Année politique Suisse 1985 : Sozialpolitik / Soziale Gruppen
Politique à l'égard des étrangers
La politique à l'égard des étrangers s'est cristallisée en 1985 autour de la question controversée du droit du réfugié à l'asile. Trois facteurs interdépendants ont contribué à renforcer son acuité : l'ampleur de la vague migratoire, le fossé culturel entre la population suisse et les nouveaux requérants et l'exploitation électorale de ce malaise croissant par les fractions nationalistes. Cette dernière a par ailleurs servi de baromètre au mécontentement ambiant tout en exacerbant les problèmes.
Dans ce contexte, le débat institutionnel sur la
réglementation de la main-d'oeuvre étrangère, s'il est resté d'actualité, a quelque peu perdu de son intensité. Le Conseil fédéral a ainsi décidé de ne pas modifier l'ordonnance 1984/85 relative au contingentement de celle-ci et de la reconduire jusqu'en octobre 1986. Aucun des partenaires sociaux n'a remis en cause le principe même de continuité en matière de stabilisation de la population étrangère résidante. Ils se sont par contre opposés à ce que celui-ci se réalise par le biais du statu quo. Du côté de l'USS, de la Confédération des syndicats chrétiens de Suisse et des principales organisations de ressortissants étrangers, cette opposition s'est manifestée en avril à Berne lors d'une première conférence commune portant sur le thème «Suisses et étrangers dans l'entreprise». Face au développement d'un esprit de concurrence, lié à l'insécurité de l'emploi et propre à diviser l'ensemble des travailleurs, la nécessité d'ajuster leurs stratégies s'imposait. Ils se sont donc entendus afin de défendre de manière concertée l'application d'une politique efficace de stabilisation et d'intégration des immigrés dans notre pays. Celle-ci repose sur deux objectifs prioritaires: l'égalité de traitement juridique et sociale de tous les travailleurs et la limitation drastique des nouvelles autorisations de travail délivrées chaque année. Les syndicats ont en effet reproché au Conseil fédéral de céder aux pressions patronales, soit d'encourager la rotation de la main-d'oeuvre étrangère, la moins bien protégée légalement. Le nombre des saisonniers, frontaliers et détenteurs de permis de courte durée a en effet une nouvelle fois augmenté en 1985. A cet égard, l'afflux toujours plus important de frontaliers a créé, dans les cantons concernés, de telles tensions économiques et sociales que les syndicats ont là aussi exigé le contingentement. Le Conseil fédéral a toutefois refusé d'introduire des rigidités supplémentaires dans la réglementation de la main-d'oeuvre étrangère tout en soulignant que les dispositions actuelles laissaient aux cantons une marge de manoeuvre suffisante pour rééquilibrer la situation
[1].
A l'opposé de la ligne syndicale, les organisations patronales ont plaidé en faveur d'une politique de stabilisation, pondérée par des mesures de contingentement plus flexibles. A ce titre, elles ont jugé que les difficultés de recruter du personnel qualifié sur le marché de l'emploi national, principalement dans les domaines de l'informatique et de l'électronique, justifiaient une augmentation sensible des autorisations de séjour à l'année. De même, en raison de l'évolution différenciée des besoins économiques des cantons, elles ont également déploré la décision de prolonger les prescriptions en vigueur. Celles-ci contribueraient en effet à accroître les problèmes déjà importants de la répartition intercantonale des contingents
[2].
Essentiellement basées sur la thèse de la surpopulation étrangère, les orientations de l'Action nationale ont été définies avec précision dans le texte de sa
quatrième initiative «pour une limitation de l'immigration». Lancée en 1983, celle-ci a péniblement
abouti en avril.
