Année politique Suisse 1989 : Infrastruktur und Lebensraum / Energie
Energie nucléaire
La
problématique de l'effet de serre tend à relancer le débat sur l'énergie nucléaire. C'est en effet la seule source rentable d'énergie n'émettant pas de CO2. Est-ce à dire que si l'on veut éviter, à terme, un bouleversement des équilibres climatiques et des écosystèmes, la technologie nucléaire est inévitable? Cette hypothèse semblerait être quelque peu contestée par deux études américaines démontrant que si le nucléaire est susceptible de contribuer à diminuer les émissions de CO2 dans une proportion de 10 à 14%, les économies d'énergie le peuvent également mais dans une mesure de 30 à 50%
[12].
L'option nucléaire semble néanmoins être confortée par l'adoption, par le Conseil des Etats, de la proposition du Conseil fédéral quant à la prorogation de dix ans de l'actuel arrêté concernant la loi sur l'énergie atomique. Officiellement, les raisons de cette prolongation sont à rechercher d'une part dans les importantes échéances en matière de politique énergétique nécessitant la fixation de priorités et, d'autre part, dans la disparition d'une série de normes fondamentales (autorisation générale, clause du besoin et garantie de l'élimination des déchets radioactifs) en cas de non renouvellement
[13]. Mais, officieusement, les divergences d'opinion tant politiques que populaires réduisant à néant toute tentative consensuelle auraient considérablement retardé les travaux concernant le projet de nouvelle loi sur l'énergie nucléaire
[14]. Par ailleurs, le conseiller national Günter (adi, BE) a déposé une initiative parlementaire qui vise à compléter l'actuelle loi sur l'énergie atomique par des dispositions transitoires interdisant au Conseil fédéral d'octroyer des autorisations de construction ou d'exploitation d'installations nucléaires
[15].
Les deux Chambres
ont définitivement accepté l'arrêté fédéral entraînant l'abandon de la construction de la centrale nucléaire de Kaiseraugst (AG) et
dédommageant, à raison de 350 millions de francs, ses promoteurs. Néanmoins, les débats ont été controversés au Conseil national. En effet, cinq propositions de renvoi ou de non-entrée en matière furent déposées. La suspension des délibérations jusqu'au traitement, par les Chambres, de l'arrêté fédéral sur les économies d'énergie, le réengagement de pourparlers avec la société Kaiseraugst SA afin d'obtenir une solution financière plus favorable à la Confédération, une indemnité symbolique d'un franc et la demande d'un projet global d'abandon de Kaiseraugst, Graben et Verbois forment quelques-unes des raisons invoquées par les déposants. Ces textes ont tous été refusés, notamment en vertu du facteur temps — chaque retard dans le règlement de ce problème en accroissant les coûts — et de la volonté de solutionner ce dossier afin de débloquer la politique de l'énergie. L'éventualité d'un procès judiciaire et la nécessité d'une certaine solidarité entre les consommateurs desservis par les sociétés partenaires de Kaiseraugst et les autres citoyens suisses ont aussi participé à la détermination du Conseil fédéral dans la conclusion rapide de ce dossier. Parmi les partisans de l'accord figurent la plupart des partis bourgeois, à l'exception du PLS qui s'est abstenu en raison de l'arbitraire entachant la forme juridique choisie pour cette convention. Le parti socialiste, divisé entre le devenir des projets d'économies d'énergie et un prompt dénouement de cette problématique, se prononça finalement en sa faveur, tout comme une majorité d'indépendants
[16].
De leur côté, les organisations anti-nucléaires firent savoir qu'elles ne feraient pas usage de la possibilité de référendum contre les compensations financières prévues
[17]. En réponse à l'interpellation du conseiller national Keller (pdc, AG), demandant une indemnisation spécifique du canton d'Argovie, le gouvernement a précisé que seule la société promotrice Kaiseraugst SA serait dédommagée car c'est elle qui a assumé la responsabilité juridique du projet
[18].
Le redémarrage du surgénérateur Superphénix de
Creys-Malville (F), après un arrêt de plusieurs mois dû à une défectuosité du barillet destiné au transit et au stockage du combustible, a suscité les plus vives craintes, parmi la population genevoise. Si le troisième rapport des experts de la Confédération a conclu que les risques d'incidents graves n'étaient pas plus élevés avec ce surgénérateur qu'avec un réacteur moderne à eau légère, les résultats de l'expertise du professeur Benecke, commanditée par les opposants, tendent à démontrer que les dangers d'accident à Creys-Malville ont été sous-évalués. De son côté, Carlo Rubbia, directeur du CERN et prix Nobel de physique, a émis des doutes quant à la généralisation de la technologie des surgénérateurs
[19].
