Année politique Suisse 1985 : Grundlagen der Staatsordnung / Föderativer Aufbau / Questions territoriales
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Jura
Dix ans après que les trois districts méridionaux se soient prononcés pour leur maintien au sein du canton de Berne, l'observateur aura pu constater, aujourd'hui encore, que la question jurassienne n'a toujours pas trouvé de véritable solution. Après en avoir décidé la création en novembre 1984, le Parlement jurassien a désigné en début d'année les membres de la «Commission de la coopération et de la réunification». Dans l'esprit des députés jurassiens, cette commission doit tout faire pour favoriser le dialogue entre les différents partenaires de la réunification. Côté bernois, les réactions ne se sont pas fait attendre. Le Conseil-exécutif s'est plaint auprès du Conseil fédéral de cette nouvelle ingérence des autorités jurassiennes dans ses affaires intérieures. Le gouvernement fédéral, également interpellé au Conseil national par G. Aubry-Moine (prd, BE) et M.- A. Houmard (prd, BE), s'est cependant voulu rassurant en affirmant que toute réunification est impensable sans le consentement du canton de Berne; il s'est par conséquent refusé à intervenir [8]. Parallèlement, alors que le conseiller d'Etat P. Schmid avait pris deux mois auparavant la tête de sa délégation aux affaires jurassiennes, le gouvernement bernois refusait la proposition d'un député autonomiste au Grand Conseil visant la création d'une commission spéciale de coopération avec le canton du Jura [9].
Mais c'est surtout l'affaire des caisses noires du gouvernement bernois qui a véritablement relancé le débat vers la fin de l'année. Le rapport rédigé par la commission du Grand Conseil bernois chargée d'examiner les reproches formulés l'année précédente par l'ancien réviseur du contrôle cantonal des finances R. Hafner a miss en lumière non seulement les procédés douteux de certains membres du Conseil-exécutif bernois, mais également plusieurs versements effectués par ceux-ci au cours des années précédentes à diverses organisations du Jura bernois et plus particulièrement à Force démocratique (FD), chiffrés pour cette dernière à 170 000 francs de 1980 à 1982, dont 50 000 à la veille des élections communales de Moutier en 1982 [10]. Sans base légale, ce soutien financier est apparu d'autant plus inadmissible aux yeux des séparatistes jurassiens qu'il s'est fait unilatéralement au profit d'un seul camp. Mais surtout, le fait que des sommes de ce type aient déjà été versées à l'époque des plébiscites est subitement devenu évident, le Conseil-exécutif reconnaissant du reste par la suite avoir versé près de 400 000 francs aux pro-bernois lors des scrutins de 1974 et 1975. L'exercice du droit d'autodétermination reconnu aux habitants du Jura dans les années septante a donc été influencé. Le Rassemblement jurassien (RJ) a été le premier à réagir. Lors de la traditionnelle Fête du peuple du mouvement séparatiste, son secrétaire général, R. Béguelin, a remis en question le résultat des sous-plébiscites de 1975 qui avaient conduit à l'éclatement du Júra, allant même jusqu'à exiger que l'enquête sur les comptes secrets soit étendue jusqu'eu 1947 et que tous les départements y soient soumis. Les militants se sont également prononcés dans une résolution populaire pour que le partage des biens entre les deux cantons soit revu [11].
A son tour, le Gouvernement jurassien est intervenu avec fermeté en décidant de porter l'affaire devant le Conseil fédéral. Dénonçant la «fraude et la corruption électorales» qui auraient marqué la procédure plébiscitaire, celui-ci a réclamé l'intervention du gouvernement fédéral qui était chargé de veiller à la régularité des scrutins. Dans leur requête, les ministres jurassiens demandaient non seulement que l'enquête soit étendue aux quatorze directions bernoises, mais aussi que les scrutins entachés d'irrégularités soient déclarés viciés et que les populations concernées puissent se prononcer librement, à l'avenir, sur leur intention de quitter à leur tour le canton de Berne pour rejoindre celui du Jura. Sur le plan du partage des biens, l'exécutif jurassien a également adressé une lettre à son homologue bernois afin de reprendre les négociations et de corriger la répartition, comme le protocole final de l'accord signé par les deux cantons lui en donne le droit si des faits nouveaux viennent à modifier les données du problème [12]. Par une déclaration publique, le gouvernement de l'ancien canton a fait savoir qu'il ne saurait être question de remettre en cause ce partage des biens, celui-ci ayant été établi sur la base de la situation de fortune au 31 décembre 1978. Il a par ailleurs tenu à préciser que ce ne sont pas les versements en eux-mêmes qu'avait contestés la commission d'enquête, mais la compétence du gouvernement à en décider. Le ministre F. Lachat a fait savoir que le dernier acte pourrait se jouer au Tribunal fédéral. Pour sa part, le Conseil de ville de Moutier a également interpellé le Conseil fédéral pour exiger réparation [13]. En face, Force démocratique s'est bornée à rappeler son attachement au canton de Berne, ceci devant légitimer les sommes reçues. Le Grand Conseil bernois, en incitant le gouvernement à jeter des bases légales pour le versement de tels fonds, a rejoint l'organisation antiséparatiste dans son attitude [14].
