Année politique Suisse 1981 : Allgemeine Chronik / Landesverteidigung
 
Armement
Au regard du coût des armements les plus performants actuellement mis en service à l'étranger, l'effort financier consenti par la Suisse pour sa défense militaire est modeste, pour les uns, mais, pour d'autres, fait preuve d'une présomption aveugle. Les ferments de désaccord entre partis bourgeois et gauche socialiste ne se sont pas estompés en 1981. Contrairement à l'habitude, les acquisitions d'armement ont fait l'objet de deux messages, dont le total s'est élevé à 1,464 milliards. Il importait de décider au plus tôt de l'achat de la seconde série de chasseurs de couverture aérienne «Tiger», car le prix de cet appareil américain était déjà de 28% plus élevé qu'au moment de l'acquisition des 70 premiers avions de ce type, en 1975. Destinés à remplacer les trois dernières escadrilles de «Venom», les 38 «Tiger» que devrait permettre d'obtenir le crédit d'engagement de 770 millions de francs seront livrés à notre aviation entre le milieu de 1983 et le printemps de 1985. Avec le premier message, d'un montant total de 880 millions, les Chambres se sont aussi vu proposer l'achat de 40 avions-école «PC-7». Ces machines, fabriquées par l'usine Pilatus de Stans, permettent, grâce à leurs performances élevées, de préparer les jeunes pilotes à passer directement sur avion de combat. Alors que la nécessité de renouveler le parc des avions-écoles n'a pas été contestée, l'opportunité d'un sacrifice financier supplémentaire pour la défense de notre espace aérien a été évaluée diversement dans les rangs socialistes. Estimant, tout comme en 1980 à propos des engins solair «Rapier», que l'introduction d'armements sophistiqués, en nombre trop faible pour être réellement efficaces, accapare des ressources disproportionnées au détriment de la masse de l'infanterie, les représentants de la gauche se sont abstenus lors du vote aux Etats. Ils ont devancé l'avis de leur groupe, qui, divisé, a alors laissé la liberté de vote à ses conseillers nationaux. La première partie du programme d'armement 1981 n'a donc été adoptée que par 111 voix, contre 8. Les orateurs des partis bourgeois ont fustigé le manquement aux règles de la solidarité gouvernementale que constitue, à leurs yeux, cette attitude.
Sans pour autant entraîner d'opposition aux Chambres, le choix du PC-7 a suscité un autre genre de ressentiment. Le produit de la fabrique de Stans avait un concurrent, développé par les usines d'Altenrhein (SG). Ce dernier, le AS 32-T, n'en était qu'au stade du projet au moment de la décision, mais, pour les représentant du nord-est du pays, le Conseil fédéral n'a pas joué franc jeu, car il n'a pas créé les conditions d'une véritable compétition au sein de l'industrie suisse en vue de cette commande. Conscients des griefs de l'industrie aéronautique suisse, nos négociateurs ont cherché à augmenter le bénéfice qu'elle pourrait tirer des accords de compensation conclus en relation avec l'achat des «Tiger». Des groupes d'assemblage, choisis en fonction de leur apport pour la technologie militaire, seront, cette fois, fabriqués en Suisse sous licence partielle [15].
Le second message n'a rencontré de contestation que de la part de l'extrême-gauche. Prolongeant les efforts déjà entrepris dans le cadre du plan directeur, le gouvernement proposait d'attribuer 584 millions de francs au renforcement de la défense antichar. L'infanterie a ainsi reçu un demi-millard pour l'achat d'une troisième série d'engins guidés Dragon, destinés ceux-là à la Landwehr. Les Etats-Unis permettent finalement que ces armes soient produites sous licence dans notre pays. La mise au point de ces contrats et des mesures assurant des commandes de compensation pour les «Tiger» a été parachevée au cours de la visite que deux hauts responsables du Groupement de l'armement ont rendue en août à cet important pays fournisseur. Avec ce second message, Israël devient également un de nos pourvoyeurs d'armement: 76 millions de francs lui reviendront en contre-partie de la livraison d'obus-flèche, une munition antichar extrêmement perforante qui équipera nos blindés. L'établissement d'une telle relation n'a pas été du goût de l'extrême-gauche, mais, a répondu le Conseil fédéral, le choix d'une munition n'implique aucun parti-pris politique [16].
Parmi les acquisitions prévues pour un proche avenir, celle d'un camion tout terrain est une nouvelle occasion de rappeler l'importance que les commandes du DMF peuvent revêtir pour l'industrie suisse. Le prix du véhicule mis au point par la société Saurer, toujours en difficulté, est resté supérieur à celui du modèle rival fabriqué en Autriche. Toutefois le Conseil fédéral s'est décidé, en principe, à «acheter suisse». Cela ne sera pas le cas, on le sait, pour le nouveau char de combat, mais la question de cette acquisition a momentanément cessé de faire des vagues. Des exemplaires des deux plus sérieux «candidats», le Leopard-2 allemand et le M-1 américain, sont arrivés en Suisse pour des essais [17].
