Année politique Suisse 1982 : Sozialpolitik / Soziale Gruppen
 
Jeunesse
Après la flambée soudaine du mouvement de la jeunesse au cours de ces deux dernières années, l'effervescence des premières heures est quelque peu retombée en 1982. L'aggravation du chômage, les fermetures en chaîne des centres autonomes (AJZ) et les procès pénaux intentés contre les principaux protagonistes des manifestations qui s'étaient déroulées dans plusieurs villes ont sans doute contribué à l'affaiblir [14]. Ce mouvement, spontané et inorganisé, avait réussi à sensibiliser l'opinion au malaise exprimé par une partie des jeunes. Il fut également l'occasion d'une explosion de la violence lors de certaines manifestations de rues. Les forces de l'ordre ont été envoyées, parfois sans discernement, aux trousses des manifestants. Ces événements ont eu de multiples retombées et fait l'objet d'analyses diverses [15].
Le débat politique s'est en fait focalisé sur le maintien ou non des AJZ qui représentaient pour la jeunesse révoltée la possibilité de réaliser concrètement ses aspirations à l'autonomie, à la créativité et à la vie communautaire. Mais avant même de pouvoir mettre en pratique ces idées, le mouvement s'est heurté à des problèmes qui débordaient largement le cadre du seul centre: la drogue et la petite délinquance. Poursuivis par la police, toxicomanes et petits délinquants n'ont trouvé qu'un seul refuge, l'AJZ. Des scissions se sont rapidement opérées à l'intérieur du mouvement entre les «politiques» pour lesquels l'AJZ ne constituait qu'un tremplin à une action plus vaste, les «amenagistes» favorables au développement d'activités culturelles et les simples utilisateurs ou «marginaux» qui ne portaient aucun intérêt aux questions de rénovation et d'entretien. Ces dissensions ont évidemment entravé le développement des AJZ et au fil des mois, bien des jeunes en quête d'autonomie ont déserté ces îlots de liberté et de convivialité. Par ailleurs, les animateurs les plus motivés ont été confrontés à des difficultés matérielles. Devant les nombreux problèmes qui n'ont cessé de s'accumuler dans ces AJZ, l'hostilité des autorités locales à la poursuite de ces expériences n'a fait que s'amplifier. Même les milieux politiques qui s'étaient engagés en faveur de l'aménagement de tels centres ont fait marche arrière, si bien que les crédits dispensés ont été en règle générale suspendus [16].
Symbole de la révolte des jeunes Zurichois, l'AJZ de la Limmatstrasse a été rasé lors d'une opération préparée en secret par les autorités locales. L'autorisation de démolir délivrée par le Conseil de Ville n'a été rendue publique qu'une fois les travaux largement entamés. Cette action éclair a été motivée par la décision du comité de parrainage du centre, constitué des deux Eglises nationales et de Pro Juventute, de résilier le contrat qui les liait à la municipalité. La situation créée par le trafic et la consommation de drogues dures ainsi que le recours déposé par l'UDC contre le crédit que le Conseil synodal de l'Eglise réformée zurichoise entendait allouer chaque année à l'AJZ ont incité le comité de soutien à renoncer d'assurer la responsabilité du centre [17]. A l'approche des élections communales, l'opposition politique au maintien de l'AJZ n'a fait que se renforcer. Les crédits municipaux ont même été provisoirement bloqués, en attendant le renouvellement des autorités [18].
L'expérience bernoise de centre autogéré a également fait les frais du durcissement politique des autorités locales. Suite aux nombreux incidents qui ont émaillé la vie de l'AJZ situé dans l'ancien manège de la ville, le Conseil municipal a décidé sa fermeture provisoire et sa mise sous surveillance policière. Dans un ultimatum adressé au groupe de contact, l'Exécutif avait exigé que le mouvement des jeunes mécontents lui remît une liste de responsables chargés de gérer le centre et de veiller au maintien de l'ordre. Ces conditions avaient été jugées inacceptables [19]. Loin de se désorganiser comme à Zurich, le mouvement a bénéficié d'un large appui chez tout ce que Berne compte comme structures alternatives. Au cours des manifestations en faveur de la réouverture de l'AJZ, certains responsables politiques ont vivement stigmatisé l'attitude des forces de l'ordre [20].
