Année politique Suisse 1984 : Allgemeine Chronik / Schweizerische Aussenpolitik
 
Asile politique
L'essentiel des discussions en matière de respect des droits de l'homme a toutefois porté sur le principe controversé du droit des réfugiés à l'asile politique. Depuis la fin des années 1970 en effet, la Suisse doit faire face à un nouvel afflux massif de candidats à l'asile. Leur nombre a ainsi passé de 3020 en 1980 à 7886 en 1983, avant de diminuer légèrement en 1984 pour s'établir à 7435. Simultanément l'origine et la nature des demandes ont changé. Aux réfugiés fuyant les pays de l'Europe de l'Est pour des mobiles politiques se sont substitués les réfugiés du tiers monde aux motivations à la fois politiques et économiques. En 1984, près de 80% des requêtes ont été déposées par des ressortissants asiatiques (Turcs compris) et africains [13]. Ces changements intervenus dans l'effectif et le profil des requérants ne vont pas sans provoquer des réactions de rejet au sein d'une partie de la population, en particulier dans les cantons les plus sollicités [14]. Le refus du corps électoral de la ville de Berne de ratifier un crédit destiné à l'achat d'un immeuble pour loger des demandeurs d'asile tamouls ou les incidents survenus au foyer des Fougères à Fribourg sont autant d'épiphénomènes qui témoignent de l'existence d'un profond malaise à l'endroit des réfugiés. Ce malaise est d'autant plus fortement ressenti qu'il vient se greffer sur la situation toujours aussi précaire du marché du travail et sur la présence d'un contingent déjà important de travailleurs immigrés [15].
Pour canaliser ce flot croissant de candidats à l'asile et activer l'examen de leurs requêtes, le parlement avait adopté en 1983 un projet de révision de la loi fédérale de 1979. Si le contenu matériel de la législation n'a pas été fondamentalement remanié, en revanche les modalités d'application ont été sensiblement modifiées dans le but d'accélérer le traitement des dossiers en suspens et de rendre le statut du requérant moins attrayant pour les demandes manifestement infondées [16]. La décision du parlement d'accorder la totalité du personnel requis en décembre 1983 par le DFJP pour l'examen des affaires pendantes devrait à cet égard contribuer à en réduire le nombre [17]. Ces restrictions apportées à notre politique d'accueil ont suscité quelque inquiétude au sein du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), notamment à la suite de diverses mesures prises à l'encontre de réfugiés ou demandeurs d'asile. Le cas le plus concret concerne un groupe de femmes chiliennes refoulé à l'aéroport de Cointrin alors qu'elles souhaitaient entrer en Suisse pour y séjourner temporairement avec leurs proches [18].
Le maintien d'un nombre élevé de dossiers en souffrance [19] a incité plusieurs députés à intervenir aux Chambres pour inviter les autorités fédérales à entreprendre une nouvelle révision de la loi sur le droit d'asile. Il s'agirait en l'occurrence de réduire le pouvoir d'attraction que la Suisse exercerait encore aux yeux de certaines catégories de réfugiés et de mieux répartir la charge des requérants entre les cantons. Le parlement a ainsi accepté deux motions d'origine radicale demandant en substance de simplifier davantage les modalités de traitement des demandes, d'autoriser le gouvernement à édicter des règles spéciales de procédure en cas d'afflux exceptionnel de candidats et d'améliorer les instruments au service de la coopération intercantonale. Le National a en outre transmis sous forme de postulat une motion Günter (adi, BE) chargeant le Conseil fédéral de prendre les mesures nécessaires pour réprimer le trafic de main-d'oeuvre clandestine dans notre pays. Le chef du DFJP s'est en revanche opposé avec succès aux propositions de la fraction nationaliste aux Chambres visant à remettre en cause les fondements de notre politique d'asile par l'adoption d'une définition plus restrictive de la notion de réfugié. Lors de la session parlementaire de juin, les milieux proches des organisations caritatives ont dénoncé les restrictions préconisées et ont exhorté le parlement à rester fidèle à notre conception libérale du droit d'asile. Ils ont présenté à cette occasion un catalogue de mesures concrètes propres à accélérer la procédure de traitement des demandes sans toucher à la législation et à la protection juridique des réfugiés. Tout en étant favorable à une nouvelle révision de la loi, R. Friedrich a indiqué pour sa part qu'il ne saurait être question d'en altérer les grands principes. L'examen individuel des requêtes sera maintenu et les engagements internationaux contractés devront être respectés [20]. A cet égard, le Conseil fédéral recommande aux Chambres de ratifier l'Accord européen sur le transfert de la responsabilité à l'égard des réfugiés, signé par la Suisse en 1980. Cet accord uniformise les conditions auxquelles sont soumis les Etats contractants dans l'émission ou la prolongation d'un titre de voyage en faveur des réfugiés résidant régulièrement sur leur territoire [21].
