Année politique Suisse 1988 : Allgemeine Chronik / Überblick / Jahresthemen — Faits marquants
Géographiquement, la Suisse se situe au coeur de l'Europe occidentale, à la rencontre des carrefours tant linguistiques et culturels que de ceux, plus pragmatiques, des voies de communication et des mouvements économiques. Paradoxalement, notre pays n'est pourtant pas partie prenante au formidable défi que représente la création d'un marché unique européen. Du fait de sa non-appartenance à la Communauté européenne, la Suisse ne risque-t-elle pas d'être menacée d'ostracisme? Comment peut-elle concilier sa spécificité avec ce processus d'intégration en cours? Ces interrogations, connues et reconnues aujourd'hui par bien des milieux politiques et économiques, ont suscité l'élaboration par le Conseil fédéral d'un rapport sur la position de la Suisse dans le processus d'intégration européenne. Dans ce texte, le gouvernement postule clairement l'impossibilité d'une éventuelle adhésion à la Communauté européenne en raison du statut de neutralité, des structures fédéralistes, de la démocratie directe, des compétences parlementaires ainsi que des politiques agricole, étrangère et de l'immigration. La question se pose alors dans toute son acuité: quelle attitude doit adopter la Confédération face à l'unification européenne signifiant, entre autres, la libre circulation des personnes, des marchandises et des capitaux?
Dans son rapport, le Conseil fédéral propose l'exploration d'une "troisième voie", alternative tant à l'adhésion qu'à l'isolement. Basée sur l'actuelle politique européenne développée par la Suisse, elle consiste en un approfondissement pragmatique et sectoriel des relations contractuelles avec la Communauté européenne. La coopération sera spécifiquement réglée dans les domaines où existent des intérêts communs et ce en vertu d'un équilibre des droits et des obligations entre les deux parties contractantes.
Deux questions se posent néanmoins. Premièrement, ce choix d'une troisième voie en est-il vraiment un ou n'est-il qu'un leurre? La Suisse peut-elle réellement opter en faveur de tel ou tel comportement ou bien est-elle liée tant par la volonté et l'intérêt de la Communauté européenne à coopérer avec elle que par son propre héritage démocratique? Deuxièment, cette troisième voie – que l'on considère aujourd'hui comme étant la seule attitude envisageable – n'est-elle pas un miroir aux alouettes permettant à l'Etat suisse de reculer indéfiniment l'instant du véritable choix? Ne vaudrait-il pas mieux pouvoir décider sereinement de l'attitude à suivre plutôt que de devoir le faire sous la pression des faits?
Ces deux interrogations ne nous conduisent-elles pas vers un troisième problème, quelque peu amer à envisager? Se pourrait-il que la Suisse ne soit pas maître de son destin en ce qui concerne son insertion dans la trame européenne? Attachée à son legs politique et à ses traditions démocratiques, dépendante d'une (bonne) volonté extérieure, la troisième voie ne serait-elle pas un biais permettant de dissimuler l'absence de toute possibilité de choix réel?
De surcroît, la différence de perception de l'unité européenne entre la majorité alémanique et la minorité romande ne fait qu'accroître cette valse hésitation. La quasi totalité des sondages effectués à ce jour, quels que soient leurs méthodes, leurs moyens et leurs instigateurs, a démontré que l'hypothèse de l'adhésion à la Communauté européenne était nettement mieux reçue en Suisse romande qu'en Suisse allemande. Est-ce le risque d'inversion de la polarité entre groupe majoritaire et groupe minoritaire qui fonde les espoirs des uns et les craintes des autres? La Suisse romande est-elle davantage influencée par le discours européen tenu par la France.que ne l'est la Suisse allemande par son voisin germanique? Une telle hypothèse est-elle basée sur une identité culturelle plus intense entre Suisse romande et France qu'elle ne l'est entre Suisse alémanique et RFA? Peut-on évoquer une ouverture d'esprit dissemblable ou la volonté d'une prise en considération plus grande de certains problèmes – tels que l'environnement – négligés actuellement par la Communauté européenne pour expliquer ces attitudes différenciées des deux communautés?
A l'instar de la Suisse, l'Autriche – pays neutre membre de l'AELE – doit faire face à une problématique similaire. Dans ce pays, le désir d'adhésion à la Communauté est fortement soutenu par la grande économie privée qui risque d'être plus ou moins exclue du marché européen en raison de sa faible implantation dans les pays communautaires. En Suisse, ce problème n'existe peu ou prou car les industries importantes sont déjà, pour la plupart, établies hors de nos frontières. Peut-on dès lors dire que cette absence de pression pèse sur l'indécision helvétique? Par contre, les petites et moyennes entreprises qui n'ont pas de telles opportunités et désirent donc promouvoir l'idée de l'adhésion, ont-elles vraiment accès aux moyens médiatiques et aux canaux politiques permettant un tel soutien?
Actuellement, l'on ne peut donc que constater la permanence d'une foison de questions liées à notre intégration européenne, questions pour le moment sans réponse. Deux alternatives sont envisageables: soit la Suisse poursuit et encourage le développement de ses relations avec l'Europe ainsi que la mise en oeuvre de l'ensemble de son potentiel créatif et concurrentiel – nécessaire dans le futur afin de garantir le maximum d'efficacité dans la réalisation de l'option finalement choisie – soit elle s'engage sur le chemin d'un attentisme défavorable à tout dynamisme.
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