Année politique Suisse 1982 : Grundlagen der Staatsordnung / Föderativer Aufbau / Questions territoriales
La
question jurasienne s'est à nouveau révélée riche en péripéties. La recrudescence de l'activité du mouvement autonomiste, les initiatives prises par les communes de Vellerat (BE) et Ederswiler (JU) pour rejoindre le canton de leur choix, le renouvellement des autorités cantonales et communales en ville de Moutier sont autant d'épisodes qui se sont succédé en 1982. Hôte d'un jour du nouveau canton, le Conseil fédéral in corpore a pu se rendre compte combien l'élan visant au rattachement du Jura méridonal au nouvel Etat est encore vivace
[13]. En dépit de ce climat de tensions, les pourparlers ayant trait au partage des biens se sont poursuivis, non sans que certains milieux autonomistes se soient inquiétés du peu d'informations donné à ce jour sur l'état des travaux. Après la conclusion d'une série d'accords en décembre 1981, dix nouvelles conventions ont été paraphées dans le courant de l'année. Au terme de ces tractations, l'Etat bernois devra verser quelques 34 millions de francs, ce qui porte à 210 millions le montant total des biens et liquidités transférés de Berne à Delémont depuis la création de la République et canton du Jura
[14].
Les
dissensions internes qui secouent le Rassemblement jurassien (RJ) ne se sont guère apaisées. Le différend opposant le secrétaire général, R. Béguelin à deux autres personnalités du mouvement, G. Roy et L. Domeniconi, s'est ravivé scius l'effet des procédures judiciaires engagées par chacune des parties. Une médiation a bien été tentée devant une assemblée des délégués, mais le conflit a rebondi à la suite de la nomination de deux nouveaux membres au bureau exécutifdu RJ, en lieu et place des deux exclus. Or tant G. Roy, élu secrétaire adjoint en 1980, que L. Domeniconi, président de la Fédération du district de Delémont, considèrent que leurs fonctions leur donnent le droit de siéger d'office à la direction du RJ. Du reste, les délégués réunis au Noirmont, en les innocentant à nouveau des accusations portant entre autres sur de prétendues irrégularités financières, les avaient implicitement confirmés dans leurs attributions respectives
[15]. Toujours est-il que la plainte pénale déposée par G. Roy n'a pas été retirée et que le bureau exécutif a entamé une campagne visant à expulser les deux dissidents du RJ même. Un instant contestée, l'autorité morale de R. Béguelin et, à travers lui du RJ, a été en partie recouvrée lors de la 35e Fête du peuple jurassien. Il est vrai que l'objet du litige porte moins sur le fond, à savoir la réunification du Jura dans ses frontières historiques, que sur des problèmes de stratégie, voire de direction du mouvement. Les manoeuvres tendant à évincer le député sortant L. Domeniconi de la liste socialiste pour les élections au Parlement cantonal sont à cet égard assez révélatrices
[16]. Toutefois, ces querelles intestines ne devraient pas masquer le début d'un processus de divorce entre la base militante et la direction par trop élitaire du mouvement. Après le groupe Bélier qui s'était distancé du RJ en novembre 1981, c'est au tourde la toute puissance Fédération de Delémont de menacer de s'en aller si les procédures d'exclusion engagées par le bureau exécutif à l'encontre de G. Roy et L. Domeniconi ne sont pas suspendues
[17].
Les difficultés que connaît le mouvement autonomiste contrastent avec l'apparente accalmie au sein des rangs antiséparatistes. La volonté d'apaisement qui s'y manifeste s'inscrit dans le processus de normalisation amorcé l'année dernière déjà par les responsables pro-bernois. Cette intention a été réaffirmée à l'occasion du 30e anniversaire du mouvement antiséparatiste à Tramelan et de la première Fête des communes du Jura bernois (FJB) à Reconvilier
[18]. Démissionnaire en 1981, la conseillère nationale G. Aubry-Moine (prd, BE) a été remplacée à la tête du Groupement féminin de Force démocratique par une présidence collégiale de cinq membres
[19].