Son but vise à ramener, puis à maintenir la population globale de notre pays au seuil des 6,2 millions d'habitants par l'application successive de deux mécanismes: dans un premier temps, le nombre des autorisations de séjour accordées chaque année ne devrait pas excéder les deux tiers des étrangers ayant quitté la Suisse au cours de l'année précédente. Au terme d'une durée de 15 ans ou si la population atteignait plus rapidement la limite fixée, entrerait en vigueur une disposition générale postulant l'équilibre entre arrivées et départs. Comme mesure d'appoint, il est également prévu de pouvoir éventuellement remettre en cause le principe de transformation automatique des permis saisonniers en permis de séjour à l'année. De plus, contrairement à ses devancières, la nouvelle initiative, considérée par ses auteurs comme modérée, entend, d'une part, abaisser l'effectif-plafond actuel des saisonniers et contingenter, d'autre part, non seulement les frontaliers, mais l'ensemble des réfugiés dont l'accueil en Suisse a pris un caractère définitif. Démographiquement irréaliste, dangereuse pour le fonctionnement de l'économie, régressive en regard des droits acquis des étrangers et susceptible de freiner leur intégration, tels sont, en substance, les arguments d'ores et déjà invoqués contre cette initiative
[3]. Le Conseil national a pour sa part refusé une motion Meier (an, ZH) qui aurait chargé l'exécutif d'encourager les étrangers au chômage à retourner dans leurs pays d'origine en leur allouant des primes de départ
[4].
Un consensus semble s'être formé sur la nécessité de régler à brève échéance le problème des
travailleurs clandestins. Pour tenter de freiner le développement de l'économie souterraine, le conseiller aux Etats Miville (ps, BS) a proposé de mettre les travailleurs sans permis au bénéfice d'une meilleure protection sociale. La chambre des cantons, après avoir rejeté une première motion, a transformé en postulat un second projet mieux structuré. Bien que la majorité du plénum ait reconnu aux travailleurs non déclarés, découverts, puis expulsés le droit de faire valoir des prétentions salariales et sociales identiques à celles de la main-d'oeuvre indigène, elle a cependant manifesté sa réticence à ce que la voie légale précède l'adoption d'une jurisprudence précise en la matière et limite la marge de manoeuvre des partenaires sociaux
[5].
Aux assauts nationalistes et à la diffusion de cette doctrine au sein de l'opinion publique, la communauté de travail «Etre solidaires» a réagi par la mise sur pied d'un
forum «Suisses-immigrés» qui s'est tenu en octobre à Zurich, dans le prolongement de la conférence intersyndicale d'avril. Les
syndicats, qui parrainaient la manifestation, ont saisi cette occasion pour lancer une mise en garde contre les démarches de l'AN visant à diviser les travailleurs. Ceux-ci ont également souligné que les problèmes de coexistence entre Suisses et immigrés ne devaient être confondus avec les polémiques entretenues autour du droit à l'asile
[6]. Si l'on a pu observer un net rapprochement entre les différentes centrales syndicales et les organisations de ressortissants étrangers, il faut toutefois convenir que la question des réfugiés n'est pas restée extérieure aux nombreux obstacles rencontrés par les partisans d'une meilleure intégration sociale et culturelle des immigrés ainsi qu'aux échecs subis par toutes les tentatives en faveur du renforcement de la participation politique de ces derniers. Lors de leur congrès annuel, les «Colonie libere italiane» ont rappelé que leur pétition, lancée en 1980 et qui revendiquait l'octroi du droit de vote aux étrangers au double échelon des cantons et des communes, n'avait cette année encore débouché sur aucun résultat. Dans ce sens, le Grand Conseil vaudois a refusé d'entrer en matière sur une pétition identique, laquelle avait été déposée en 1981 par le centre de contact «Suisses–Immigrés»
[7].
La Commision fédérale pour les problèmes des étrangers (CFE) a pour sa part cherché à promouvoir le
développement d'autres formes de dialogue avec les étrangers: d'une part, elle a soutenu par ses conseils divers projets de création de nouveaux services d'aide aux étrangers et procédé à une régionalisation des conférences, trois en 1985, qu'elle organise régulièrement avec la cinquantaine de services d'aide aux étrangers existants; d'autre part, à l'occasion de l'Année internationale de la jeunesse, elle a accueilli parmi ses membres deux représentants de la deuxième génération, un Italien et un Espagnol, et participé activement au symposium de l'Institut de recherche concernant les minorités en Suisse, consacré aux problèmes de la deuxième génération d'étrangers. Elle a enfin ménagé à de jeunes étrangers la possibilité de rencontrer avec des camarades suisses le conseiller fédéral A. Egli pour s'entretenir de leurs problèmes
[8].
