Année politique Suisse 1985 : Sozialpolitik / Soziale Gruppen
Réfugiés
L'afflux record de réfugiés enregistré en 1985, provenant pour l'essentiel de pays du tiers monde, s'est trouvé à l'origine de l'un des problèmes de politique intérieure les plus explosifs de l'année. A l'épreuve des faits, les nouveaux instruments législatifs en matière d'asile, entrés en vigueur au lei juin 1984, se sont rapidement révélés lacunaires, imprécis, voire impropres à maîtriser l'ampleur et la complexité du phénomène, ce d'autant plus que l'infrastructure administrative à disposition, bien que renforcée, est apparue insuffisante pour absorber le nombre croissant de dossiers en souffrance.
Dans un contexte caractérisé par un certain flottement dans les décisions et par une visible impréparation aux événements, les autorités tant fédérales que cantonales ont déployé une intense activité législative et organisationnelle. Il s'est agi en effet de trouver un difficile équilibre entre, d'une part, le respect de la tradition d'accueil humanitaire de la Suisse et, d'autre part, la nécessité d'endiguer l'arrivée massive de requérants parmi lesquels certains ne visaient qu'à contourner les réglementations relatives à la maind'ceuvre étrangère par le dépôt de demandes d'asile abusives. Cet exercice s'est cependant révélé particulièrement délicat en raison de la bipolarisation de l'opinion entre les tenants d'une politique restrictive et les partisans d'une pratique libérale.
En
vue d'éviter le refoulement jugé humainement impossible de certains candidats déboutés, lesquels, victimes des lenteurs de la procédure, ont pris racine en Suisse depuis trois ou quatre ans,
le Conseil fédéral a proposé de les placer au bénéfice d'une réglementation d'exception. Présentée sous la forme d'un arrêté fédéral, cette solution dite «globale» prévoyait de leur accorder un permis de séjour spécial, indépendant du statut de réfugié. Elle devait également permettre de diminuer le nombre pléthorique de dossiers en suspens et, pour l'Office fédéral de la police, de faire face plus efficacement aux nouvelles requêtes. Cette initiative, soutenue non sans réticence par l'ensemble des partis gouvernementaux et des cantons latins, s'est en revanche heurtée au refus catégorique de la grande majorité des cantons alémaniques. Opposés au principe des décisions collectives en matière d'asile, ceux-ci ont invoqué plusieurs motifs: le caractère juridiquement contestable du projet, la crainte de créer un précédent propice aux inégalités de traitement, la capitulation du gouvernement face à une situation de crise et, surtout, le lancement éventuel par l'AN d'un référendum susceptible d'aggraver les tensions populaires. Face à de tels arguments, le Conseil fédéral, non sans cacher sa déception, a enterré le projet bien qu'aucune alternative ne lui ait été suggérée
[9].
Au-delà de cette tentative visant l'adoption de mesures d'exception,
le gouvernement a proposé de résoudre les problèmes en suspens par un programme d'action en quatre points: une
révision accélérée de la loi sur l'asile, un
renforcement supplémentaire des effectifs de l'Office fédéral de la police et du service des recours,
l'élargissement de la notion de «demande infondée» dans l'ordonnance de la loi et la
création d'un poste de délégué à la question des réfugiés. Devant le Conseil national, lors de sa session de printemps, E. Kopp a relevé la nécessité de situer le débat sur l'asile sur l'unique terrain de la réflexion et de ne pas céder à la dramatisation, disproportionnée par rapport aux faits, entretenue par ceux qui souhaitaient utiliser le levier de l'irrationnel. Face à la menace d'une crise de confiance entre l'opinion publique et les autorités, il lui est apparu nécessaire d'essayer d'éviter que les seules difficultés d'application et de gestion de la loi ne débouchent sur un remaniement indésirable des principes de notre tradition d'accueil. Elle a ainsi clairement affirmé que la crédibilité de la politique suisse d'asile dépendait de l'adoption de nouvelles modalités législatives permettant d'assurer l'exécution de renvois raisonnablement exigibles envers des candidats non agréés. Dans ce sens, les suggestions du Conseil fédéral reposaient essentiellement sur l'introduction de simplifications supplémentaires en matière de procédure, de dispositions plus dissuasives, susceptibles de limiter les abus, et sur un renforcement de la solidarité confédérale et internationale. Malgré les oppositions larvées, les partis traditionnels ont exprimé leur soutien aux principes directeurs des réformes proposées. A cet égard, ils ont fait bloc pour museler les thèses de l'AN qui ambitionnait notamment d'abroger la loi en vigueur en vue d'instaurer un moratoire pour toutes les nouvelles requêtes jusqu'à l'adoption d'un droit du réfugié à l'asile limité aux seuls candidats de l'aire culturelle européenne. Pour mieux souligner leur volonté de maintenir intacte l'attribution du statut de réfugié aux victimes de persécutions politiques, ils ont également repoussé une motion Hefti (prd, GL), approuvée par le Conseil des Etats l'année précédente et qui envisageait de rendre celle-ci non plus obligatoire, mais possible. Le conseiller national A. Herczog (poch, ZH) a toutefois interpellé le gouvernement pour exprimer sa crainte que la volonté d'efficacité de la politique fédérale ne dérape vers l'octroi de concessions aux tendances xénophobes. Dans le dessein de sauvegarder la substance d'un droit d'asile, jugée menacée, il a ainsi suggéré de tenir compte de la détresse économique, cause de nombreuses migrations, en tant que motif pour recevoir l'asile en Suisse; requête à laquelle le Conseil fédéral a répondu par la négative
[10].
