Année politique Suisse 1985 : Sozialpolitik / Soziale Gruppen
Condition de la femme
L'année 1985 a mis un terme à la décennie de la femme décrétée par les Nations Unies. Donnant suite aux Conférences mondiales de Mexico et de Copenhague, toutes deux consacrées aux possibilités de promouvoir le développement, l'égalité et la paix, celle de Nairobi a marqué la dernière étape de cette concertation internationale en conduisant notamment à l'adoption de «stratégies prospectives d'action pour la promotion de la femme». La Suisse, dont la délégation officielle était conduite par la conseillère fédérale E. Kopp, a présenté un bilan globalement positif des progrès qu'elle a pu réaliser au cours de cette décade en faveur de l'amélioration de la condition de la femme, tant sur le plan des institutions qu'au niveau de la pratique. Il est clairement ressorti des diverses réflexions relatives à la situation actuelle des femmes suisses que les efforts devaient dorénavant se concentrer sur l'élimination des discriminations dans les domaines, par ailleurs fort interdépendants, du travail et de la formation, comme la Commission fédérale pour les questions féminines l'a également relevé. Cette carte de priorité a également été accordée par le PRD dont le congrès annuel a essentiellement porté sur la place réservée aux femmes dans la société helvétique
[24].
Les résistances à la concrétisation du principe constitutionnel selon lequel les femmes, à travail égal, ont
droit au même salaire que les hommes, restent symboliques de la persistance de pratiques ségrégationnistes à l'endroit de la main-d'oeuvre féminine et révèlent la faiblesse de la position des femmes sur le marché du travail. En effet, malgré une disproportion moyenne d'un tiers entre les rémunérations féminines et masculines, certes due en partie aux différentes composantes des structures professionnelles, la disposition constitutionnelle censée la combler, bien que directement applicable, n'a jus-qu'ici déployé que peu d'effets appréciables. Afin d'y remédier, la conseillère nationale Y. Jaggi (ps, VD), par le biais d'une initiative parlementaire, avait proposé de l'assortir d'une législation d'application supplémentaire. Son projet visait notamment à attribuer aux organisations professionnelles qualité pour agir en justice lors de tout litige relatif à des inégalités salariales. Par 89 voix contre 87, la chambre du peuple a toutefois déjoué ses prétentions. Si la gauche, suivie par une minorité du PRD et du PDC, a soutenu ces mesures qu'elle considérait de nature à créer des conditions pratiques nécessaires à la réalisation d'un progrès social essentiel, les ténors du patronat se sont pour leur part battus pour refuser l'intervention du législateur dans le domaine salarial. Les difficultés à fixer des critères objectifs pour évaluer de cas en cas la notion de travail équivalent, et la crainte que l'attribution d'un droit de recours aux syndicats ne concoure à une politisation des relations entre partenaires sociaux, se sont imposées, lors des débats, comme les deux principaux arguments ayant permis le succès des opposants. En guise de concession, le plénum a toutefois approuvé un postulat Jaggi, demandant au Conseil fédéral de se prononcer sur l'opportunité de légiférer en matière de salaires et avant tout de préciser les critères applicables pour déterminer la valeur du travail
[25]. A cet égard, deux jugements en faveur de l'égalité des salaires ont retenu l'attention. Pour la première fois en Suisse, un tribunal de prud'hommes du canton de Saint-Gall a donné satisfaction à une travailleuse du secteur privé qui avait adressé une plainte pour discrimination salariale. A Sarnen (OW), le Tribunal administratif a donné gain de cause à une plaignante qui réclamait son placement dans une classe de traitement identique à celle du fonctionnaire qu'elle remplaçait
[26].
