Année politique Suisse 1985 : Infrastruktur und Lebensraum / Energie
 
Energie nucléaire
Le débat, toujours aussi brûlant, sur l'énergie nucléaire s'est cristallisé en 1985 autour du problème posé par la centrale de Kaiseraugst. Si le Conseil national, deux ans après le Conseil des Etats, a dit «oui» lors de sa session de printemps à la centrale si controversée, faisant ainsi franchir au dossier un pas important, celui-ci est loin d'être bouclé tant l'opposition populaire manifestée dans la région bâloise reste grande. Dès lors, si, sur le plan juridique, l'édification future de la centrale est à présent pratiquement acquise (le Conseil fédéral doit encore accorder l'autorisation de construire et d'exploiter), sa réalisation concrète l'est beaucoup moins. Les divergences de vue et les solutions proposées qui ont émané en début d'année au sein de la commission ad hoc du Conseil national ont parfaitement illustré le clivage qui subsiste dans la population suisse face à l'atome. Alors qu'elle s'était déjà prononcée en 1983 en faveur de la construction, la commission a reconnu une nouvelle fois l'existence du besoin en repoussant les deux initiatives cantonales bâloises par 17 voix contre 13 et 18 contre 13 [10].
En séance plénière au National, les fronts, toujours aussi marqués, ont rivalisé durement au cours d'un débat long, mais dont l'issue ne faisait plus guère de doute. D'un côté, les partisans de l'octroi de l'autorisation générale, regroupés au sein des partis bourgeois, ont appuyé essentiellement leur argumentation sur le fait que la nouvelle centrale devrait répondre dans un proche avenir à un besoin énergétique réel et croissant. Se basant sur la volonté populaire dégagée des deux scrutins de 1984, ceux-ci ont par ailleurs plaidé le recours à l'énergie nucléaire pour des raisons économiques, d'indépendance énergétique et de protection de l'environnement. En face, les parlementaires socialistes, indépendants-évangéliques, nationalistes, écologistes et de l'extrême-gauche constituaient l'opposition. Pour ceux-ci, le besoin de Kaiseraugst n'avait jamais vraiment été prouvé, les excédents d'exportations de courant enregistrés au cours du dernier hiver avec la mise en service de la centrale de Leibstadt infirmant plutôt cette affirmation. Mais c'est surtout en raison de la forte opposition populaire manifestée dans la région bâloise que ceux-ci ont prôné sinon le non-octroi de l'autorisation, du moins la recherche de pourparlers aveé les promoteurs de la centrale en vue de la renonciation au projet. La minorité de la commission a cherché à éviter une crise en présentant deux postulats allant dans ce sens, mais qui devaient tous deux être rejetés. Lors du vote, la clause du besoin était approuvée par 118 voix contre 73, une poignée de députés bourgeois s'étant joints aux opposants. Pratiquement dans la même proportion, la chambre du peuple refusait un peu plus tard le postulat Jaeger (adi, SG) qui demandait à l'exécutif d'élucider les problèmes politiques, juridiques et techniques liés à un abandon éventuel. Par contre, grâce à la voix de son président A. Koller (pdc, AI), elle se ralliait d'extrême justesse à celui déjà approuvé par la chambre des cantons et défendu par D. Columberg (pdc, GR), priant le Conseil fédéral d'entreprendre les démarches nécessaires afin de renoncer aux tours de refroidissement pour un refroidissement à eau vive [11].
