Année politique Suisse 1988 : Bildung, Kultur und Medien / Bildung und Forschung / Ecoles obligatoires
La Conférence des directeurs cantonaux de l'Instruction publique (ci-après CDIP) avait, en 1975, recommandé l'enseignement précoce d'une seconde langue nationale et ce dans le but de généraliser en Suisse le bilinguisme, voire le multilinguisme.
La votation zurichoise sur l'enseignement précoce du français en primaire, suscitée par une initiative opposée à cette instruction, était d'une grande importance en Suisse orientale. En raison du poids économique et financier du canton de Zurich, le succès ou l'échec de cette initiative ouvrait ou fermait la porte à l'enseignement du français dans les premiers degrés primaires de bien des cantons de la région où la décision était imminente. L'initiative des opposants zurichois risquait d'entraver le processus d'apprentissage désiré par la CDIP notamment. Leurs arguments résidaient dans la surcharge de travail des élèves (et des maîtres), une sélection renforcée des écoliers bien que cet enseignement fût exempt de toute note et une méthode ludique non adaptée à des enfants de 11 ans, ceux-ci ayant 'dépassé' le stade du jeu. Ils ne s'opposeraient ni au français ni aux Romands mais aux autorités scolaires zurichoises qui avaient décidé, après plusieurs années d'essai, d'avancer le début de l'enseignement du français de la 7ème à la 5ème année scolaire et ce dès 1989. Ses partisans, provenant au départ essentiellement des milieux enseignants, ont été rejoints par certains partis cantonaux. Le parti évangélique craignait que cet enseignement ne se fasse au détriment de l'éducation religieuse. L'Action nationale estimait qu'un tel apprentissage défavoriserait les enfants alémaniques, les petits étrangers ayant soit des prédispositions s'ils sont latins soit des facilités d'acquisition en raison de l'assimilation d'une première langue étrangère. Quelques agrariens pour lesquels un meilleur apprentissage de l'allemand était plus utile et quelques écologistes préférant l'acquisition du 'Züridütsch' et du jardinage ont complété ce groupe.
Il semblerait que la dimension nationale de cette votation ait échappé à bien des initiants. Un tel mouvement ne pouvait que toucher la Suisse romande dans sa sensibilité de minorité et apporter de l'eau au moulin des adversaires de l'allemand en primaire romande. Mais cette émotion n'a pas échappé aux adversaires de l'initiative, comme le gouvernement et le parlement zurichois, bon nombre de partis (PRD, PS, AdI, UDC et verts dans leur majorité), le comité "Pro französisch" présidé par Monika Weber, l'Union des organisations de parents d'élèves, les associations patronales zurichoises, les enseignants de la VPOD et le comité directeur de l'association des maîtres du canton. Si la sensibilité romande fut l'un de leurs arguments, d'autres existèrent parallèlement: éviter l'exclusion du canton, promouvoir la solidarité confédérale, conserver une certaine flexibilité des programmes scolaires, encourager l'apprentissage précoce, car plus aisé, d'une langue.
De surcroît, si les cantons de Suisse centrale et orientale sont les premiers à se plaindre de l'hégémonie économique zurichoise, nombre d'entre eux attendaient le résultat de cette votation pour se prononcer en faveur ou en défaveur du français en primaire. Aussi le rejet massif de l'initiative, par 62,9% de non contre 37,1% de oui, a-t-il été accueilli avec soulagement, notamment en Romandie. Dans le même temps, les Zurichois ont accepté de justesse, par 53,9% des voix, le crédit de 21,5 millions de francs destiné à former les maîtres à l'enseignement du français (cours, séjours en Suisse romande)
[2].
Dans la foulée de ce scrutin, les votants thurgoviens ont refusé à la fois l'initiative allant à l'encontre d'un enseignement précoce du français — par 19 478 non contre 13 529 oui — et le contre-projet proposé par le parlement cantonal — par 16 713 non contre 13 293 oui — demandant que la compétence de cet enseignement, appartenant aujourd'hui à l'exécutif, lui soit attribué
[3].