Le problème lancinant de l'appartenance territoirale de
Vellerat et Ederswiler bute sur les positions toujours aussi tranchées des parties en présence. Ces deux communes sont un «résidu» de la procédure d'autodétermination prévue par l'additif constitutionnel bernois de 1970. Seules pouvaient se prononcer en dernier ressort les localités dont le territoire touchait la nouvelle et provisoire frontière de la République et canton du Jura. Ce n'était le cas ni de Vellerat ni d'Ederswiler. Les deux hameaux avaient pourtant manifesté à plusieurs reprises leur volonté d'être rattachée au canton de leur choix, mais en vain. De guerre lasse, les habitants de Vellerat ont décidé de passer à l'action. Après avoir adressé un ultimatum au gouvernement bernois et fait appel à la solidarité de l'ensemble des communes helvétiques, l'Assemblée communale s'est prononcée à une large majorité pour une suspension des liens administratifs avec la Berne cantonale. Parallèlement, le groupe Bélier a mené un certain nombre d'opérations pour attirer l'attention du public sur les aspirations de cette localité
[20]. C'est au cours d'une manifestation patronnée par le RJ, dans une liesse populaire, que la rupture a été officiellement annoncée. Elle s'est manifestée notamment par le refus des contribuables de verser leurs impôts. Ces derniers ont été virés sur un compte bloqué en attendant le règlement du contentieux
[21]. Au moment où le village francophone de Vellerat rompait avec le canton de Berne, Ederswiler, commune alémanique du district de Delémont, faisait parvenir aux autorités jurasiennes une pétition demandant la mise en place de dispositions constitutionnelles et légales pour son rattachement au Laufonnais
[22].
Les responsables politiques concernés ont certes réagi à ces diverses initiatives
[23], mais il a fallu attendre la réunion tripartite des délégations aux affaires jurassiennes pour que se clarifie quelque peu les enjeux. Or sur ce point là, les positions respectives n'ont guère évolué. Le Conseil exécutif bernois persiste à lier le sort de Vellerat à celui, similaire, d'Ederswiler. Considérant le problème sous le seul chapitre des «bavures» de l'additif constitutionnel bernois, il propose de le régler par un éventuel transfert de ces deux communes et ce, dans le sillage du destin du Laufonnais. C'est également dans ce sens que s'est exprimé le Conseil fédéral. Le gouvernement jurassien, en revanche, se refuse à l'idée d'un tel échange, du moins tant que le sort du Laufonnais ne sera pas définitivement scellé. En fait, aussi bien les autorités jurassiennes que le RI veulent éviter un règlement qui se circonscrirait à ces deux localités. Ils souhaitent la mise en place d'une procédure plus large pour le cas où d'autres communes du Jura méridional basculeraient dans le camp autonomiste
[24]. La victoire électorale de la coalition séparatiste au Conseil de ville de Moutier n'a pu qu'inciter l'exécutif jurassien à rester très ferme. Cette consultation a pris des allures de nouveau plébiscite, tant cette localité a valeur de symbole et comme en témoigne le taux de participation record (94,9 %). Manifestement, ce sont les jeunes générations qui ont fait pencher la balance. Le succès obtenu par la liste Le Rauraque, nouveau venu sur l'échiquier politique, a été sans doute déterminant
[25].
[13] La CN Aubry-Moine (prd, BE) a interpellé le CF sur l'opportunité d'une telle visite dans un canton qui s'est toujours refusé à se soumettre aux décisions prises à la suite des plébiscites jurassiens (BO CN, 1982, p. 708 s.). Visite du CF: TLM, 330, 26.11.82. Pour les élections cantonales, cf. infra, part. I, 1e (Jura). Sur la question jurassienne, voir « Livre blanc» sur les relations entre le Rassemblement jurassien et les autorités suisses. Edité par le Rassemblement jurassien, Delémont 1981; Béguelin R. et Charpilloz A., Les racines de l'unité jurassienne. Les minorités latines de Suisse sont-elles condamnées?, Delémont 1982.
[14] Les accords signés portent notamment sur le partage du mobilier et des marchandises de l'ancienne administration cantonale, des avoirs publics et privés, des comptes transitoires, des caisses de compensation AVS et d'allocations familiales. Partage des biens: presse du 24.9.82. Critiques: TLM, 106, 16.4.82 (Bélier) et Suisse, 265, 22.9.82 (Béguelin).
[15] Une assemblée similaire s'était réunie en novembre 1981, au cours de laquelle l'intégrité de Roy avait été reconnue. Cf. APS, 1981, p. 29. Plaintes pénales: Suisse, 9, 9.1.82 ; BaZ, 8, 11.1.82; TLM, 13, 13.1.82. Différend et objet du litige: L'Hebdo, 4, 29.1.82; Suisse, 66, 7.3.82 (Béguelin); 73, 14.3.82 (Roy). Assemblée des délégués: presse du 5.4.82; Jura libre, 1574, 8.4.82. Pour remplacer Roy et Domeniconi, le bureau exécutif a fait appel au maire de Vellerat, Comte, et au député démocrate-chrétien Raccordon (TLM, 141, 21.5.82; Suisse, 142, 22.5.82). Voir également NZZ, 84, 13.4.82; BaZ, 86, 15.4.82 ainsi que APS, 1980, p. 28; 1981, p. 28 s.