Malgré la décision du Conseil national, les opposants n'ont pas désarmé. C'est ainsi que le samedi suivant celle-ci, ils étaient plus de 8000 rassemblés sur les lieux prévus pour la construction. En fin d'année, le «Nordwestschweizer Aktionskomitee gegen A-Werke» (NWA) a annoncé son intention de lancer une nouvelle initiative populaire [12]. De leur côté, les deux gouvernements bâlois ont manifesté leur désir d'avoir une entrevue avec la Commission de l'énergie du Conseil fédéral. Au début de l'été, les trois parties, auxquelles s'était jointe une délégation du Conseil d'Etat argovien, ont couché sur leurs positions respectives, le gouvenement fédéral, représenté par L. Schlumpf, A. Egli et K. Furgler, refusant de jouer le rôle de médiateur entre la société de Kaiseraugst S.A. et les deux exécutifs cantonaux que ces derniers espéraient le voir accepter. Ceux-ci se sont donc résolus à prendre contact avec les promoteurs eux-mêmes afin de connaître exactement leurs exigences financières quant à un éventuel abandon du projet. Le gouvernement argovien, quant à lui, a réaffirmé sa volonté de voir ériger sur son territoire la sixième centrale nucléaire de Suisse, en admettant toutefois l'idée d'un refroidissement direct par les eaux du Rhin [13]. Le radical bâlois P. Wyss a pour sa part déposé sur le bureau du Conseil national un postulat proposant de substituer Kaiseraugst par une nouvelle unité construite soit à Leibstadt (AG), soit à Beznau (AG) [14]. Parallèlement, le Conseil fédéral a proposé d'accorder aux promoteurs de Kaiseraugst l'autorisation de stocker 200 tonnes d'uranium enrichi à l'Institut fédéral de recherche en matière de réacteurs (IRF) à Würenlingen (AG). Le Conseil national a d'ores et déjà donné son feu vert en fin d'année [15]. Mise en service en décembre 1984, la centrale de Leibstadt a officiellement été inaugurée en octobre [16].
Soumis tous deux à la procédure de consultation, les avant-projets des nouvelles lois sur l'énergie nucléaire et sur la radioprotection, qui doivent remplacér la loi fédérale de 1959 et l'arrêté de 1978, n'apportent pas de changements fondamentaux. Le partage des compétences entre Confédération et cantons ne subit aucun changement, mis à part dans le domaine du stockage où les compétences fédérales sont renforcées. Celles octroyées au Conseil fédéral seraient plus grandes, car seuls les centrales nucléaires et les sites d'entreposage définitif des déchets radioactifs nécessiteraient encore l'autorisation générale des Chambres [17]. Dans l'attente de ces nouvelles normes, l'exécutif a soumis à l'approbation du parlement une révision partielle de la loi existante. En fin d'année, le Conseil national a accepté à la quasi unanimité le contrôle des exportations de technologie nucléaire, ceci dans le but d'empêcher la prolifération des armes atomiques [18].
Le goût marqué du législatif fédéral pour l'atome en 1985 a également trouvé l'occasion de s'illustrer dans un cas relevant de législation cantonale. Alors que le Conseil fédéral et la commission de contrôle des constitutions cantonales et des votations du Conseil des Etats avaient recommandé l'acceptation, la chambre des cantons a refusé d'octroyer la garantie fédérale au 2e alinéa de l'article 115 de la nouvelle Constitution de Bâle-Campagne. Malgré le long plaidoyer du libéral neuchâtelois J.-F. Aubert, président de la commission, ce dernier, par 21 voix contre 19, n'a pas trouvé grâce devant les conseillers aux Etats. Incitant le canton à s'employer à ce qu'aucune centrale nucléaire, aucune installation servant au retraitement de combustible nucléaire et aucun dépôt de déchets moyennement ou hautement radioactifs ne soient érigés sur le territoire cantonal ou dans son voisinage, cette phrase aurait constitué, aux yeux de la majorité de la chambre, une atteinte intolérable au droit fédéral et à la solidarité confédérale. Placé sous le spectre de Kaiseraugst, le débat s'est toutefois déroulé plus sous l'aspect politique du problème que sous l'angle juridique [19]. Allant dans le même sens, l'initiative populaire du parti socialiste grison, elle aussi, a été jugée contraire au droit par le Tribunal fédéral qui a ainsi donné raison au Conseil d'Etat grison [20].