Parallèlement à cette affaire des caisses noires, d'autres événements sont venus émailler l'année dans les trois districts du Jura bernois. Trois mois après que le groupe «Bélier» eût effectué une restructuration interne, optant pour un travail à long terme et en profondeur et délaissant ainsi, momentanément du moins, les coups d'éclat, le Tribunal de district de Moutier était la cible d'un attentat à l'explosif, revendiqué par une mystérieuse «Deuxième fraction révolutionnaire du groupe Bélier». De son côté, la Fédération des communes du Jura bernois (FJB) a elle aussi entrepris sa propre restructuration avec deux projets en concurrence directe: l'un instituant un véritable parlement régional, l'autre un syndicat de communes. Certaines de ces dernières ont toutefois contesté l'existence même de la FJB, qu'elles jugent sans véritable pouvoir. La ville de Moutier a ainsi décidé de ne plus verser l'intégralité de ses cotisations. Enfin, la société Radio Jura bernois (RJB) a suspendu provisoirement ses programmes au début du printemps, le temps de trouver des successeurs aux professionnels en place, jugés pas assez proches des habitants de la région et de leur «mentalité». Sur le plan fédéral, le Conseil des Etats a repoussé nettement l'initiative du canton du Jura qui proposait l'amnistie de toutes les personnes condamnées pour des délits en rapport avec la question jurassienne [15].
Le sort des communes de Vellerat (BE) et d'Ederswiler (JU) n'est toujours pas réglé. La première aimerait rejoindre le canton du Jura, la seconde le canton de Berne. Si les gouvernements cantonaux sont tous deux favorables à de tels transferts dé territoires, leurs positions respectives sur les moyens d'y parvenir sont radicalement opposées. La Berne cantonale propose de résoudre le problème par un simple échange des deux communes, ce qui mettrait ainsi un terme à la procédure plébiscitaire engagée en 1974. Le canton du Jura, par contre, adopte une toute autre théorie: afin de laisser la porte ouverte à d'autres communes du Jura bernois qui pourraient éventuellement à l'avenir manifester le désir de rejoindre le nouveau canton, le Gouvernement jurassien entend obtenir de la Confédération des bases juridiques fédérales qui n'existent pas encore [16]. En fin d'ännée cependant, le Conseil national a fait un pas vers la solution bernoise en acceptant à une écrasante majorité (123 voix contre 9) une motion proposée par sa commission des pétitions et de l'examen des constitutions cantonales suite à la pétition déposée par la commune d'Ederswiler l'année précédente. La motion prie le Conseil fédéral de créer les conditions propices pour que les deux communes puissent s'autodéterminer grâce à l'établissement de dispositions procédurales dans les constitutions jurassienne et bernoise [17].
 
[8] LM, 1.2.85; Quinquet, 225, 8.2.85; 226, 15.2.85; 236, 3.5.85; Jura libre, 1710, 7.3.85; 1717, 25.4.85; 1718, 2.5.85 ; FAN, 20.4.85. Le postulat Aubry a été refusé par le CN (BO CN, 1985, p. 1252 s.) L'interpellation Houmard demandait la création d'un «conseil des sages» (Délib. Ass. féd., 1985, I/II, p. 63). Cf. APS, 1975, p. 24 ss. Voir en outre R. Droz e.a., Jura bernois 1975-1985, Moutier 1985 et J.-P. Bovée / P. Chèvre, Cent cinquante ans d'immigration bernoise dans le Jura, Delémont 1985.
[9] Délégation aux affaires jurassiennes: Bund, 25.5.85. Commission de coopération: Bund, 13.7.85. Cf. APS, 1984, p. 29 s. Dans une interpellation au Parlement jurassien, le député radical-réformiste J.-L. Wernli a développé son idée de constituer des «Etats généraux» nord-sud (Suisse, 14.12.85; APS, 1984, p. 30).
[10] Rapport de la commission d'enquête du Grand Conseil du canton de Berne, Berne 1985; JdG, 2.9.85. Cf. supra, part. I, 1c (Regierung).
[11] Lib., 9.9.85; 24 Heures, 9.9.85. Voir aussi Jura libre, 1732-1747, 5.9 -19.12.85.
[12] FAN, 11.9.85; 16.11.85; Bund, 16.11.85. FD a reçu du Conseil-exécutif bernois de 1974 à 1982 730 000 francs. Cf. L'Hebdo, 47, 21.11.85; Ww, 48, 28.11.85.
[13] Partage des biens: FAN, 21.11.85. Le Grand Conseil bernois a approuvé une motion de la majorité de la commission d'enquête invitant le Conseil-exécutif à créer les bases juridiques nécessaires pour qu'il puisse verser à l'avenir des fonds à des organisations et institutions en relation avec la situation politique particulière du Jura bernois (TW, 7.11.85). Moutier: 24 Heures, 16.12.85. Dans la cité prévôtoise, seules 70 voix séparaient Jurassiens et Bernois le 23 juin 1974 (cf. APS, 1974, p. 23 ss.).
[14] Quinquet, 259, 15.11.85. Bases légales: cf. supra, note 14.
[15] Tribunal de Moutier: Suisse, 8.6.85; 4.9.85. FJB: Suisse, 23.6.85; 19.12.85. RJB: L'Hebdo, 12, 21.3.85. Cf. infra, part. I, 8c (Radio und Fernsehen). Demande d'amnistie: BO CE, 1985, p. 314 ss.; LM, 1.5.85; 11.6.85. La commission des pétitions du CN a également recommandé le rejet de l'initiative (LM, 13.9.85).
[16] TA, 2.10.85 (interview du ministre jurassien P. Boillat).
[17] BO CN, 1985, p. 1965 ss. ; LM, 5.12.85 ; 6.12.85 ; Bund, 6.12.85 ; APS, 1984, p. 31 s. Pour le RJ, Ederswiler constitue une commune qui a été germanisée et doit par conséquent rester jurassienne (Jura libre, 1737, 10.10.85). Il s'élève d'autre part contre la présence au sein de la commission du CN de deux conseillers d'Etat bernois compromis dans l'affaire des caisses noires (Jura libre, 1746, 12.12.85).