Année politique Suisse 1984 : Infrastruktur und Lebensraum / Energie
Energie nucléaire
A l'heure où certains pays industrialisés réajustent leur programme atomique par rapport aux objectifs définis au début de la décennie précédente et où la Suisse se trouve confrontée elle aussi à la lourdeur des investissements, aux problèmes rencontrés dans la gestion et l'élimination des déchets radioactifs, le débat autour de l'énergie nucléaire fait toujours l'objet d'une vive polémique. Ce dossier est d'autant plus controversé que plusieurs sondages d'opinion confirment la permanence des clivages apparus au début des années 1980 et que toute décision dans ce domaine pourrait se heurter à une large opposition
[14]. Toujours est-il que le DFTCE a accordé en février l'autorisation générale de mise en service et d'exploitation de la centrale de Leibstadt (AG), la cinquième en date et la seconde en puissance des usines nucléaires en activité sur le territoire helvétique. Le coût de cette centrale aura en définitive plus que doublé en regard du montant budgétisé initialement. Des critiques ont été adressées aux autorités fédérales contre l'empressement avec lequel elles avaient délivré le permis d'exploitation
[15].
L'échec devant le souverain des deux initiatives énergétiques n'a pas désarmé pour autant les milieux proches des organisations antinucléaires. Plusieurs députés sont intervenus à nouveau aux Chambres pour inviter le Conseil fédéral à entamer des pourparlers avec la société promotrice de
Kaiseraugst en vue d'un retrait éventuel de sa demande d'autorisation générale
[16]. Les POCH envisagent de leur côté le lancement d'une nouvelle initiative populaire visant à instituer un moratoire provisoire pour toutes les centrales nucléaires planifiées ou projetées dans notre pays. Une initiative parlementaire analogue a également été déposée par le conseiller national Weder (adi, BS). Tout en admettant que bien des obstacles subsistent, le gouvernement s'est montré inflexible. Il a déclaré en substance que la mise en service d'une sixième usine atomique était à terme indispensable pour assurer notre approvisionnement et que l'octroi du permis de construire sera subordonné à toute une série de critères d'évaluation (sécurité irréprochable, solidité du sous-sol, évacuation en cas de sinistre). Le Conseil national devrait du reste statuer en 1985 sur le sort de la centrale de Kaiseraugst. Les délibérations au sein du plénum pourraient s'avérer difficiles en raison de l'affermissement du courant antinucléaire dans les régions du nord-ouest de la Suisse
[17]. A cet égard, pas moins de sept cantons (BE, ZH, SH, GL, VD, NE et JU) disposent à ce jour d'une législation soumettant au référendum obligatoire ou facultatif les décisions prises par les autorités cantonales en matière d'implantation de centrales et d'entreposage de déchets nucléaires dans le cadre d'une procédure de consultation, les gouvernements des deux Bâles étant tenus pour leur part de s'opposer à toute résolution prise dans ce domaine. Conviés à se prononcer sur l'opportunité d'une telle extension des droits populaires, les citoyens du canton d'Uri ont rejeté à une faible majorité une initiative populaire déposée en 1983 par le comité «Atommüll hiä niä» (déchets atomiques, ici jamais)
[18].
Conjointement à l'élargissement du parc nucléaire, le stockage des déchets atomiques demeure un problème lancinant. Si l'entreposage définitif de substances hautement radioactives provenant du retraitement des éléments du combustible usé ne se pose pas dans l'immédiat, pour les matériaux radioactifs de faible et moyenne intensité en revanche un dépôt final devrait être disponible dès le milieu des années 1990. Or
les projets de forages exploratoires présentés en décembre 1983 par la Coopérative nationale pour l'entreposage de déchets radioactifs (CEDRA) ont été vertement contestés dans le cadre de la consultation ouverte par le DFTCE. Quelque 2844 recours ont en effet été adressés aux autorités compétentes contre l'aménagement de galeries de sondages prévu sur le territoire des communes de Bauen (UR), Mesocco/Rossa (GR) et Ollon (VD). La plupart des milieux consultés craignent que l'ampleur et la nature des travaux projetés annoncent l'établissement d'un entrepôt définitif. De plus, certains ont dénoncé l'insuffisance des investigations préliminaires et souligné les incidences négatives de tels forages sur les nappes phréatiques et l'économie régionale
[19]. Diverses études, commandées par les comités d'opposition, remettent du reste en cause les expertises géologiques et hydrogéologiques entreprises à ce jour par la CEDRA. Les auteurs estiment notamment que, dans l'état actuel des connaissances, toutes les stratégies de stockage présentent des incertitudes et qu'il serait prématuré d'enfouir de manière irréversible les combustibles usagés
[20].