En début d'année, la Coopérative pour l'entreposage des déchets radioactifs (CEDRA) a transmis au Conseil fédéral le rapport requis en matière de stockage des déchets, le projet «Garantie». Selon ses auteurs, proches des milieux de l'énergie nucléaire, l'entreposage de déchets radioactifs en Suisse est techniquement possible et sa sécurité peut être garantie à long terme. Pour cela, le rapport distingue deux types de dépôt final: le premier, pour les déchets hautement radioactifs, devra être aménagé dans du granit à 1200 mètres de profondeur dans le sol cristallin du nord de notre pays. La CEDRA a déjà effectué six premiers sondages, mais le stockage n'est pas prévu avant l'an 2000. Ce sont les cantons de Soleure, Argovie, Zurich et Schaffhouse qui sont concernés par ce type de dépôt. Le second, prévu pour les déchets faiblement et moyennement radioactifs, devra lui se trouver opérationnel en 1995 déjà. Il se présente sous forme de cavernes avec accès par une galerie horizontale. En 1983, la CEDRA avait adressé des requêtes pour effectuer des sondages au Bois de la Glaive, près d'Ollon (VD), au Piz Pian Grand (GR) et à l'Oberbauenstock (UR), mais n'avait pu les réaliser en raison des nombreux recours qu'elles avaient engendrés [21]. Même s'il ne l'a pas encore autorisée à procéder au percement des galeries de sondage, le Conseil fédéral a octroyé à la CEDRA l'autorisation d'effectuer des forages et des études géophysiques sur les trois sites prévus pour le stockage des déchets faiblement et moyennement radioactifs, passant ainsi outre l'opposition populaire manifestée dans ces régions. Par ailleurs, il a fait part à la coopérative de prospection de son désir de la voir lui proposer un quatrième site dont la zone de dépôt devrait se situer nettement au-dessous du fond de la vallée [22]. Ayant choisi de faire examiner minutieusement le projet «Garantie», le gouvernement s'est vu contraint de prolonger le délai qu'il avait imposé aux cinq centrales existantes durant lequel celles-ci auraient dû apporter la preuve de la sécurité de l'élimination et de l'entreposage définitif des déchets afin que leur autorisation d'exploitation puisse être confirmée [23]. Dans ce climat d'incertitude, H. Weder (adi, BS) et H. Hubacher (ps, BS) ont tous deux déposé des motions sur la table du Conseil national, l'une demandant la nomination d'un collège d'experts neutres chargé de contrôler les travaux de la CEDRA, l'autre exigeant un moratoire pour, la construction de centrales nucléaires jusqu'à ce que les conditions fixées pour le projet «Garantie» soient remplies [24].
Les forages entrepris dans le nord du pays pour le stockage final des déchets hautement radioactifs, eux également, apportent leur lot de problèmes: alors que les travaux prévus par la CEDRA à Siblingen (SH) se heurtent à une impasse juridique, le rapport sur le premier forage national effectué à Böttstein (AG) a fait apparaître les difficultés géologiques liées à un entreposage dans notre pays [25]. A cet égard, la solution se situe peut-être dans la coopération internationale, même si l'Office fédéral de l'énergie a tenu à démentir les rumeurs d'un accord en vue avec les autorités chinoises pour l'édification d'un entrepôt dans le désert de Gobi. D'autre part, la majorité des Etats signataires de la Convention de Londres a réaffirmé sa position favorable à un moratoire illimité dans les campagnes d'immersion de déchets faiblement et moyennement radioactifs en mer. La Suisse, à nouveau, s'est prononcée contre cette résolution. Enfin, le Conseil fédéral a décidé d'élever de 300 millions à 400 millions de francs le montant minimum de d'assurance responsabilité civile en matière nucléaire, et ceci à partir du ler janvier 1986 [26].
 
[10] Presse du 18.1.85; APS, 1984, p. 101. En 1983, la commission du CN s'était déjà prononcée par 18 voix contre 13 en faveur de l'octroi de l'autorisation (APS, 1983, p. 104). Initiatives cantonales: Délib. Ass. féd., 1985, I/II, p. 13. Voir également Vat., 9.3.85 (historique).
[11] BO CN, 1985, p. 430 ss. et 592 ss. ; FF, 1985, I, p. 865 ; presse des 13.3.85 et 21.3.85 1 Les deux initiatives des demi-cantons de BS et BL ont été refusées par le parlement (BO CN, 1985, p. 624 ss. et 638 ss.; BO CE. 1985, p. 402 ss.). Tours de refroidissement: BO CN, 1985, p. 636 ss. ; cf. également APS, 1983, b. 104. A. Egli a entamé des pourparlers avec la RFA en vue d'un accord pour un refroidissement au fil de l'eau (BaZ, 15.10.85).
[12] Manifestation: BaZ, 25.3.85. Voir aussi BaZ, 14.2.85 ; 22.3.85 ; Lib., 22.3.85. Initiative: LM, 7.11.85. Tous les principaux partis politiques de la région bâloise, à l'exception des libéraux-démocrates de Bâle-Ville, se sont prononcés pour l'abandon de la centrale (BaZ, 16.1.85 ; 17.1.85). Cf. S. Füglister, Darum werden wir Kaiseraugst verhindern, Texte und Dokumente zum Widerstand gegen das geplante AKW, Zürich 1984.