L'élaboration d'un
projet de révision de la loi sur l'asile, stimulée entre autres par une motion des deux Chambres, s'est réalisée au plus vite. Présenté en juin, ce plan de réforme a été soumis à la consultation en juillet et le message rédigé dès septembre afin que les Conseils puissent en délibérer lors de leur session de mars 1986. Si aucune des propositions n'est demeurée à l'abri des critiques, le Conseil fédéral a fermement campé sur ses positions. La première mesure envisage de supprimer l'obligation pour l'Office fédéral de la police d'auditionner les requérants et d'abandonner aux cantons la charge de l'audition principale des candidats à l'asile. Du point de vue gouvernemental, le flot imprévisible des demandes pourrait également être endigué par l'extension de la compétence à l'échelon fédéral d'engager du personnel supplémentaire en vue du traitement des nouveaux dossiers. La révision vise par ailleurs un élargissement de la clause d'urgence, soit l'attribution au Conseil fédéral d'un droit de nécessité, susceptible d'être invoqué même en temps de paix, au cas où un afflux considérable de demandeurs exposerait la Confédération et les cantons à des difficultés présumées insurmontables. Pour parer aux nombreuses difficultés touchant à l'exécution des décisions de renvoi, le projet entend donner aux cantons la possibilité de mettre en détention pour une durée limitée les requérants dont la demande aura été refusée. De même, en vue de faciliter le rapatriement et la réintégration des candidats menacés d'expulsion, il s'agirait de leur offrir une aide au retour essentiellement sous forme de conseils. Enfin, au chapitre controversé de la répartition intercantonale des candidats, suite à l'adoption d'une motion de la commission du Conseil national et aux revendications insistantes des cantons les plus sollicités, la nouvelle loi devrait autoriser le gouvernement à fixer d'autorité, mais à titre subsidiaire, une clé de répartition équitable
[11].
Toujours dans l'esprit de contrer le dépôt de demandes abusives, le Conseil fédéral a également
modifié l'ordonnance sur l'asile pour porter, dès le 1er janvier 1986, de deux à sept le nombre des critères justifiant le renvoi rapide de requérants. Cette décision vise notamment les requêtes motivées par des difficultés familiales, économiques ou sociales dont la proportion représente près du 20% des demandes totales. Les milieux proches des réfugiés ont déploré que l'on dépouille de garanties supplémentaires une procédure déjà expurgée, entamant ainsi la substance même de la notion du droit d'asile
[12].
L'urgence à soulager l'Office fédéral de la police de ses tâches a en outre conduit à la
nomination de Peter Arbenz au poste de délégué aux réfugiés. Dès mars 1986, en tant que subordonné direct d'E. Kopp pour tous les problèmes relatifs à l'asile, il sera chargé d'assurer les relations entre la Confédération et les cantons, les partis, les oeuvres d'entraide et les instances internationales. Il répondra également de l'activité de tous les agents affectés au traitement des requêtes
[13].
Sur le plan international, l'amélioration du statut des réfugiés reste l'une des préoccupations de la Suisse. A cet égard,
les Chambres ont ratifié l'Accord européen sur le transfert de la responsabilité à l'endroit des réfugiés. De son côté, le gouvernement a signé une même convention, élaborée à Rome en 1984. Elle devrait encourager la coopération internationale dans l'information sur l'identité et l'état civil des demandeurs d'asile
[14].
A l'image de l'ensemble des pays européen, la Suisse n'a pu se soustraire à
l'adoption de mesures dissuasives. En 1985, cette tendance s'est avant tout dessinée dans les cantons où l'afflux de réfugiés a atteint un seuil critique. Confrontés à l'épuisement de leur capacité d'hébergement, à l'inadéquation de leur conception d'encadrement ainsi qu'à l'insuffisance de leurs moyens d'assistance, le gouvernement vaudois, à titre d'exemple, a réclamé au Conseil fédéral la création d'urgence d'un camp d'accueil contrôlé par l'armée alors que celui de Fribourg décrétait pour sa part de manière unilatérale l'interdiction pour tout demandeur d'asile de pénétrer sur son territoire dès le 1er décembre. A Berne, une polémique s'est engagée suite à la décision du Conseil exécutif de ne plus délivrer d'autorisation de travail aux nouveaux requérants
[15].