[16] Des militants autonomistes ont dénoncé l'intransigeance du secrétaire général dans le conflit qui l'oppose à certains chefs historiques du RJ (Suisse, 165, 14.6.82; TLM, 166, 15.6.82). Elimination de Domeniconi du Parlement jurassien: Suisse, 247, 4.9.82 ainsi que infra, part. I, 1e (Jura). Fête du peuple: presse du 13.9.82 ; Jura libre, 1593, 16.9.82.
[17] Groupe Bélier: cf. APS, 1981, p. 29, note 22. Fédération du district de Delémont : 24 Heures, 145, 25.6.82 ; TLM, 176, 25.6.82; BaZ, 146, 26.6.82; NZZ, 150, 2.7.82.
[18] 30 ans d'antiséparatisme: TLM, 248, 5.9.82; Quinquet, 117, 10.9.82. Fête de FJB: SZ, 206, 6.9.82; NZZ, 206, 6.9.82; Quinquet, 118, 17.9.82.
[19] 24 Heures, 49, 1.3.82; Quinquet, 98, 19.3.82.
[20] Ultimatum: Bund, 83, 10.4.82; 24 Heures, 100, 29.4.82. Solidarité des communes suisses: Suisse, 149, 29.5.82. Décision de l'Assemblée communale: presse du 12.8.82. Actions du Bélier: interruption du trafic sur la ligne ferroviaire Lauterbrunnen-Wengen (Suisse, 100, 10.4.82; Bund, 84, 13.4.82) et versement de colorant dans un certain nombre de piscines de villes bernoises (Suisse, 213, 1.8.82; Bund, 177, 2.8.82). Voir également L'Hebdo, 19, 14.5.82; Suisse, 175, 24.6.82; 213, 1.8.82 (dossier); TLM, 238, 1.8.82; TA, 177, 3.8.82.
[21] Presse du 16.8.82. Le Conseil municipal de Vellerat est en revanche revenu sur sa décision de ne pas organiser le scrutin relatif à la désignation des aqtorités judiciaires et à deux initiatives cantonales (TLM, 270, 27.9.82). Par ailleurs et pour la seconde fois, les urnes de la commune ont été enlevées par un mystérieux commando, l'«Armée de libération du Jura» (TLM, 271, 28.9.82).
[22] 24 Heures, 186, 12.8.82 ; TA, 185, 12.8.82. Voir également JdG, 66, 20.3.82 ; Suisse, 157, 6.6.82 ; 255, 12.9.82 (dossier); BaZ, 194, 21.8.82.
[23] La déclaration d'indépendance de la commune de Vellerat n'a pas suscité de violentes réactions. Le gouvernement bernois a ouvert une enquête administrative au terme de laquelle il a publié un arrêté qui considère la déclaration d'indépendance comme nulle (Bund, 224, 25.9.82). Répondant à une question du CN Soldini (vig, GE), le CF a souligné pour sa part que la décision des habitants de Vellerat est totalement dépourvue d'effet juridique (BO CN, 1982, p. 1275).
[24] Conférence tripartite : Suisse, 354, 20.12.82 ; 356, 22.12.82 ; Lib., 70, 23.12.82 ; TLM, 358, 24.12.82. Conseil exécutif bernois: Bund, 100, 1.5.82; TLM, 149, 29.5.82; Suisse, 268, 25.9.82. CF: BO CN, 1982, p. 1276 (quest:ion ordinaire du CN Ziegler, pdc, SO); TLM, 150, 30.5.82. Gouvernement jurassien: Bund, 205, 3.9.82. Cf. également TLM, 227, 15.8.82, (RJ); JdG, 201, 30.8.82; NZZ, 207, 7.9.82 (Droz, secrétaire de Force démocratique) ainsi que APS, 1980, p. 29 s.
[25] Alors qu'au Conseil de ville les autonomistes ont consolidé leur position, au législatif, en obtenant 51,9% des suffrages exprimés (1978: 49,6%), ils ont enlevé un siège au détriment des antiséparatistes de l'Entente prévôtoise. La liste des jeunes Le Rauraque a gagné 5 mandats (12,5% des voix); le PDC et le PSA lui en cédant chacun 1 et le PL 2. Côté antiséparatiste, c'est l'UDC qui a fait les frais du siège perdu par la coalition. Presse des 6 et 7.12.82. Cf. aussi 24 Heures, 280, 281, 1.-2.12.82; Ww, 48, 1.12.82; NZZ, 283, 4.12.82; 288, 10.12.82 (prise de position contestée du gouvernement jurassien); 300, 24.12.82.
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