Dans le canton de
Saint-Gall, l'initiative "pour une école primaire sans enseignement d'une langue étrangère" sera soumise au peuple en juin 1989 mais le gouvernement, le parlement, le PDC, le PRD et une partie des socialistes lui sont opposés en vertu des égards dûs aux minorités et de la coordination scolaire. Ses partisans — une partie des socialistes et l'AdI — ont repris les arguments des initiants zurichois
[4]. Le Conseil de l'éducation de
Bâle-Campagne qui, dans un premier temps, avait refusé de débuter plus tôt l'enseignement du français malgré des expériences concluantes, est revenu sur cette décision de mai 1987
[5]. Dans une situation similaire, le conseil de l'éducation de
Schaffhouse a envisagé les modalités permettant une telle mise en oeuvre
[6]. Le canton d'
Argovie qui, au départ, avait préféré l'enseignement des travaux manuels à celui du français, pourrait aussi réévaluer sa conduite
[7]. Dans le canton de
Lucerne, la consultation organisée sur la forme que prendra cette introduction a partagé, mais sans remettre en cause la décision d'enseignement précoce du français, les milieux enseignants
[8]. Ceux-ci ont posé trois conditions préalables: une réduction de la matière enseignée, une diminution des effectifs des classes et un soutien du projet par les maîtres
[9]. Au stade consultatif, le corps enseignant nidwaldien était en majorité favorable à l'introduction du français à l'école primaire
[10]. Par contre, un questionnaire a démontré que la plupart des maîtres schwyzois se prononçaient contre un tel projet, tout comme leurs collègues uranais mais ceux-ci se sont déclarés prêts à suivre une formation si cet enseignement était introduit
[11].
Si ces différents mouvements rassurent les Romands quant à la solidarité confédérale, ils ne résolvent néanmoins pas les difficultés linguistiques existant entre les deux communautés. Alors que la bataille de l'enseignement précoce du français semble avoir cause presque gagnée, celle du dialect s'est engagée. Déjà lors du débat zurichois sur l'enseignement du français, la section cantonale de l'UDC avait signalé qu'en fait les romands ne reprochaient pas aux alémaniques de ne pas parler français mais plutôt de ne plus parler allemand
[12]. Dans cette optique, le conseil de l'éducation zurichois a demandé que l'emploi du bon allemand soit de règle dès la 3e année primaire. En Suisse centrale, il existerait plusieurs planifications scolaires exigeant une telle utilisation dès la seconde classe
[13]. Si les francophones ont donc quelques raisons d'être satisfaits, que dire des personnes de langue italienne? Afin de compenser cette inégalité de traitement, le député Pini (prd, TI) a proposé au Conseil national, et obtenu, dans un postulat que l'on suggère aux cantons d'enseigner l'italien dans les établissements secondaires supérieurs
[14].
[2] 24 Heures, 2.7. et 26.9.88; Lib., 15.9., 16.9. et 26.9.88; JdG, 17.9. et 26.9.88; Suisse, 18.9.88; AT, 26.9.88; presse du 26.9.88; NZZ, 23.9. et 26.9.88; L'Hebdo, 38, 22.9. et 39, 29.9.88.
[3] SGT, 3.5. et 10.10.88; Suisse, 19.10.88; NZZ, 24.10.88.
[4] SGT, 17.6., 29.9., 21.10., 14.11. et 9.12.88.
[5] BaZ, 27.9. et 3.11.88.
[7] L'Hebdo, 39, 29.9.88.
[8] Vereinigte Schulpflege opposée car il s'agit d'une réforme s'ajoutant à beaucoup d'autres encore mal assimilées (Vat., 29.1.88).
[9] LNN, 26.1.88; Vat.. 21.10.88.
[11] LNN, 9.2. et 14.12.88. Cf. aussi APS 1987, p. 216 s.
[13] Suisse, 8.4.88; LNN, 13.4.88.
[14] BO CN, 1988, p. 1930 s. Cf. infra, part. I, 8b (Das Verhältnis zwischen den Sprachregionen).
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