Année politique Suisse 1988 : Allgemeine Chronik / Landesverteidigung
Défense nationale et société
Lancée en 1985 par le Groupement pour une Suisse sans armée et soutenue par le Parti du travail, les Jeunes socialistes, les mouvements pacifistes, les Organisations progressistes (POCH) ainsi que par des sections du Parti socialiste, l'initiative "Pour une Suisse sans armée et pour une politique globale de paix" fera à n'en pas douter date dans les annales de la vie politique de notre pays. L'initiative prévoit d'inscrire dans la Constitution fédérale les normes suivantes: la Suisse n'a pas d'armée et il est interdit à la Confédération, aux cantons, aux communes ainsi qu'aux particuliers et groupes privés d'instruire ou d'entretenir des forces armées; la Suisse mène une politique globale de paix qui renforce l'autodétermination du peuple tout en favorisant la solidarité entre les peuples
[1].
Pour le
Groupement pour une Suisse sans armée (GSsA), l'essentiel ne tient pas tant dans le résultat qu'obtiendra l'initiative, toutes les forces politiques s'accordant à reconnaître qu'elle sera balayée par le peuple, que dans les discussions qu'elle peut susciter au sein des instances dirigeantes et de la population. Se prononcer en sa faveur est, de l'avis des initiants, un encouragement pour mettre en mouvement un processus de formation de la conscience visant la transformation politique de la société. Le GSsA demande qu'un débat ait lieu autour d'une institution qui échappe selon lui au fonctionnement de la démocratie et que s'instaure une réflexion sur le rôle et l'utilité de l'armée telle qu'elle est conçue aujourd'hui. Il lui reproche, outre son manque de démocratie, sa collusion avec le capital financier, l'utilisation de la justice militaire en temps de paix et la non reconnaissance du statut d'objecteur de conscience. Il estime qu'il est plus réaliste de s'engager pour la paix que de s'armer contre une menace hypothétique. A ses yeux, l'armée est impuissante contre les vrais dangers tels que la pollution de l'environnement ou les catastrophes écologiques. Un certain nombre de militants pacifistes ont éprouvé un malaise, craignant que les initiants, dans leur volonté de mettre en question l'existence de l'armée, ne préparent en fait un plébiscite en sa faveur et ne lui offrent l'opportunité de renforcer sa légitimité au moment du vote
[2].
Dans son message,
le Conseil fédéral a recommandé le rejet de l'initiative sans lui opposer de contre-projet. Son argumentation s'articule pour l'essentiel autour de la thèse suivant laquelle la suppression de l'armée mettrait en péril la paix au lieu de la sauvegarder. Il a réaffirmé la nécessité de son existence, tant sur le plan national qu'international. Même si au niveau mondial une certaine détente entre les deux blocs semble se dessiner, le Conseil fédéral l'estime fragile et incertaine. Renoncer à maintenir une armée de milice compromettrait à ses yeux la sauvegarde de l'indépendance de la Suisse, l'intégrité de son territoire et la protection de sa population contre des attaques étrangères. Pour le gouvernement, l'armée joue un rôle de ciment entre les diverses cultures et garantit le pouvoir de l'Etat contre des conflits susceptibles de dégénérer en guerre civile. Autre argument avancé, le poids économique de l'armée. Et le Conseil fédéral de rappeler qu'au cours de ces dernières années, la moyenne des commandes de matériel, de constructions ou de services faites par le DMF s'est chiffrée à près de trois milliards de francs par an. La suppression de l'armée se traduirait à court terme par une perte de près de 21 500 emplois. Le Conseil fédéral a également réaffirmé que l'abandon de la production d'armements complexes priverait la Suisse des résultats de nombreux travaux de recherche et réduirait le niveau des produits helvétiques face à la concurrence étrangère. Au sujet de la politique suisse de paix, le Conseil fédéral a rappelé sa conviction que celle-ci devait s'ajouter et non se substituer aux efforts de défense et qu'il n'était pas incompatible de pratiquer une politique active de la paix et de vouloir empêcher la guerre en étant prêt à se défendre. Et de renchérir en ajoutant que la politique de sécurité est le fondement des bons offices de la Suisse, de sa participation aux mesures de sauvegarde de la paix, de la coopération et de l'aide au développement
[3].
Même si l'initiative ne compte que très peu de partisans sous la Coupole fédérale, elle n'en a pas moins suscité de longs et passionnés débats au Conseil national. Ses adversaires, la droite et, avec davantage de retenue, la majorité socialiste, ont mis en exergue le caractère exclusivement défensif de l'armée suisse et ont douté de la reconnaissance de notre neutralité par la communauté internationale si la Suisse était privée du seul moyen de la faire respecter. Ils ont encore souligné que sa suppression serait un manquement à nos engagements internationaux, la neutralité armée impliquant la présence d'une politique de défense. Selon eux, il est illusoire de croire que le désarmement unilatéral d'un petit Etat neutre puisse faire avancer la cause de la paix et avoir un quelconque effet sur l'étranger, notamment sur les grandes puissances.