A Lausanne enfin, la Municipalité a donné l'ordre de fermer successivement le Cabaret Orwell et le centre autonome de la rue Saint-Martin. Ouvert en avril 1981, au lendemain des manifestations de Lôzane bouge, l'AJZ de la capitale vaudoise n'aura fonctionné que quinze mois [21].
Le maintien de l'ordre public et le respect des lois auront en définitive prévalu sur l'ouverture d'un véritable dialogue avec les jeunes qui sont descendus dans la rue pour exprimer leur malaise. Ni les partis politiques ni les autorités locales, cantonales ou fédérales n'ont jugé opportun de suivre les recommandations de la Commission fédérale pour la jeunesse. Ainsi le Grand Conseil vaudois a refusé une requête d'amnistie en faveur des inculpés du mouvement de jeunes de Lôzane bouge [22]. Ce procès des jeunes émeutiers a suscité bien des remous tant par le comportement des accusés et de leurs défenseurs que par l'attitude peu conciliante du Tribunal correctionnel [23]. Sur le plan fédéral, une pétition en faveur de l'amnistie des jeunes inculpés lors des manifestations a également été déposée aux Chambres par les deux organisations faîtières des jeunesses chrétiennes [24]. Cette demande a suscité un certain écho parmi la population suisse, puisque dans un sondage réalisé pour le compte de l'hebdomadaire Weltwoche, 64% des personnes interrogées s'étaient déclarées favorables à la clémence [25]. Un grand nombre d'associations et de groupements de jeunesse ont soutenu la démarche des jeunes chrétiens [26]. Une manifestation nationale a même été organisée à la suite de la décision de la commission des pétitions du Conseil national de n'accorder qu'une amnistie partielle aux jeunes émeutiers [27]. Il est vrai qu'à l'exception de la gauche, des Indépendants et dans une moindre mesure du PDC, toutes les formations politiques se sont exprimées pour un refus plus ou moins nuancé à toute forme d'amnistie. Le PDC s'est montré tout au plus favorable à une amnistie partielle, alors qu'au sein du PS, seule une minorité penchait vers une amnistie totale. Les Chambres ont finalement refusé d'amnistier, même partiellement, les jeunes émeutiers [28].
 
[14] Chômage des jeunes, cf. supra, part. I, 7a (Marché du travail) et procès pénaux cf. supra, part. I, 1b (öffentliche Ordnung).
[15] Cf. à cet égard les diverses contributions de la Commission fédérale pour la jeunesse ainsi que celle de la philosophe genevoise J. Hersch: TLM, 87, 28.3.82; JdG, 78, 3.4.82; SZ, 82, 8.4.82; TA, 97, 28.4.82. Critiques: 24 Heures, 77, 2.4.82; Ww, 22, 2.6.82; Vr, 131, 9.7.82. Voir aussi Cartel suisse des Associations de Jeunesse, Activités de la jeunesse: quelle politique?, Berne 1979 ainsi que APS, 1980, p. 139 s.; 1981, p. 146 s.
[16] TLM, 73, 14.3.82; TA, 75, 31.3.82; 108, 12.5.82. Cf. également Menetrey A.-C., Lausanne bouge 1980-1981: une chronique, Lausanne 1982; Weil J., Zwischen Zwängen und Freiheit. Jugendlichkeit zwischen Anstalten und Autonomie, Konstanz 1981; Landmann S., Jugendunruhen. Ursachen und Folgen, Flaach 1982; Haller M. / Isler V., Die Kunst der Verweigerung in den Autonomen Jugendzentren der Schweiz, Zurich 1982. L'AJZ de la ville de Bâle, après une expérience de 3 mois, avait été fermé en mai 1981 (TW, 14, 19.1.82 ainsi que APS, 1981, p. 145).
[17] Rupture du contrat: NZZ, 14, 19.1.82 (recours de I'UDC); 56, 9.3.82; 65, 19.3.82; 103, 6.5.82; TA, 62, 16.3.82; SGT, 64, 18.3.82 (G. Mugglin de Pro Juventute). Drogue: TA, 24, 30.1.82; 66, 20.3.82; NZZ, 29, 6.2.82; Vr, 26, 8.2.82. Démolition: NZZ, 69, 24.3.82; Vr, 58, 24.3.82. Réactions politiques: TA, 69, 70, 24-25.3.82.
