Année politique Suisse 1981 : Allgemeine Chronik / Landesverteidigung
 
Défense nationale et société
Avec un inégal respect des fondements de la politique de sécurité, c'est au problème de l'isolement du pays neutre entre les deux blocs que se sont adressés les promoteurs du mouvement pacifiste et les spécialistes des questions militaires. Les premiers, imitant les neutralistes des pays européens de l'OTAN, en ont appelé aux grandes puissances pour qu'elles interrompent l'escalade absurde des armes de destruction massive. Les groupements, aux motivations hétérogènes, unis dans la recherche d'une alternative à la paix par la terreur, souhaitent donner une impulsion radicale à la politique étrangère de la Suisse. Dans cette optique, ils estiment nécessaire que notre pays échappe à la dépendance unilatérale où l'enserre sa politique d'armement [1]. Cette transfiguration de la neutralité devrait aussi entraîner l'interdiction de l'exportation de matériel de guerre, ont rappelé les opposants à l'exposition militaire internationale privée «W'81» [2]. Une attitude de strict «non-alignement» de la part de la Suisse ne serait pas pour déplaire à une tendance qui a signalé son emprise dans les rangs socialistes. Cette aile du parti craint non seulement que les partis bourgeois et l'administration militaire ne surestiment les facultés d'adaptation de notre petit Etat à la spirale technologique des armements, mais elle soutient encore qu'ils situent déjà la neutralité trop à l'Ouest [3]. A l'image de l'épouvantail brandi par les jeunes socialistes, qui se sont attiré les remontrances de la direction du PSS, une partie du mouvement pacifiste a réclamé le démantèlement de l'armée. Des voix plus distinctes, inspirées par des valeurs chrétiennes, ne se lassent pas de suggérer que ce n'est pas son armée, mais l'intolérance et l'intérêt, qui empêchent la Suisse d'oeuvrer véritablement pour la paix [4].
En présence de ces défis, les avocats d'une préparation réaliste à la guerre ont aiguisé leurs arguments. La doctrine du «prix d'entrée élevé» reste une contribution essentielle de la Suisse à la stabilité de l'Europe et, partant, à la paix. Cependant, notre stratégie de dissuasion ne saurait être pleinement efficace que si l'équilibre des puissances nucléaires est maintenu. De l'avis des experts, ces conditions protectrices sont en passe de disparaître. La dénucléarisation de l'Europe, du Portugal à la Pologne, et à la Pologne seulement, que réclame le mouvement pacifiste, balayerait toute garantie. En d'autres termes, le redressement de la politique de défense américaine et le réarmement de l'OTAN pourraient comporter des aspects positifs pour la sécurité de notre pays. D'ailleurs, ont précisé les militaires, l'annonce de la fabrication de l'arme à neutrons ne nous a pas pris au dépourvu [5].
Champion de la neutralité forte, le chef du DMF s'est porté au-devant du courant de refus. «Les pacifiques, c'est nous, c'est l'armée», a-t-il déclaré, prenant pour toile de fond les diverses présentations et défilés qui ont marqué l'année militaire [6]. Des représentants de partis bourgeois ont vu dans la participation de groupements d'obédience marxiste au mouvement pacifiste l'indice d'une manipulation, tandis que des officiers généraux ont relevé son extension rapide et unilatérale. Certains y ont aperçu le résultat d'une guerre psychologique habile, menée à long terme dans le but d'affaiblir la résistance de l'Occident. Commentant l'ensemble des problèmes de conscience soulevés par la défense armée et l'obligation de servir, les chefs militaires ont exprimé leur préoccupation à l'idée que des concessions, propres à aggraver l'effet de la diminution naturelle des effectifs, ne poussent la Suisse vers une alternative contraire à sa tradition de milice et de neutralité [7].
En matière de défense générale, l'exercice effectué en 1980 a montré la nécessité d'une solution plus efficace pour la coopération entre autorités fédérales et cantonales en cas de crise internationale ou de guerre. Etant donné le raccourcissement des délais d'alerte, le Conseil fédéral a modifié son arrêté sur les cours de répétition, de complément et de Landsturm; il s'est donné la compétence de maintenir des troupes sur pieds pendant les périodes de fétes, si des circonstances exceptionnelles l'exigeaient [8]. La couverture du champ de coordination entre services civils et militaires a progressé: le gouvernement a pris connaissance du concept de service sanitaire coordonné, et l'a transmis aux cantons pour qu'ils prennent leurs dispositions; l'Etat-major de la défense a publié son concept du service de protection AC coordonné [9].
