Année politique Suisse 1989 : Allgemeine Chronik / Schweizerische Aussenpolitik / Europe
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Espace économique européen (EEE)
Désormais, la Suisse est irrémédiablement impliquée dans le processus de rapprochement entre la CE et l’'AELE. L'accélération de ce mouvement est due à une initiative personnelle du président de la Commission des CE, Jacques Delors. Lors d'un discours devant le parlement européen en janvier 1989, il se prononça en faveur de la création d'une forme d'association entre les deux organismes, formulant implicitement le désir communautaire de discussions multilatérales avec les Etats membres d'une AELE renforcée. En décembre 1989, ce processus a abouti, lors d'une réunion à Bruxelles des ministres des deux associations, à la confirmation de la volonté commune de réaliser l'Espace économique européen (EEE). A cette fin, des négociations formelles seront entamées dès le premier semestre 1990. Dans ce contexte, trois objectifs seront visés. Premièrement, la libre circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux. Deuxièmement, le renforcement et l'extension de la collaboration dans les politiques dites d'accompagnement (recherche, environnement, éducation, protection des consommateurs, tourisme notamment). Troisièmement, l'atténuation des disparités économiques et sociales entre les régions de l'EEE. Il conviendra par ailleurs de négocier, aux niveaux juridique et institutionnel, l'élaboration d'une procédure permettant de prendre en considération les points de vue des parties contractantes dans la futúre prise de décrets concernant cet espace économique.
A ce niveau, réside une divergence fondamentale entre la CE et l'AELE, principalement la Suisse. En effet, si la seconde tient à être associée à toute prise de décision concernant l'EEE, la première se refuse à accorder un tel droit de regard, par crainte de la mise en danger de son autonomie. Initialement, l'ensemble des pays de l'AELE semblait intransigeant quant à ce point. Cependant, en décembre, les pays scandinaves n'ont que très mollement insisté sur son maintien, craignant avant tout les risques de marginalisation économique qui pourraient résulter du grand marché intérieur de 1992. Si l'Autriche a soutenu la co-décision, la pertinence de sa position est affaiblie par la priorité qu'elle accorde désormais à son adhésion. Seule la Suisse est demeurée inflexible, ce afin d'éviter la satellisation qui résulterait d'un droit unilatéral de décision. Les désaccords sont donc notables entre la CE et I'AELE et au sein même de cette dernière organisation; ils. ont été mis en évidence lors de la procédure qui a précédé l'accord intervenu en décembre. Il a fallu à l'AELE deux sommets ministériels (Kristiansand (N), les 13 et 14 juin; Genève, les 11 et 12 décembre), une rencontre au niveau des chefs de gouvernement (Oslo, les 14 et 15 mars) ainsi qu'une séance informelle (Genève, le 27 octobre) pour arriver à «parler d'une seule voix» [27].
C'est lors de cette dernière réunion, tenue après la conclusion des discussions exploratoires entamées en mars avec la CE, que les ministres des pays de I'AELE parvinrent à une position commune, laissant volontairement de côté leurs divergences afin d'accorder une priorité absolue à l'EEE [28]. Dès le mois d'octobre, un changement de climat au sein de l'Association européenne fut donc tangible et se traduisit par une cohésion interne accrue ainsi que par une accélération de la dynamique du rapprochement avec la CE. Mais tant à Oslo – où les gouvernants répondirent pourtant favorablement à la proposition Delors – qu'à Kristiansand, les réserves émises principalement par la Suisse quant à la supranationalité de l'AELE firent craindre son éclatement, les nations nordiques accusant la Confédération helvétique de freiner le processus en cours et menaçant de négocier directement avec la CE. Lors du dernier sommet ministériel de Genève en décembre, précédant de quelques jours la rencontre capitale avec la CE, les ministres de l'AELE avalisèrent officiellement l'idée d'un accord global sur l’EEE et admirent que l'acquis communautaire y fût intégré [29].
Pourtant, les futures négociations seront délicates. Pour l'AELE tout d'abord puisque, sectoriellement, ses membres ne souhaitent pas une reprise intégrale de l'acquis communautaire, notamment dans l'environnement – où leurs législations sont plus sévères – et l'agriculture. Pour la Suisse ensuite, puisqu'elle désire maintenir, de surcroît, une autonomie. nationale juridique et décisionnelle dans les politiques des étrangers et des transports, dans l'acquisition d'immeubles (lex Furgler) et dans le droit de la concurrence. Si ces desiderata ont été articulés par J.-P. Delamuraz lors de sa réponse, devant le Conseil national, à l'interpellation urgente du groupe démocrate-chrétien, le chef de l'économie publique a néanmoins clairement certifié la volonté fédérale de participer à l'EEE [30].
Un premier pas a été franchi dans l'obtention d'un consensus en la matière entre les deux organisations puisque, dans leur déclaration finale commune du 19 décembre 1989, la CE et l'AELE ont admis des exceptions éventuelles à la réalisation des quatre libertés de circulation, à condition qu'elles soient justifiées par la sauvegarde d'intérêts fondamentaux [31].
Mais quel que soit la forme future que prendra l'EEE, ce dernier aura des conséquences sur les principes directeurs suisses. Ainsi, il n'épargnera ni le fédéralisme ni la démocratie directe, puisque les droits de référendum et, probablement, d'initiative, seront restreints. Il nécessitera aussi un effort de politique intérieure considérable car, s'il rend obligatoire une vaste adaptation du droit suisse, il devra auparavant être soumis à l'approbation populaire [32]. Selon d'aucuns, c'est dans cette échéance, dans la hantise helvétique d'être satellisée, dans la crainte d'une atteinte à la liberté fondamentale du pays ainsi que dans les divergences subsistant au sein de l’AELE que résident les principales difficultés de la position helvétique dans les futurs pourparlers [33].
 
[27] FF, 1990, I, p. 265 ss.; Rapp.gest. 1989, p. 317 ss.; JdG, 21.1.89 (discours Delors); presse des 11.3., 14.3., 15.3. et 16.3.89 (sommet AELE de Oslo); NZZ, 29.4.89; presse des 14.6., 15.6., 16.6. et 19.6.89 (sommet AELE de Kristiansand); presse du 28.10.89 (séance informelle de I'AELE à Genève); presse des 9.12., 12.12. et 13.12.89 (sommet AELE de Genève).
[28] JdG, 21.10.89 (discussions exploratoires).
[29] Par acquis communautaire, on entend l'ensemble juridique et réglementaire institué par la CE, notamment dans les quatre libertés de circulation.
[30] BO CN, 1989, p. 2215 ss.; presse du 16.12.89.
[31] Presse des 20.12. et 23.12.89 (rencontre CE-AELE à Bruxelles).
[32] Cf. Lit. Kellenberger; L'Hebdo, 21.9. (interview R. Felber), 28.12. (interview J: P. Delamuraz) et 21.12.89.
[33] JdG, 20.12.89.