[1] Ordonnance 1985: RO, 1985, p. 1590 ss. Positions syndicales: TW, 16.2.85; USS, 6, 13.2.85; 14, 24.4.85; 20, 26.6.85; 30, 23.10.85; VO, 15, 18.4.85; 16, 25.4.85; LM, 21.4.85; Suisse, 21.4.85; NZZ, 22.4.85; FOBB, 92, 23.4.85 ; 99, 16.7.85 ; 112, 19.11.85 ; Ww, 10, 25.4.85. Voir aussi réponse du CF sur la question des frontaliers (BO CN, 1985, p. 1461). La population étrangère résidante s'élevait à fin 1985 à 939 671 personnes (1984: 932 386) dont 738 193 établis (1984: 732 405) et 201 478 titulaires d'une autorisation de séjour (1984: 199 981). Ala fin août, la Suisse comptait également 102 809 saisonniers (1984: 100 753). Par ailleurs, on comptabilisait à la fin de l'année 112 780 frontaliers (1984: 105 945). Cf. La Vie économique, 59/1986, p. 169 ss. ; Université ouvrière de Genève, Le saisonnier inexistant, Genève 1985; APS, 1984, p. 147 s.
[2] Positions patronales: SAZ, 35, 29.8.85; 43, 24.10.85. Voir aussi BO CN, 1985, p. 1304 (réponse du CF concernant la pénurie en Suisse d'informaticiens et d'ingénieurs); Délib. Ass. féd., 1985, IV, p. 47 (motion Christinat, ps, GE, qui exige du gouvernement la création d'organismes cantonaux tripartites associant les autorités, les employeurs et les syndicats, afin d'assurer une répartition équitable des travailleurs étrangers entre les différents secteurs économiques au sein de chaque canton).
[3] Initiative de l'AN : FF, 1985, II, p. 37 ss.; NZZ, 23.2.85 ; 18.3.85 ; presse du 11.4.85 ; Vat., 13.4.85 ; USS, 13, 17.4.85; SAZ, 16, 18.4.85; TW, 20.4.85. Voir aussi BO CN, 1985, p. 1272 et APS, 1983, p. 156.
[4] Motion Meier (BO CN, 1985, p. 414 ss.); cf. aussi motion Ruf (an, BE, Délib. Ass. féd., 1985, I/II, p. 86). L'hebdomadaire « Weltwoche» a déclenché une polémique, notamment dans les cantons de Fribourg et d'Uri, en révélant l'existence éventuelle de trafics illégaux de permis de séjour. Les autorités soupçonnées de fraude, de mente que le CF, ont toutefois rejeté toute accusation (Ww, 41, 10.10.85; 43, 24.10.85; 44, 31.10.85; 45, 7.11.85; 47, 5.12.85; TA, 22.10.85; L'Hebdo, 24.10.85; NZZ, 26.10.85; Vat., 14.11.85; Suisse, 18.12.85).
[5] Lutte contre le travail clandestin: BO CE, 1985, p. 109 ss. et 590 ss. (motions Miville); SAZ, 9, 28.2.85. Cf. APS, 1984, p. 148.
[6] Forum 85 et xénophobie : BaZ, 28.1.85 ; 22.10.85 ; SP, VPOD, 27, 4.7.85 ; VO, 39, 3.10.85 ; 41, 17.10.85 ; 42, 24.10.85; presse du 21.10.85.
[7] Congrès des «Colonie libere italiane»: NZZ, 28.1.85; USS, 4, 30.1.85. Vaud: VO, 18, 9.5.85; 46, 21.11.85; FOBB, 94, 14.5.85; 116, 17.12.85; Suisse, 15.10.85. Intégration des immigrés: BZ, 31.1.85; Lib., 2.3.85 ; 11.11.85. En lieu et place d'un «Forum pour les étrangers», dont la création avait été refusée par le souverain de la ville de Zurich, le Conseil-exécutif zurichois a décidé de mettre sur pied une nouvelle commission pour la question des étrangers (NZZ, 24.7.85; 1.10.85; TA, 26.7.85; cf. APS, 1984, p. 149).
[8] Renseignements obtenus auprès de la CFE. Nouveaux services d'aide aux étrangers: communautés de travail pour les étrangers à Lyss (BE) et dans le canton de Thurgovie; création d'une commission communale des étrangers à Aarau. Pour les entretiens avec le CF Egli, cf. infra, Jeunesse.
Copyright 2014 by Année politique suisse
Dieser Text wurde ab Papier eingescannt und kann daher Fehler enthalten.