Toujours dans le domaine de l'emploi, les dispositions spéciales censées favoriser les femmes, telles que les prévoit la législation actuelle, ont indirectement été remises en question pour servir la cause de l'égalité. En effet, le veto du Conseil fédéral en décembre 1984 n'a pas découragé la direction de l'ASUAG-SSIH d'exercer des pressions de plus en plus insistantes sur l'OFIAMT et les syndicats en vue d'obtenir la
levée progressive de l'interdiction du travail de nuit des femmes dans l'industrie. Au-delà de sa dimension économique, cette controverse s'est cristallisée autour de la conception même de l'égalité à inscrire dans le droit du travail. Les réflexions les plus diverses ont stimulé ce débat: l'interdiction du travail de nuit des femmes occupées dans l'industrie reste-t-elle compatible avec l'article 4 de la Constitution fédérale? Constitue-t-elle une discrimination positive? Sa levée menace-t-elle les droits acquis des femmes? De même, cette disposition empêche-t-elle ces dernières d'accéder à des activités mieux rémunérées? A toutes ces interrogations, les partenaires sociaux ont répondu de manière diamétralement opposée. Si, à première vue, les fronts restent figés, des signes avant-coureurs de compromis semblent toutefois se dessiner dans le discours de divers militants syndicaux. La Commission fédérale pour les questions féminines a présenté, de son côté, une solution susceptible d'équilibrer les conditions de travail sans pour autant détériorer la situation de la femme. Celle-ci propose, en lieu et place des mesures de protection actuelles, de renforcer l'ensemble des dispositions relatives à la santé, au bien-être physique et psychique de tous les travailleurs. Elle suggère en particulier d'interdire le travail de nuit et du dimanche aux salariés assumant des responsabilités familiales
[27].
Un groupe d'auteurs a élaboré, à la demande de la Commission fédérale pour les questions féminines, un premier sondage analytique sur le profil sanitaire de la population helvétique. Celui-ci constitue une première réponse au postulat de la conseillère aux Etats J. Meier (pdc, LU). Accepté en 1979, ce dernier invitait le Conseil fédéral, dans le but d'apprécier la pertinence des revendications féminines liées à la 10e révision de l'AVS, à étudier les incidences des activités ménagères, familiales et professionnelles des femmes sur leur santé et leur espérance de vie. Il ressort globalement de cette enquête que si la durée de vie des femmes est supérieure à celle des hommes, celles-ci, paradoxalement, sont plus souvent sujettes à la maladie. Elles se sentent subjectivement plus fréquemment malades, mais souffrent davantage de handicaps chroniques et de troubles psychiques bien réels. Elles restreignent, par ailleurs, plus volontiers leurs activités pour cause de maladie. Enfin, leur demande de soins médico-thérapeutiques se révèle plus élevée et les médecins diagnostiquent un nombre de maladies plus important chez leurs patientes que chez leurs patients. Sans pour autant nier la valeur informative de cette étude, la commission avoue qu'elle ne saurait servir de fondement scientifique à l'adoption de mesures de politique sociale, laquelle se baserait sur l'unique critère de la distinction sexuelle
[28].
Sur le terrain des revendications égalitaires de nature institutionnelle, la Commission fédérale pour les questions féminines s'est prononcée pour la
création d'un nouvel instrument fédéral. Doté de compétences décisionnelles autonomes, il serait chargé de coordonner, de contrôler et de mettre en oeuvre toutes les mesures susceptibles d'étendre la portée de ce principe constitutionnel
[29]. Les manifestations et conférences organisées à Saint-Gall à l'occasion de la traditionnelle Journée internationale de la femme ont essentiellement tourné autour du rejet de l'initiative «pour le droit à la vie». Les militantes, presque exclusivement alémaniques et proches des milieux de la gauche, ont également débattu des retombées sur le travail féminin, jugées par ailleurs négatives, de l'introduction des nouvelles technologies. Leurs protestations ont aussi visé la lenteur des autorités à réaliser les postulats féminins dans le domaine des assurances sociales et notamment en ce qui concerne la protection de la maternité
[30].