Toutefois, le principal révélateur des tensions populaires et des
difficultés rencontrées par les autorités cantonales quant à l'application de la loi s'est trouvé dans l'exécution des décisions de renvoi des requérants dont la demande a définitivement été repoussée. Dubitatives face à l'impossibilité du gouvernement d'obtenir des garanties sur l'évolution politique à l'intérieur des pays d'origine des candidats menacés d'expulsion ainsi que sur le sort qui leur serait réservé le cas échéant, les organisations caritatives et syndicales, soutenues par les communautés religieuses, ont riposté en appliquant une véritable politique de résistance. Regroupées autour d'un comité suisse pour la défense d'un droit d'asile humanitaire, elles sont intervenues, parfois aux marges de l'illégalité, pour tenter de bloquer les refoulements annoncés. Pétitions et manifestations, stimulées par de nombreux appels à la lutte contre la xénophobie, se sont succédé pour requérir des instances dirigeantes qu'elles épuisent toutes les possibilités offertes par la loi susceptibles de sur seoir aux décisions d'expulsions toujours plus nombreuses. En outre, un réseau privé d'herbergement clandestin s'est organisé, à Zurich, Berne, Genève et Lausanne, sous l'impulsion de particuliers et de certaines paroisses. La protection des milieux religieux s'est en particulier exercée à l'endroit de 52 requérants chiliens résidant depuis plusieurs années à Zurich. Ces derniers, engagés à quitter la Suisse, ont entamé une grève de la faim. L'expulsion manu militari de 59 Zaïrois, séjournant de manière illégale sur notre territoire, a attisé les polémiques et contribué à renforcer un climat de scepticisme face à la conduite de la politique fédérale en matière d'asile. A ce glissement vers des attitudes de désobéissance civile, le Conseil fédéral a répondu par un sévère rappel à la légalité. Les gouvernements cantonaux, quant à eux, ont navigué entre la fermeté et la recherche de modus vivendi en collaboration avec les porte-parole dés milieux «pro-réfugiés»
[16].
De nombreux rapports portant sur
la situation au Sri Lanka, toujours aussi tendue, n'ont cessé de se contredire tout au long de l'année. Le Conseil fédéral a confirmé sa décision de différer pour une durée indéterminée le rapatriement des requérants tamouls dont les requêtes se sont vues repoussées. Sur cette question controversée, la Suisse a assisté à Genève, en présence de délégations de Grande-Bretagne, des Pays-Bas et d'Allemagne fédérale, aux premiers pourparlers européens visant à définir une conception commune des renvois
[17].
[9] NZZ et BZ, 6.5.85; presse du 4.6.85; 15.7.85; 28.7.85; JdG, 19.8.85; 2.9.85; 24 Heures, 29.8.85. L'UDC avait proposé d'accorder aux candidats résidant en Suisse depuis quatre ou cinq ans un statut de réfugié (presse du 10.4.85).
[10] Débat au CN sur la question du droit d'asile : BO CN, 1985, p. 1465 ss. Initiative parlementaire Meier (an, ZH): BO CN, 1985, p. 1468 ss. Motion Hefti: BO CN, 1985, p. 1465 ss. Interpellation Herczog: BO CN, 1985, p. 2263 s. Cf. APS, 1984, p. 46. Au cours de la session d'automne, le conseiller national Bonny (prd, BE) a déposé une motion, soutenue par une soixantaine de ses collègues, appartenant à tous les groupes politiques, proposant la création de six à huit passages obligatoires à la frontière suisse pour les demandeurs d'asile, dans le principal but de lutter contre les filières organisant l'entrée illégale de requérants dans notre pays (Dé/ib. Ass. féd., 1985, IV, p. 41).
[11] Le projet de révision s'est principalement inspiré de la motion Lüchinger (prd, ZH), adoptée par le CN en 1984 (cf. APS, 1984, p. 46) et approuvée par le CE en mars 1985 (BO CE, 1985, p. 105 ss.), cf. en outre presse du 22.5.85; 4.6.85. Procédure de consultation: USS, 28.2.85; 24 Heures, 31.5.85; 2.10.85; NZZ, 27.9.85; 14.10.85; BaZ, 28.9.85; 3.10.85; Vr, 4.10.85; presse du 10.10.85; SN, 19.10.85. Message: FF, 1986, I. p. 1 ss. Voir Schweizerischer Friedensrat, Gesamtverteidigung gegen die Flüchtlinge? Die zweite Asylgesetzrevision — ein Irrtum, Zürich 1985 ; R. Bersier, Droit d'asile et statut du réfugié en Suisse, Lausanne 1985. Problème de la répartition intercantonale des demandeurs d'asile: initiative de FR et motion de la commission du CN (BO CN, 1985, p. 1466 ss.). Cf. APS, 1984, p. 45 s.
