avait encouragé [21].
Peu avant le début de l'année 1980, des requêtes visant à l'octroi de l'autorisation générale et du permis de construire pour la centrale nucléaire de Graben (BE) ont été déposées. Les demandeurs partent de l'idée que même si l'on construisait la centrale de Kaiseraugst, on manquerait d'énergie à partir de 1988 ; cette prévision dépasse de beaucoup les pronostics de la commission fédérale de l'énergie. Etonnamment, les citoyens ont fait un plus large usage de leur possibilité d'opposition au projet de Graben que cela n'avait été le cas, en son temps, pour Kaiseraugst. 25 000 oppositions environ, dont beaucoup émanaient des autorités communales de la région touchée, sont parvenues à l'Office fédéral de l'énergie. Les objections étaient essentiellement dirigées contre la tour de refroidissement prévue. Même le gouvernement cantonal bernois, connu pour ses opinions favorables à l'énergie atomique, s'y est opposé [22].
Les travaux de construction de la centrale nucléaire de Leibstadt (AG) ont progressé sans incident. Les constructeurs ont déposé la requête visant à l'octroi de l'autorisation d'exploitation et comptent pouvoir faire les essais d'utilisation dès l'automne 1982. La Société d'électricité du nord-est, qui possède une large participation dans l'entreprise de Leibstadt, a en revanche renoncé à ses plans concernant la construction d'une centrale nucléaire à Rüthi (SG) [23].
Trouver un endroit sûr pour entreposer les déchets radioactifs est un des principaux problèmes liés à l'utilisation de l'énergie atomique. La CEDRA, qui cherche à résoudre ce problème en Suisse, a été confrontée à de dures oppositions. On a certes pu commencer, avec l'autorisation du Conseil fédéral, à faire des forages d'essai au Grimsel. Ils représentent la première phase dans la construction d'un laboratoire minéralogique destiné à faire des recherches sur la nature du granit [24]. En revanche, les sondages prévus sur le Plateau n'ont pas encore pu commencer. Ceux-ci doivent amener des renseignements au sujet de la morphologie du socle granitique qui se trouve entre zéro et 1500 mètres sous la surface de la terre. Ces connaissances sont une condition sine qua non de la réponse à la question de savoir si l'on peut stocker des déchets radioactifs en Suisse dans un endroit qui reste sûr pendant des millénaires. Dans huit des douzes communes où la CEDRA a prévu des forages, les habitants se sont prononcés contre ce projet lors d'une votation consultative. Les autorités de toutes les communes touchées, et de nombreux habitants de ces localités aussi, ont élevé des objections, au moins partielles, à la requête que le Conseil fédéral doit trancher. Du côté des opposants, on craint que la commune soit désignée comme lieu de stockage, au cas où les sondages, qui sont en eux-mêmes sans danger, apporteraient un résultat jugé positif par la CEDRA [25].
Le gouvernement fédéral a confirmé l'obligation de l'industrie atomique de présenter, jusqu'en 1985, un projet d'entrepôt en Suisse et de choisir la région où il serait construit. Ce dépôt interne est important pour ne pas accroître encore la dépendance face à l'étranger en matière d'approvisionnement énergétique. Les essais tentés par les USA et le Canada pour amener la Suisse à faire des concessions commerciales, en repoussant les autorisations de livraison et de transport de l'uranium, ont attiré clairement l'attention sur les risques d'une dépendance unilatérale [26].
Les adversaires de l'énergie atomique ont fait valoir leur revendication pour l'introduction d'une participation populaire directe en matière nucléaire dans d'autres cantons encore. A Berne, dans le Jura, à Lucerne, à Saint-Gall, à Soleure et dans le canton de Vaud, ils ont présenté des initiatives populaires sur ce sujet. A Glaris, la Landsgemeinde a décidé de soumettre au vote, à l'avenir, les prises de position du gouvernement cantonal sur les questions nucléaires. La modification constitutionnelle décidée en 1978 par les citoyens de Bâle-Campagne va plus loin que les initiatives citées ci-dessus. Elle demande au gouvernement cantonal de combattre les installations atomiques par tous les moyens légaux disponibles. Malgré l'opposition du PRD et du PDC, le peuple a approuvé à une nette majorité la législation d'exécution y relative présentée par le Conseil d'Etat [27].