Au chapitre de la planification, la situation financière de la Confédération laisse planer un des principaux points d'interrogation. Le rythme de l'équipement ou du remplacement du matériel périmé de l'armée obéit plus aux lois du déficit qu'à l'analyse de la menace, ont répété partis bourgeois et milieux militaires. La satisfaction de voir comblées d'importantes lacunes grâce aux programmes d'armement substantiels adoptés ces dernières années n'a pas effacé leur inquiétude face au retard pris dans la réalisation du plan directeur — armée 80. Dans son rapport intermédiaire sur les Grandes lignes de la politique gouvernementale, le Conseil fédéral a indiqué que le montant des investissements militaires doit bien atteindre, d'ici 1983, les 7,6 milliards accordés au DMF pour la durée de la législature. R. Friedrich (prd, ZH), président de la Commission des affaires militaires du National, a néanmoins souligné combien étaient minces les crédits à attribuer en 1982 et 1983: un milliard. L'augmentation des coûts d'exploitation et du prix du carburant, a ajouté le commandement, enlève chaque année de sa substance au budget dont il dispose: 55 millions en 1981, 90 millions en 1982 [10]. Les 3,802 milliards de dépenses militaires inscrits au budget de 1982 ne contribueront donc que momentanément à décharger la liste des besoins en souffrance [11]. Dans le domaine des effectifs d'instruction et d'entretien, a averti le chef du DMF, nous sommes en-dessous de la limite de crédibilité. Inflexibles, les Chambres n'ont pas même accordé la dérogation au blocage du personnel que le gouvernement demandait pour assurer la maintenance des nouveaux avions de combat [12].
C'est dans cette atmosphère de parcimonie que, présentant l'étude de son groupe «politique étrangère et politique de sécurité» sur la guérilla et la résistance civile, le PDC suisse a réaffirmé son allégeance à la primauté de la défense opérative. Il exige, toutefois, que soient exploitées toutes les possibilités de préparer le pays à la guérilla, car celle-ci a son rôle à jouer comme prolongement de la défense en territoire occupé [13]. Sans craindre de voir grand, les militaires, eux, ont débattu des données actuelles de la défense combinée. C'est que le prochain plan directeur, qui fixera les objectifs que la préparation de la défense militaire devra atteindre dans les années 90, est en maturation. Tandis qu'une «pause de réflexion» était imposée à l'administration militaire au début de l'année, pour y calmer les controverses relatives aux moyens de rehausser mobilité et capacité de défense antichar, les doctrines modernes d'engagement et les systèmes d'armes qui leur correspondent ont fait l'objet d'un examen approfondi au sein de la Société suisse des officiers. Les partisans d'une mécanisation accrue y ont donné le ton [14].
 
[1] Manifestations pacifistes: Bund, 208, 7.9.81; LNN, 260, 9.11.81; Suisse, 335, 1.12.81; BaZ, 292, 14.12.81. Pour celle de Berne le 5.12.81, cf. supra, part. I, 2 (Introduction). Voir encore Wir wollen nicht zu Tode verteidigt werden, hrsg. v. Schweiz. Friedensrat, Zürich 1981.
[2] TA, 109, 13.5.81; 148, 30.6.81 ; 149, 1.7.81; Ldb, 111, 16.5.81; 119, 26.5.81; 146-148, 29.6.-1.7.81 ; Virus, 39, juin 1981 ; question urgente Braunschweig (ps, ZH) in BO CN, 1981, p. 952.
[3] TA, 39, 17.2.81 (Braunschweig) ; TW, 240, 14.10.81; SP-Information, 108, 14.12.81; cf. en outre NZZ, 214, 16.9.81. Sur la conception socialiste de la neutralité, voir SP-Information, 105, 22.10.81 (Hubacher) et intervention Grobet (ps, GE) pendant la discussion du rapport sur l'affaire Bachmann (BO CN, 1981, p. 48 s.).
[4] Vr, 62, 30.3.81; 238, 8.12.81; TA, 77, 2.4.81; SP-Information, 96, 27.4.81; TW, 106, 8.5.81; 231, 3.10.81; Infrarot, 47, sept./oct. 1981 (A. Gross) ; BaZ, 286, 7.12.81; Woche, 14, 11.12.81. Doctrine chrétienne ; cf. H. Ruh in TA, 47, 26.2.81 et in Reformatio, 30/1981, p. 449 ss.