[12] RO, 1985, p. 1632 et 1864; LNN, 4.11.85; presse du 3.12.85.
[13] FF, 1985, III, p. 315 ss.; BO CN, 1985, p. 1955 ss., 2130, 2140 et 2274; BO CE, 1985, p. 680 ss., 724 et 770. Pour une vue d'ensemble sur les dispositions envisagées par le CF en 1985, voir L'Hebdo, 36, 5.9.85 ; 38, 19.9.85 ; 49, 5.12.85.
[14] BO CE, 1985, p. 104 ss. ; BO CN, 1985, p. 1792 ss. ; NZZ, 15.8.85 ; Amt des Hohen Flüchtlingskommissars der Vereinten Nationen, Asyl in Europa, Genf 1985. Accord européen: voir supra, part. I, 2 (Droits de l'homme).
[15] Berne: BZ, 19.1.85; 11.2.85; 8.5.85; 11.6.85; 28.6.85. Vaud: 24 Heures, 2.9.85; 11.9.85; NZZ, 2.9.85; 6.9.85; TA, 3.9.85 ; LM, 5.9.85. Fribourg : Suisse, 21.11.85 ; Lib., 2.12.85 ; 20.12.85; 31.12.85 ; Bund, 7.12.85 ; LM, 22.12.85. Pour limiter l'attractivité du statut de demandeur d'asile, le CF a proposé aux cantons de fixer à trois mois la durée acceptable de ces interdictions de travail. Il s'est en outre refusé à appuyer le programme de formation et d'emploi en faveur des candidats qui ne peuvent provisoirement retourner dans leur pays, comme le lui demandait les oeuvres d'entraide (BO CN, 1985, p. 1270 s; 24 Heures, 2.12.85).
[16] Résistances aux décisions de renvoi: TA, 27.2.85 ; 12.6.85 ; NZZ, 1.4.85 ; LNN, 23.4.85 ; presse du 31.5.85 ; Schweizerische Zentralstelle für Flüchtlingshilfe, Unterwegs, aufgenommen, angenommen, Zürich 1985. Constitution du Comité suisse pour la défense du droit d'asile: presse du 10.9.85. Eglises: 24 Heures, 10.5.85; 4.10.85; JdG, 10.5.85; NZZ, 25.9.85; 11.10.85; 15.10.85; 14.11.85; 10.12.85; L'Hebdo, 44, 31.10.85. Pétitions et manifestations : presse du 20.9.85 ; Suisse, 25.9.85 ; 28.9.85 ; 4.11.85 ; 24 Heures, 3.10.85 ; 5.11.85 ; NZZ, 6.1 1.85. Appels à la lutte contre la xénophobie: BaZ, 6.5.85; SP, VPOD, 23.6.85; Vr, 16.12.85; Schweizerische Flüchtlingshilfe, Fremdenhass; Worüber man nicht spricht, Zürich 1985. Réseaux clandestins d'hébergement: TW, 9.10.85; JdG, 24 Heures et Suisse, 6.11.85. Chiliens: TA, 3.10.85; 1.11.85; 5.11.85; Bund, 14.10.85; NZZ, 11.10.85; 4.11.85; 25.11.85; 4.12.85; Suisse, 26.10.85; 28.10.85; Vat., 28.10.85. Zaïrois: 24 Heures, 4.11.85; 7.11.85; 11.11.85; 12.11.85; 22.11.85; 24.11.85 ; NZZ, 12.11.85; 14.11.85; 15.11.85; 16.11.85; L'Hebdo, 36, 5.9.85; 45, 7.11.85; 46, 14.11.85; Ww, 47, 21.11.85.
[17] Presse du 4.6.85; 10.12.85; BZ, 24.9.85; 1.10.85; NZZ, 11.10.85; 5.12.85; 11.12.85; BaZ, 21.11.85. Cf. point de vue du CF (BO CN, 1985, p. 1270 s. et 1299 s.); APS, 1984, p. 45 s. Dossiers de presse sur la question des réfugiés: 24 Heures, 11.9.85; 12.9.85; 17.9.85; 19.9.85; 24.9.85; 25.9.85; Bund, 5.11.85; BZ, 25.11.85; 27-30.11.85.
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