 
[16] BO CN, 1980, p. 180 ss. ; cf. aussi APS, 1979, p. 104 s. Pour la nouvelle loi sur l'énergie atomique suisse, cf. U. Fischer, Die Bewilligung von Atomanlagen nach schweizerischem Recht, Bern 1980, et H. Rausch, Schweizerisches Atomenergierecht, Zürich 1980.
[17] BO CE, 1980, p. 714 ss.; TLM, 23, 23.1.80; APS, 1979, p. 105.
[18] Initiative «pour un avenir sans nouvelles centrales atomiques» (lancée par la FSE, etc.): FF, 1980, II, p. 521 s. Initiative «pour l'interruption du programme d'exploitation de l'énergie nucléaire»: FF, 1980, II, p. 486 s. Cf. aussi TA, 92, 21.4.80; TW (sda), 105, 6.5.80 ; Tell, 34, 27.2.81. En ce qui concerne les revendications relatives à cette dernière initiative, le problème de la désaffection des centrales existantes intervient de toute manière après une certaine durée d'exploitation.
[19] NZZ, 7, 10.1.80; 281, 2.12.80; 286, 8.12.80; BO CN, 1980, p. 419 s.; cf. aussi APS, 1979, p. 104 ss.
[20] BaZ, 177, 31.7.80. Seuls les deux Bâle ne croient pas à un besoin d'énergie suffisant. Zurich: TA, 23, 29.1.80; 180, 19.9.80 (résultat du vote: 125 586 oui contre 122 822 non).
[21] NZZ (sda), 95, 24.4.80; BaZ, 294, 15.12.80; APS, 1979, p. 106.
[22] FF, 1980, I, p. 451 ss. ; Bund, 73, 27.3.80 ; 83, 10.4.80 ; SZ, 77. 1.4.80 ; BaZ, 108, 9.5.80 ; TW, 108. 9.5.80 ; 24 Heures, 248, 24.10.80.
[23] Leibstadt: FF, 1980, III, p. 1133 s.; Vat., 269, 19.11.80. Rüthi: SGT, 41, 19.2.80; 42, 20.2.80.
[24] Bund, 147, 26.6.80; BO CN, 1980, p. 409; cf. aussi APS, 1979. p. 105 s. Voir également BO CN, 1980, p. 410 s., 629 s. et 876 s.; BaZ, 247, 21.10.80; NZZ (sda), 78, 2.4.80.
[25] Il s'agit de douze communes situées dans la partie nord du Plateau, dont sept dans le canton d'Argovie. deux dans les cantons de Soleure et de Zurich et une dans le canton de Schaffhouse (FF, 1980, II, p. 1111 ss.). Votes de consultation dans ces communes: BaZ, 41, 18.2.80; SZ, 64, 17.3.80; Ldb, 91, 21.4.80; NZZ, 190, 18.8.80; 217, 18.9.80; LNN, 225, 27.9.80; 228, 1.10.80. Cf. aussi Schweizerische Vereinigung für Atomenergie, Endlagerung radioaktiver Abfälle, Bern 1980, p. 71 ss.; 75 ss. et 105 ss.
[26] BaZ, 56, 6.3.80; 86. 12.4.80; 223, 23.9.80; Bund, 55.6.3.80; TA, 302. 20.12.80 ; BO CN, 1980, p. 993 s. ; BO CE, 1980, p. 26 ss. Voir aussi supra, part. I, 2 (Nuklearexporte).
[27] Bund, 66, 19.3.80 ; 251, 25.10.80 (BE). TLM, 56, 2 5.2.80 ; 316, 1.1 1.80 (JU ). LNN, 109, 10.5.80 (LU). SGT, 18, 23.1.80; 163, 15.7.80 (SG). Vr, 31, 14.2.80; NZZ (sda), 199, 28.8.80 (SO). 24 Heures, 22, 28.1.80 ; BaZ, 104, 5.5.80 (GL). Cf. également APS, 1979, p. 106 s.