[5] Situation politico-stratégique: divisionnaire Däniker in TA, 24, 30.1.81 et NZZ, 265, 14.11.81; commandant de corps Zumstein (NZZ, 36, 13.2.81) ; D. Brunner in BaZ, 106, 8.5.81; le président de la commission du PSS pour la politique de sécurité, H. Buchbinder, in BaZ, 107, 9.5.81; Kurt Furgler à l'occasion du débat sur le rapport intermédiaire sur les Grandes lignes de la politique gouvernementale in BO CN, 1981, p.1503. Arme à neutrons: Bund, 185, 11.8.81; TA, 201, 1.9.81. Voir aussi B. Näf, Die konzeptionnelle Entwicklung der schweizerischen Sicherheitspolitik in der Zeit ihrer Entstehung 1969-73, Zürich 1981; Landesverteidigung in der Zukunft. Festschrift zum 175jährigen Bestehen der Offiziersgesellschaft Winterthur und Umgebung, Frauenfeld 1981.
[6] G.-A. Chevallaz, «Notre armée, un instrument de dissuasion», in Documenta, 1981, no 3, p. 7s. Manifestations publiques et image de l'armée: 500e anniversaire de l'entrée de Soleure et de Fribourg dans la Confédération (SZ, 73, 28.3.81; Lib., 286, 12.9.81); défilé div camp 8, à Emmen ( Vat., 73, 28.3.81; TA, 73, 28.3.81); Comptoir de Lausanne (24 Heures, 212, 12.9.81; 218, 19.9.81); défilé div mont 12, à Coire (TA, 248, 26.10.81). Pour un musée de l'armée : postulat Augsburger (udc, BE) in BO CN, 1981, p. 540 ss. Politique de sécurité et école : interpellations in BO CN, 1981, p. 538 s.
[7] G.-A. Chevallaz (Suisse, 261, 19.9.81; interview in BaZ, 273, 21.11.81); R. Friedrich in NZZ, 205, 5.9.81; divisionnaire Seethaler devant les jeunes libéraux de Winterthur (NZZ, 266, 16.11.81); officiers supérieurs in Woche, 14, 11.12.81; PRDS (NZZ, 101, 4.5.81; 229, 3.10.81); Action liberté et responsabilité in Suisse, 365, 31.12.81.
[8] NZZ, 35, 12.2.81; Ww, 32, 5.8.81; cf. APS, 1980, p. 51. Le CN F. Jeanneret (pl, NE) a été élu président du Conseil de défense générale (NZZ, 271, 21.11.81). Cours de répétition pendant les fêtes: BO CN, 1981, p. 120; 24 Heures, 43, 21.2.81; TW, 44, 23.2.81.
[9] NZZ, 41, 19.2.81; Etat-major de la défense, Concept du service de protection AC coordonné, mai 1981; cf. aussi infra, Organisation de l'armée.
[10] FF, 1981, I, p. 646 s.; BO CN, 1981, p. 1489 s.; BO CE, 1981, p. 486 ss. ; TA, 8, 12.1.81; NZZ, 102, 5.5.81; cf. G.-A. Chevallaz in BO CN, 1981, p. 1079. Cf. également APS, 1978, p. 46; 1979, p. 57; 1980, p. 47.
[11] Soit 95,2% des dépenses de défense nationale, et + 9,5% par rapport au budget 1981. Le poste des acquisitions de matériel de guerre progresse de 278 millions, soit 18,9%. Voir Message du Conseil fédéral... concernant le budget... pour l'année 1982, p. 12* s.
[12] BO CN, 1981, p. 576. Voir, par contre, motion Hari (udc, BE), demandant l'augmentation des primes de garde pour chevaux du train : BO CN, 1981, p. 546 s.; BO CE, 1981, p. 349 s. (approuvée comme postulat).
[13] Vat., 31, 7.2.81. Sur la guérilla: A. Stahel, Simulationen sicherheitspolitische Prozesse anhand von Beispielen und Problemen der schweizerischen Sicherheitspolitik, Frauenfeld 1980.
[14] Ww, 4, 21.1.81; NZZ, 19, 24.1.81; 53, 5.3.81 (H. Wanner); 162, 16.7.81; 24 Heures, 177, 3.8.81 (P. Henchoz); BaZ, 202, 31.8.81. Sur les possibilités de rénover le char Centurion cf. NZZ, 64, 18.3.81; 295, 19.12.81. Cf aussi Schweiz. Kriegstechnische Gesellschaft, Luftverteidigung in den achtziger und neunziger Jahren, Frauenfeld 1981 et symposium de la Société suisse des officiers (ASMZ, 147/1981, no 7/8); cf. également APS, 1980, p. 48.