[18] Problèmes financiers: TA, 15, 20.1.82; 28, 4.2.82; 34, 11.2.82; 45, 24.2.82; 72, 27.3.82. Opposition politique: NZZ, 46, 25.2.82. Mouvement des jeunes ZH: TA, 1, 4.1.82; 5, 8.1.82; 40, 18.2.82; NZZ, 81, 7.4.82. Manifestations: NZZ, 73, 29.3.82; 81, 7.4.82. Bilan: Woche, 1, 8.1.82; 24 Heures, 24, 30.1.82; L'Hebdo, 12, 26.3.82; TA. 89, 19.4.82.
[19] Ultimatum: Bund, 76, 1.4.82; TW, 77, 2.4.82. Groupe de contact: Bund, 83, 10.4.82; 87, 16.4.82. Fermeture: Bund, 86, 15.4.82; TW, 87, 16.4.82.
[20] Manifestations: Bund, 41, 19.2.82; 95, 26.4.82; 219, 20.9.82. Réactions: Bund, 99, 30.4.82; TW, 219, 20.9.82 (Leni Robert-Baechtold, députée radicale siégeant au Grand Conseil). Voir également BaZ, 84, 10.4.82; TW, 87, 16.4.82; NZZ, 282, 3.12.82.
[21] Cabaret Orwell: 24 Heures, 122, 28.5.82; TLM, 148, 28.5.82. AJZ: 24 Heures, 11, 15.1.82; 161, 14.7.82; TLM, 195, 14.7.82. Cet AJZ a même été la proie des flammes (TLM, 201, 20.7.81). Bilan : BaZ, 162, 15.7.82 ; TLM, 199, 18.7.82.
[22] Cette requête a été déposée par le Manifeste démocratique vaudois et a bénéficié du soutien des partis de gauche, syndicats et diverses organisations. Cf. TLM, 275, 2.10.82; 24 Heures, 292, 15.12.82 (décision du Grand Conseil).
[23] Procès: 24 Heures, 216, 20.9.82; 231, 5.10.82 (ouverture) ; VO, 41, 42, 14-21.10.82; L'Hebdo, 41, 14.10.82 ; presse des 15.10.82 (clôture) et 21.10.82 (jugement).
[24] Le manifeste a été déposé par l'Association faîtière des jeunesses catholiques (SKJV) et son homologue protestante, la Jeune Eglise suisse. Cf. presse du 19.5.82.
[25] 16% des personnes interrogées s'étaient prononcées pour une amnistie totale et 48% pour une dérogation partielle qui excluerait les «actes criminels graves et répétés». Cf. Ww, 32, 11.8.82.
[26] Au premier rang desquels figuraient le Cartel suisse des associations de jeunesse (CSAJ), des groupes confessionnels comme la Commission Justice et Paix de la Conférence des Evêques de Suisse, mais aussi lies groupements de jeunesse de certains grands partis: UDC, PDC et PS (BaZ, 121, 27.5.82; TLM, 183, 2.7.82; 7A, 151, 3.7.82). Voir également Suisse, 185, 4.7.82 (P. Zwahlen, secrétaire romand CSAJ); Ww, 27, 7.7.82; TA, 154, 7.7.82 (M. Kappeler, secrétaire SKJV); NZZ, 163, 17.7.82; Annuaire 1982 de la Nouvelle Société Helvétique, 53/1982: Jeunesse-Irritation ou espérance?, Aarau 1982.
[27] Manifestation : presse du 6.12.82. Commission du CN: presse du 28.10.82. Pour sa part, la commission du CE a décidé de ne pas entrer en matière sur cette requête (BO CE, 1982, p. 681 ss. ; TLM, 349, 15.12.82).
[28] TA, 186, 13.8.82; BaZ, 192, 19.8.82; NZZ, 201, 31.8.82; Suisse, 295, 22.10.82; Vr, 239, 8.12.82. Pour questions juridiques relatives à l'amnistie et débats parlementaires, cf. supra, part. I, 1b (Öffentliche Ordnung).