[13] BaZ, 26.6.85. Au cours d'une entrevue avec les deux gouvernements bâlois, la société promotrice de Kaiseraugst n'a pas voulu entrer en matière sur un éventuel abandon (BaZ, 6.11.85).
[14] Délib. Ass. féd., 1985, I/II, p. 94; 24 Heures, 29.3.85; Ww, 17, 25.4.85. Le CF a recommandé le rejet du postulat (BaZ, 8.6.85). Voir également motion Humbel (pdc, AG) qui prévoit un traitement préférentiel pour les régions favorables à l'énergie nucléaire (Délib. Ass. féd., 1985, I/II, p. 64). L'initiative parlementaire déposée par H. Weder (adi, BS), instituant un moratoire de plusieurs années pour toutes les centrales nucléaires en construction ou en projet sur le territoire suisse, a été repoussée par le CN par 82 voix contre 47 (BO CN, 1985, p. 2194 ss. ; BaZ, 20.12.85; APS, 1984, p. 101).
[15] FF, 1985, II, p. 380 ss.; BO CN, 1985, p. 2185 ss. ; 24 Heures, 23.5.85; 20.12.85; APS, 1984, p. 103.
[16] NZZ, 9.10.85; AT, 9.10.85 (dossier); discours de L. Schlumpf, «Energie und Umwelt», in Documenta, 1985, no 4, p. 29 ss.
[17] NZZ et BaZ, 14.11.85. Consulter les deux avant-projets publiés par le DFTCE, ainsi que le rapport explicatif.
[18] FF, 1985, II, p. 397 ss.; BO CN, 1985, p. 2179 ss. Une proposition de la minorité de la commission qui désirait soumettre par ailleurs ces exportations aux principes de notre aide au développement a été repoussée par 62 voix contre 52 (TA, 20.12.85).
[19] FF, 1985, II, p. 1173 ss.; BO CE, 1985, p. 506 ss.; TA, 25.9.85; 26.9.85; BaZ, 26.9.85. La commission du CN a pris position en faveur de la garantie fédérale pour l'ensemble de la constitution (NZZ, 23.11.85).
[20] TA, 26.9.85 ; APS, 1984, p. 102. Trois lois semblables ont pourtout été votées ces dernières années dans les deux Bâles et à Schaffhouse (24 Heures, 26.9.85). Cf. également BaZ, 27.9.85 (R. Rhinow).
[21] Presse du 16.2.85; APS, 1984, p. 102. Projet «Garantie» : NAGRA, NukleareEntsorgungSchweiz: Konzept und Übersicht über das Projekt Gewähr 1985, Baden 1985. Voir également Ww, 23, 6.6.85; TA, 24.7.85; BZ, 30.11.85 (situation dans les autres pays).
[22] Presse du 1.10.85 ; L'Hebdo, 40, 3.10.85. Oppositions locales : BaZ, 10.10.85. Autorisation du CF: FF, 1985, II, p. 1281 ss.; FF, 1985, II, p. 1245 ss.
[23] NZZ, 5.9.85.
[24] Délib. Ass. féd., 1985, III, p. 84 (motion Weder); IV, p. 58 (motion Hubacher).
[25] Siblingen: SN, 25.4.85; 26.4.85; 23.8.85; 28.8.85; cf. APS, 1983, p. 105. Böttstein: 24 Heures, 2.11.85; NAGRA, Sondierbohrung Böttstein: Untersuchungsbericht, Baden 1985. Voir aussi P. Diebold / W: H. Müller, Szenarien der geologischen Langzeitsicherheit: Risikoanalyse für ein Endlager für hochaktive Abfälle in der Nordschweiz, Baden 1985.
[26] Désert de Gobi: BaZ, 29.5.85; TA, 15.6.85. Convention de Londres: TA, 21.9.85; 28.9.85; APS, 1984, p. 102 s. Le CF a déclaré qu'il n'avait pas l'intention dans l'immédiat de reprendre ses campagnes d'immersion (BO CN, 1985, p. 2289 s.). Voir en outre AT, 23.5.85 (coopération européenne). Assurance RC: RO, 1985, p. 1981 ss.