Le Conseil national a pris acte du troisième rapport de sa Commission militaire sur la correction des défauts du char 68. La révision de l'organisation de l'acquisition d'armement, entreprise à la suite des insuffisances constatées dans la construction du blindé suisse, a commencé à passer dans les faits. Sans attendre que, lors de sa session de printemps, le National ait, à son tour, discuté du rapport des Commissions de gestion, le DMF a mis en oeuvre les mesures recommandées. Il a ainsi fait entrer le chef de l'instruction dans la Délégation pour l'armement et a rendu le chef de l'Etat-major général responsable des travaux de cet organe. Conformément aux motions et postulats joints à ce rapport par les deux Conseils, le DMF a, par ailleurs, formé deux groupes de travail. L'un étudie la réorganisation de l'administration centrale du Groupement de l'armement, l'autre examine le rôle et le statut des fabriques fédérales d'armement. Ces entreprises se sont d'ores et déjà vu assigner une plus large autonomie de gestion [18]. Cependant, les milieux économiques réclament toujours une meilleure collaboration entre le DMF et le secteur privé dans la planification des besoins et le développement des armements. Cette collaboration, toute souhaitable qu'elle soit, ne doit pas transgresser la règle de la subordination du militaire au politique, ont estimé les présidents des Commissions militaires des deux Chambres; l'idée de ne confier au parlement que le vote de crédits-cadre leur est inadmissible [19].
C'est, au contraire, selon W. Carobbio (psa, TI), «la nécessité toujours plus évidente de soumettre la politique militaire à un contrôle populaire accru» qui motive les tentatives d'introduire le référendum facultatif en matière de dépenses militaires. L'initiative parlementaire Herczog (poch, ZH) proposait ce référendum pour les demandes de créditssupérieures à 100 millions de francs; au printemps, le National l'a rejetée par 126 voix contre 22. Les représentants des partis bourgeois ont saisi l'occasion de ce débat pour combattre, par avance, l'initiative populaire que le PSS s'apprêtait à lancer. Résultat d'une offensive de l'aile pacifiste du parti, le texte socialiste ne prévoit pas de montant minimal, et s'appliquerait aussi bien aux crédits de recherche, de construction et d'achat de terrains qu'aux programmes d'armement. La récolte des signatures a débuté le 24 novembre 1981. Pour la direction du PSS, la démarche relève d'un souci de transparence, et non d'un préjugé hostile; il s'agit d'astreindre le DMF à la discipline des caisses vides, en faisant confiance au jugement du peuple, même si cela devait compliquer la procédure d'armement. Pour le chef du DMF et pour les milieux militaires, les questions d'acquisition sont trop techniques et ont trop d'effet sur le moral de la troupe pour qu'on étende à d'autres qu'aux parlementaires le droit d'en discuter; leurs critiques ont visé le principe du référendum financier limité et ont évoqué les entraves qu'une telle institution imposerait à la préparation de notre défense. Selon le conseiller fédéral Chevallaz, les auteurs de ces initiatives n'auraient d'autre but que d'affaiblir l'armée [20].
 
[15] Message: FF, 1981, I, p. 222 ss. Arrêté: FF, 1981, II, p. 599. Débats: BO CE, 1981, p. 33 ss.; BO CN, 1981, p. 563 ss. ; presse du 5.3.81; TLM, 154, 3.6.81; TA, 127, 4.6.81; presse du 5.6.81. Doléances de la Suisse orientale : Ww, 4, 21.1.81; SGT, 21, 27.1.81; intervention Oehler (pdc, SG) in BO CN, 1981, p. 572. Cf. APS, 1980, p. 49 ainsi que APS, 1975, p. 59; 1976, p. 49. Accords compensatoires: cf. supra, part. I, 2 (Relations économiques bilatérales).
[16] Message : FF, 1981, II, p. 517 ss. Arrêté: FF, 1981, III, p.1100. Débats: BO CN, 1981, p.1070 ss. ; BO CE, 1981, p. 527 ss.; presse du 29.9.81 et du 17.12.81. Voyage de C. Grossenbacher et R. Huber: presse du 12.8.81.
[17] Camion: Ww, 23, 3.6.81; 51, 16.12.81; TA, 291, 15.12.81. Char: TA, 57, 10.3.81; Bund, 93, 23.4.81; 24 Heures, 109, 12.5.81; 188, 15.8.81 ; cf. APS, 1979, p. 60 ; 1980, p. 50. Sur les essais des variantes du nouveau fusil d'assaut, voir NZZ, 164, 18.7.81; Ww, 45, 4.11.81.
[18] Char 68: BO CN, 1981, p. 57 s. Acquisition d'armement: FF, 1981, I, p. 369 ss.; BO CN, 1981, p. 319 ss. et 340 ss. Ordonnances : RO, 1981, p.177 ss. et 1612 ss. ;NZZ, 51, 3.3.81; 85,11.4.81;197, 27.8.81; Bund, 51, 3.3.81. Cf en outre E. Rühli in SAMS-Informationen, 2/1981, p. 147 ss. ainsi que APS, 1979, p. 60; 1980, p. 50 s.
[19] Bund, 20, 16.1.81; L'Impact, 151, janvier 1981; ASMZ, 147/1981, no 7/8 ; Rüstungspolitik und Rüstungsbeschaffung, hrsg. vom Verein zur Förderung des Wehrwillens, Beilage ASMZ, 147/1981, no 1; R. Friedrich et F. Muheim (pdc, UR) in LNN, 239, 15.10.81.
[20] Initiative Herczog: BO CN, 1981, p. 298 ss. (intervention Carobbio: ibid., p. 307); presse du 19.3.81; VO, 12, 23.6.81. Initiative du PSS; FF, 1981, III, p. 689; TW, 49, 28.2.81; 281, 1.12.81 (H. Hubacher); TA, 51, 3.3.81 (A. Lutz); SZ, 65, 19.3.81 (F. Rubi); presse du 27.11.81; Rote Revue, 12/1981 ainsi que Ldb, 30, 6.2.81 (R. Friedrich); Bund, 51, 3.3.81 (H.R. Kurz); BaZ, 180, 5.8.81 (W. Loretan); voir aussi interpellation Hubacher (économies au DMF) BO CN, 1981, p. 542 s.; APS, 1977, p. 48, 1979, p. 57, 1980, p. 48.