Dans la cascade des propositions visant depuis près de quinze ans à enterrer le débat sur l'avortement, la
consultation populaire portant sur l'initiative «pour le droit à la vie» a une fois de plus démontré combien restaient figées les opinions en matière d'interruption de grossesse. Ce fait contribue ainsi à verrouiller la porte à toute solution de compromis et à restreindre davantage encore la marge de manoeuvre du Conseil fédéral. Lancée en 1979 par les milieux de tendance conservatrice, l'initiative dite «pour le droit à la vie» envisageait d'introduire dans la Constitution le droit à l'intégrité corporelle et spirituelle pour chaque individu et à garantir sa protection par l'adoption d'une définition de la vie établissant son commencement dès la conception et sa fin par la mort naturelle. Lors de la campagne précédant le scrutin, les opposants se sont essentiellement battus sur le terrain de l'avortement, mais les disposition proposées visaient avant tout à défendre une certaine éthique de la vie. Les controverses soulevées par ce projet constitutionnel sont ainsi relatées dans le chapitre relatif aux droits fondamentaux
[31]. Notons toutefois
qu'en votation populaire, le 9 juin, 69% du corps électoral a refusé l'initiative. Les cantons ont par ailleurs voté en fonction de leur propre pratique, manifestant en quelque sorte leur soutien à un fédéralisme de fait en matière d'interruption de grossesse
[32].
[24] BZ,10.7.85 ; Bund,11.7.85 ; 27.7.85 ;1.8.85 ; NZZ, 12.7.85 ; 2.8.85 ; BaZ,12.7.85 ; TA, 13.7.85 ; 2.8.85; JdG, 20.7.85; Vat., 1.8.85; LNN, 1.8.85; 10.8.85; L'Hebdo, 30, 25.7.85; SP, VPOD, 48, 28.11.85; Questions au féminin, 1985, no 4; Congres du PRD: «La femme dans la société», in Revue politique, 64/1985, no 1; SGT, 19.4.85; cf aussi infra, part. IIIa (Freisinnig-demokratische Partei).
[25] BO CN, 1985, p. 1795 ss. et 1809 ss. Pour les salaires, cf. aussi supra, part. I, 7a (Salaires). Cf. APS, 1984, p. 151. Concernant la femme, la formation et l'éducation voir infra, part. I, 8a.
[26] TA, 21.6.85; NZZ, 22.6.85; Vat., 24.6.85; USS, 20, 26.6.85; TW, 9.7.85; SAZ, 80/1985, p. 526.
[27] Vr, 15.6.85; LM, 16.6.85; JdG et FAN, 17.6.85; BZ, 22.6.85; NZZ, 1.7.85; Bund, 9.8.85. Cf. APS, 1984, p. 133.
[28] BO CN, 1979, p. 1432 s.; Rapport «Femmes et santé», in Questions au féminin, 1985, no 3, élaboré par le groupe d'auteurs Somipos (système des indicateurs médico-sociaux de la population suisse). Concernant les inégalités entre hommes et femmes dans les assurances sociales, voir NZZ, 27.6.85; 6.9.85; 29.10.85.
[29] NZZ et TA, 6.7.85. Pour le droit de vote dans les deux Appenzells, cf. supra, part. I, 1b (Stimmrecht).
[30] SGT, 6.3.85; NZZ, 11.3.85; BaZ, 11.3.85. Selon diverses analyses, le mouvement féministe suisse se trouverait actuellement dans une impasse. Il serait notamment divisé sur l'attitude à adopter devant la difficulté à faire admettre aux partis et aux syndicats ses revendications: BaZ, 9.2.85 (magazine); LM, 26.2.85; JdG, 29.4.85; Emanzipation, 1985, no 7; L. Nabholz, «Übermannte Hoffnungsträgerinnen », in Einspruch. 12 Vierzigjährige zur politischen Situation in der Schweiz, Zürich 1985, p. 33 ss.
[31] Voir supra, part. I, 1b (Grundrechte), ainsi que APS, 1984, p. 15 et 152.
[32] FF, 1985, II, p. 677 ss. ; presse du 10.6.85 ; BaZ, 13.6.85 ; L'Hebdo, 24, 13.6.84; Vat., 19.6.85 ; Vox, Analyse de la votation fédérale du 9 juin, Zurich 1985. Cf. également E. Ketting / P. von Praag, Schwangerschaftsabbruch, Tübingen 1985.
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