Les partisans de l'initiative, une minorité de la gauche et des Verts, ont affirmé que le déséquilibre entre les sommes consacrées à l'armée et les rentes AVS inférieures au minimum vital suffisait déjà à justifier son acceptation. Ils ont aussi noté que les changements intervenus dans la situation internationale font que la logique selon laquelle la préparation à la guerre serait la meilleure garantie de paix est devenue un non-sens. Convaincus qu'un conflit en Europe déboucherait sur une apocalypse, la seule attitude responsable consiste, à leurs yeux, dans une politique globale de paix. Et ceux-ci de souhaiter que la Suisse s'engage à inclure son armée dans le processus de désarmement engagé en Europe et qu'elle s'investisse d'une façon plus résolue en faveur de la paix.
Dans un vote par appel nominal, à la demande des partis bourgeois, le
Conseil national a rejeté l'initiative pour une Suisse sans armée et pour une politique globale de paix par 172 voix contre 13 (sept socialistes, les quatre représentants des partis progressistes et deux écologistes) et 7 abstentions (cinq socialistes et deux indépendants). Il a également écarté deux propositions présentées par H. Hubacher (ps, BS). La première visait à compléter l'obligation générale de défense inscrite dans la Constitution par l'adjonction d'un service civil social. La deuxième demandait la création d'un fonds en faveur de l'environnement. La Chambre du peuple a réservé le même sort à une proposition Braunschweig (ps, ZH) qui réclamait l'instauration d'un moratoire de quinze ans en matière d'achats d'armement ainsi qu'à une demande présentée par L. Rebeaud (pes, GE) proposant que la Confédération mène une politique globale de paix définie dans le cadre de la Constitution
[4].
Le Conseil national a rejeté par 119 voix contre 64 une motion, émanant d'une minorité de la commission chargée de l'examen de l'initiative, demandant la création d'un institut de recherche en matière de politique de paix et de sécurité ainsi que pour l'étude des conflits. La majorité de la chambre basse a en effet estimé que la Suisse s'investissait déjà suffisamment dans ce domaine, notamment par l'intermédiaire de la Croix-Rouge, et qu'il existait assez d'instituts de ce genre dans le monde
[5].
L'initiative pour la suppression de l'armée et en faveur d'une politique globale de paix a déjà créé un
certain malaise au sein du Parti socialiste (PSS) entre tenants et adversaires de la défense traditionnelle. Le courant pacifiste du PSS défend la thèse suivant laquelle la suppression de l'armée ne signifie pas un abandon de la défense de la Suisse, mais le développement d'une autre conception de la paix. H. Hubacher, représentant de l'aile modérée, s'est distancé de ce projet, affirmant que son parti ne pouvait pas, sur une question aussi décisive pour le peuple, se laisser entraîner dans une épreuve de force inutile. Et le président du PSS de souligner que l'armée suisse peut compter sur un large soutien populaire, jusque dans les rangs des électeurs socialistes. Les propositions de modifications constitutionnelles contenues dans l'initiative ne répondent pas selon lui aux vraies questions, comme les dépenses militaires ou le service civil. Mais, à l'instar de la majorité du groupe socialiste au Conseil national, il n'a pas pour autant cautionné l'armée dans sa conception actuelle et a interprété l'initiative comme la conséquence de ses structures qu'il juge vétustes et non démocratiques. Pour le PSS, la politique de sécurité signifie non seulement une politique sociale et étrangère, mais aussi une politique plus active de société et d'aide au développement
[6].
[2] GSoA-Zitig, 1988, Nr. 19-27; Friedenszeitung, 1988, Nr. 82 et 88; VO, 10.11.88.
[3] FF, 1988, II, p. 946 ss. Sur la politique de paix et de sécurité cf. supra, part. I, 2 (Principes directeurs et Aide publique au développement).
[4] BO CN, 1988, p. 1709 ss. et 1756 ss.
[5] BO CN, 1988, p. 1710 ss. et 1769 ss. Sur la politique de sécurité et de paix: Bund, 2.3., 3.3., 5.3., 10.3., 15.3., 17.3., 18.3. et 19.3.88. Cf. aussi infra part. I, 8a (Recherche).
[6] Cf. "Schweiz mit oder ohne Armee" et "Diskussion über die Armeeabschaffungsinitiative", in SP-Pressedienst, 16.5. et 13.12.88. Cf. aussi TW, 24.5.88; Lib., 17.9.88; SGT, 19.9.88. Autres positions: Milieux patronaux: SAZ, 1.12.88; RFS, 51/52, 20.12.88. Syndicats: USS, 14.12.88. Position de l'armée: ASMZ, 154/1988, p. 733 ss.
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