Les réactions consécutives à la décision de principe des autorités helvétiques de rapatrier les réfugiés tamouls dont la demande d'asile dans notre pays a été rejetée montrent combien les positions entre les tenants d'une politique.d'asile plus restrictive et ceux d'une Suisse généreusement ouverte demeurent figées, empêchant toute concertafion [22]. Tant Amnesty International, qui avait obtenu du Conseil fédéral en mai la suspension provisoire des mesures de renvoi, que les grandes oeuvres suisses d'entraide ont déploré l'attitude du gouvernement et attiré son attention sur le fait que la législation antiterroriste en vigueur au Sri Lanka compromettait sérieusement la sécurité de sa minorité. Pour leur part, les milieux nationalistes auraient souhaité que cette décision de principe s'accompagne d'un refoulement effectif de tous les candidats à l'asile tamouls dont la requête n'a pas été agréée. La recrudescence des violences raciales qui ont enflammé l'île au terme de l'année ont toutefois incité les autorités fédérales à surseoir aux mesures de rapatriement qu'elles avaient décrétées en automne [23]. Pour se prémunir contre le dépôt de demandes d'asile abusives, la Confédération a par ailleurs soumis à nouveau les Chiliens à l'obligation du visa d'entrée dans notre pays. Une mesure analogue avait été prise en 1982 à l'égard des ressortissants tures [24].
Les cantons les plus sollicités par les demandeurs d'asile ont rencontré de multiples difficultés dans la prise en charge d'un trop grand nombre de requérants. A défaut d'une base légale autorisant le Conseil fédéral à répartir équitablement les candidats entre les différents cantons, les directeurs cantonaux des départements concernés se sont réunis en mai autour du chef du DFJP pour prendre de nouvelles mesures de péréquation [25]. Face au refus de six d'entre eux de décharger les cantons saturés, les représentants de ces derniers ont demandé notamment au gouvernement central de rendre impérative cette répartition et de prendre en charge l'ensemble des frais d'assistance occasionnés par l'accueil de ces demandeurs d'asile [26].
 
[13] Les demandes d'asile les plus nombreuses ont été déposées à nouveau dans les cantons de Bâle-Ville (1398), Berne (1073), Zurich (927), Genève (756), Vaud (642) et Fribourg (353). Ces cinq cantons regroupent à seux seul les deux tiers des requérants. Au terme de l'année, l'effectif total des réfugiés (sans demandeurs d'asile) s'élevait pour sa part à 31 201 personnes, soit une diminution de 3,4% par rapport à 1983 (32 312). Cette réduction résulte pour l'essentiel des naturalisations d'étrangers admis comme réfugiés en Suisse dans les années 1960 (La vie économique, 58/1985, p. 178 s.).
[14] Deux sondages effectués en 1981 et 1984 par l'Office central suisse d'aide aux réfugiés montrent combien l'attitude de l'opinion publique a évolué en défaveur des réfugiés. Voir à cet égard, 24 Heures, 8.6.84; Suisse, 11.6.84.