Les gouvernements des cantons directement concernés par ces travaux ont également émis de sérieuses réserves. Même les autorités grisonnes, qui en 1983 encore avaient refusé de souscrire à une résolution formulée par les députés des vallées de la Mesolcina et de la Calanca à l'encontre de la requête de la CEDRA, ont fait parvenir au Conseil fédéral un préavis négatif. Le peuple vaudois a pour sa part rejeté le principe d'autoriser la CEDRA à procéder à des forages au bois de la Glaive à Ollon et ce, en dépit du vote favorable recommandé par le Grand Conseil
[21]. Par ailleurs, la fraction parlementaire AdI/PEP est intervenue auprès du gouvernement central pour lui demander d'instituer un groupe d'experts indépendant chargé de superviser les travaux de la CEDRA et de renoncer à l'immersion de déchets atomiques en haute mer. Cette démarche s'inscrit dans le prolongement de la résolution prise en 1983 par les principaux Etats signataires de la Convention de Londres (1972) de suspendre l'entreposage des fûts conditionnés dans l'Atlantique Nord et à laquelle la Suisse ne s'était pas associée. Le Conseil fédéral a toutefois indiqué que d'ici 1985 aucune nouvelle opération de ce genre ne sera effectuée
[22]. Enfin le projet de création d'un dépôt d'uranium enrichi à l'Institut fédéral de recherche en matière de réacteurs (IRF) à Würenlingen (AG) ne s'est heurté, au terme de la procédure de consultation, qu'à l'hostilité des cantons du Jura et des deux Bâles
[23].
[14] Sondages: Office fédéral de l'énergie, Wahrnehmung von Atomkraftwerken. Empirische Studie über Einstellungen zur Kernenergie in der Schweiz, Zürich 1984; Vox, loc. cit. p. 26 ss.; APS, 1979, p. 104; 1983, p. 103. Ralentissement de certains programmes nationaux d'énergie nucléaire: L'Hebdo, 9, 1.3.84; 34, 23.8.84; TAM, 29, 21.7.84. Voir aussi NZZ, 25 et 28.8.84; J. Handhart, Wieviel Elektrisch braucht Helvetia? Der Energiereport, der nicht publik werden sollte, Neuallschwil 1984.
[15] La demande d'autorisation date de 1980 et avait fait l'objet de quelque 208 recours, déposés pour la plupart par des communes riveraines allemandes (NZZ. 18.2.84; BaZ, 26.4.84; APS, 1980, p. 95). Critiques: BaZ, 2.6.84; 7.6.84.
[16] Alors qu'il siégeait encore au CE, le CF Egli avait déposé en 1981 déjà un postulat dans ce sens (APS, 1981, p. 98). Cf. Délib. Ass. féd., 1984, VI, p. 33 (interpellation du groupe AdI/PEP) et p. 49 (motion du CN Euler, ps, BS). Les autorités des deux demi-cantons de BL et BS ont à nouveau déposé des initiatives cantonales demandant aux Chambres de renoncer à la construction de cette centrale (Délib. Ass. féd., 1984, I, p. 10).
[17] Voir à ce sujet la réponse du CF à une interpellation du CE Piller (ps, FR) in BO CE, 1984, p. 688 s. Cf. en outre Délib. Ass. féd., 1984, I p. 16; BZ, 28.1.84; TAM, 12, 24.3.84; NZZ, 26.10.84; BaZ, 8.11.84 (POCH) ; KKW Kaiseraugst. Der Regierungsrat des Kantons Basel-Stadt informiert, Basel 1984, ainsi que APS, 1983, p. 104 (CE et commission du CN).
[18] Législation: LNN, 19.9.84. Uri: Vat., 30.3.84; 17.4.84; LNN, 14.9.84; 24.9.84 (scrutin), ainsi que APS, 1983, p. 105 s. L'initiative populaire déposée en mai par le PS grisons contre l'implantation de centrales et de stockage de déchets sur le territoire du canton a été jugée irrecevable par le Conseil d'Etat (Vat., 18.5.84; NZZ, 23.11.84; APS, 1983, p. 105).
[19] Sur les 2844 notifications de désaccord adressées au DFTCE par les communes et associations consultées, 21 concernent les sondages prévus à I'Oberbauenstock (UR), 808 au bois de la Glaive à 011on et 2015, dont 19 émanent des communes italiennes limitrophes, au Piz Pian Grand (GR). Requêtes: FF, 1984, I, p. 39 ss. ; APS, 1983, p. 105. Procédure de consultation: 24 Heures, 11.4.84. Voir aussi NZZ, 24.7.84; SGT, 15.8.84, ainsi que les premières données du projet «Garantie» présentée en septembre par les responsables de la CEDRA (presse du 7.9.84).
[20] TA, 20.1.84 (référence à un rapport établi par un bureau d'ingénieurs-conseils zurichois); M. Burri, Qu'en faire? Les déchets radioactifs un problème non résolu, Lausanne 1984; Schweiz. Energie-Stiftung, Das «Gewähr» - Fiasko. Materialen zum gescheiterten Projekt « Gewähr» der Nagra, Zürich 1984. Voir aussi NZZ, 16.3.84; 26.4.84; 24 Heures, 24.3.84; 19 et 20.9.84; TA, 28.3.84.
[21] Uri: LNN, 7.4.84; 13.11.84 (préavis négatif). Grisons: TAM, 3, 21.3.84; TA, 15.6.84, BaZ, 26.6.84; APS, 1983, p. 105. Vaud: Domaine public, 725, 5.4.84; 24 Heures, 22 et 29.5.84 (Grand Conseil); 24.9.84 (scrutin).
[22] Délib. Ass. féd., 1984, II/III, p. 35 (motion AdI/PEP); Vat., 16.2.84 et 24 Heures, 16.2.84 (décision du CF). Cf. également APS, 1983, p. 105.
[23] FF, 1984, I, p. 1105 ss. ; APS, 1982, p. 93.
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