[15] Berne: TW, 11.2.84; Bund, 14.2.84; 27.2.84. Fribourg: Lib., 29.6.84; ST, 22.6.84; LM, 27.6.84; Europäisches Komitee zur Verteidigung der Flüchtlinge und Gastarbeiter, Abschreckung statt Asyl. Am Beispiel Freiburg, Basel 1984. Cf. en outre BaZ, 12.4.84 ; Bund, 14.4.84; NZZ, 21.4.84; Groupe de Grancy, «Réfugiés en Suisse: au-delà du noir et blanc», in Domaine public, 748, 25.10.84; H. Däpp / R. Karlen, Asylpolitik gegen Flüchtlinge, Basel 1984, ainsi que infra, part. I, 7a (Marché du travail) et 7d (Politique à l'égard des étrangers).
[16] L'ordonnance de la loi, mise en vigueur en juin, énumère du reste exhaustivement les cas dans lesquels une demande est considérée comme manifestement infondée. Cf. RO, 1984, p. 534 ss.; Bund, 1.6.84; APS, 1983, p. 49 s.
[17] BO CE, 1984, p. 221 ff.; BO CN, 1984, p. 710 ss. ; FF, 1984, II, p. 822 f.
[18] Femmes chiliennes: TLM, 6.1.84; Suisse, 12.1.84; Bund, 6.2.84. HCR: Suisse, 14.1.84; TLM, 23.1.84.
[19] Le nombre de cas en suspens n'a cessé d'augmenter en 1984. A la fin du mois de décembre, l'Office fédéral de police avait encore à statuer sur 13 470 demandes d'asile et 8 539 recours. Cf. La Vie économique, 58/1985, p. 179.
[20] Demandes de révision: BO CE, 1984, p. 256 ss. (motion Hefti, prd, GL); BO CN, 1984, p. 886 s. (motion Lüchinger, prd, ZH), p. 887 ss. (motion du groupe AN/Vigilants), p. 889 s. (motion Günter) et p. 890 ss. (interpellation Hofmann udc, BE); Délib. Ass. féd., 1984, V, p. 18 (initiative parlementaire Meier, an, ZH); NZZ, 19.4.84; 8.6.84. Oeuvres d'entraide: TA, 2.6.84; NZZ, 9.6.84. Conseil fédéral: presse du 31.3.84 (rapport du gouvernement sur les lignes générales de sa politique d'asile); Ww, 14, 5.4.84; SGT, 28.8.84.
[21] FF, 1984 III, p. 1022 ss.
[22] Cette décision de principe a été prise notamment sur la base des conclusions d'un rapport, fort controversé, d'une mission d'information de l'Office fédéral de la police au Sri Lanka. Cf. BaZ, 15.8.84; 5.10.84; L'Hebdo, 40, 4.10.84.
[23] Presse du 2.10.84; BaZ, 9.10.84; 17.11.84; TA, 17.11.84; 7.12.84. Voir aussi L'Hebdo, 15, 12.4.84; 49, 6.12.84; Ww, 16, 18.4.84; 43, 25.10.84; NZZ, 28.4.84; 20.10.84; Projektgruppe «Tamilen» im Auftrag von Brot für Brüder..., Auf der Suche nach Zukunft. Tamilische Flüchtlinge aus Sri Lanka — Analysen und Handlungsvorschläge, 6 Bde, 1984-1985.
[24] Cette décision a été vertement critiquée par les milieux de l'extrême-gauche. L'obligation du visa d'entrée en Suisse pour les ressortissants chiliens avait été levée en 1980. Cf. RO, 1984, p. 519 s. ; BO CN, 1984, p. 1432 ; APS, 1982, p. 138.
[25] Presse du 18.5.84. Une première péréquation avait été introduite en 1982: VS, NE et JU acceptaient des requérants arrivés à Genève, tandis que FR et BE accueillaient candidats à l'asile inscrits dans le canton de Vaud. Un nouveau pas a été franchi en 1983, les cantons de SG et SO ayant accepté à leur tour de prendre en charge des demandeurs d'asile du canton de VD.
[26] Cf. BO CN, 1984, p. 885 (motion Günter, adi, BE; centralisation de l'assistance); Délib. Ass. féd., 1984, IV, p. 12 (initiatives du canton de FR; répartition obligatoire).