Choqués par cette remise en fonction très rapide, les Genevois ont été par ailleurs déçus de l'attitude du gouvernement fédéral en la matière. En refusant d'élargir le groupe d'experts suisse à des scientifiques mandatés par les organisations de protection de l'environnement, en avisant le gouvernement cantonal de ce redémarrage par simple transmission d'un communiqué de presse, le Conseil fédéral a heurté tant les opposants à Creys-Malville que les autorités genevoises. Suite au débat du Conseil national suscité par l'interpellation urgente du groupe écologiste, Adolf Ogi – pour ainsi dire accusé d'avoir sacrifié les intérêts genevois à ceux de la politique étrangère – a reçu, dans un geste de conciliation, les professeurs Benecke et Rubbia. Mais il reste clairement établi que le gouvernement helvétique ne veut ni ne peut intervenir directement dans la politique énergétique française
[20].
Le Conseil fédéral et la commission énergétique du Conseil national ont rejeté, sans contre-projet, les deux initiatives antiatomiques. Celle dite du
moratoire, lancée par les organisations antinucléaires du nord-ouest de la Suisse, vise à empêcher pendant dix ans toute autorisation générale de construire, de mettre en service ou d'exploiter de nouvelles centrales. La seconde – «Pour un abandon progressif de l'énergie atomique» – initiée par le parti socialiste suisse, souhaite l'interdiction tant de la mise en service de nouvelles installations que du renouvellement des unités existantes. Pour le gouvernement, l'acceptation de la première initiative susmentionnée mettrait en péril le maintien de l'option nucléaire, retarderait tous les projets de centrales y compris ceux ayant trait à des équipements classiques (c'est-à-dire non nucléaires) et n'offrirait aucune garantie quant à la prise de mesures d'économies d'énergie. L'acception du second texte cité entraînerait, selon le Conseil fédéral, des répercussions négatives sur la compétitivité internationale de l'économie helvétique ainsi que l'abandon d'une technique offrant moins de risques pour la santé et l'environnement que les agents fossiles. De surcroît, elle risquerait de déclancher une épreuve de force politique lors de l'élaboration de la législation d'exécution
[21].
La commission du Conseil national, si elle a également refusé ces deux initiatives, ne l'a pas fait à l'unanimité. Une scission s'est en effet établie entre membres des partis bourgeois, rejettant les deux textes, et ceux de la gauche, les acceptant. Les adversaires des deux intiatives ont repris l'argument de l'efficacité du nucléaire contre l'effet de serre mais se sont néanmoins montrés conscients des problèmes posés par la construction de nouvelles centrales. Les partisans ont, quant à eux, argué du scénario d'abandon – élaboré en 1988 par le groupe d'experts sur les scénarios énergétiques – pour appuyer leur prise de position
[22].
Le Conseil des Etats a ratifié
l'accord de coopération entre la Suisse et la France concernant l'utilisation de l'énergie nucléaire à des fins pacifiques. Remplaçant un traité conclu en 1970, il réglera les opérations du cycle du combustible, la production d'isotopes, la recherche scientifique et technique ainsi que la sécurité et la protection nucléaires. Par contre, les livraisons d'uranium enrichi, de plutonium ainsi que celles d'installations d'enrichissement, de retraitement ou de fabrication d'eau lourde ne sont pas gérées par ce texte. De surcroît, la France étant dotée de l'arme nucléaire, le contrôle international des équipements sensibles et les conditions de non-prolifération pour certains biens ne sont pas compris dans l'accord
[23].
De telles restrictions n'existent pas dans le traité signé avec le
Canada et accepté par le Conseil national. Déjà approuvé en 1988 par la chambre haute, il permet principalement un élargissement des sources d'approvisionnement helvétiques en uranium. Certains conseillers nationaux – socialistes et écologistes principalement – se sont opposés à ce texte en raison de leur hostilité au nucléaire, des problèmes environnementaux connus dans la région canadienne des mines ainsi que par ceux vécus par les populations indiennes autochtones
[24].
Après un examen des activités du gouvernement et de l'administration fédérale suite à la catastrophe de
Tchernobyl, la commission de gestion du Conseil national est parvenue à plusieurs conclusions. Elle estime que la décision quant à la dose de radiation à partir de laquelle l'intervention officielle devient nécessaire ne devrait pas être du ressort des experts mais des autorités politiques. Par ailleurs, le parlement devrait se limiter à l'énonciation des principes selon lesquelles les normes et mesures seront élaborées. La commission souhaite également que l'information de la population soit harmonisée sur le plan international et qu'elle réponde aux besoins des citoyens sur le plan national. La chambre basse a, à cet effet, transmis un postulat de ladite commission visant à une harmonisation mondiale de la radioprotection par le biais d'une uniformisation des bases de mesurage et des méthodes de détermination en cas d'augmentation de la radioactivité
[25].
La commission du Conseil national a accepté la nouvelle loi fédérale sur la radio-protection, suivant en cela la décision du Conseil des Etats prise en 1988. Si elle a introduit quelques précisions quant à certaines notions, elle s'est distancée de la version de la chambre haute en proposant un contrôle plus sévère de l'utilisation des radiations en médecine
[26].
Les souhaits du député Weder (adi, BS) ayant trait à l'information de la chambre basse quant aux observations faites en matière de radioprotection, à l'encouragement des études scientifiques sur les effets des faibles doses et sur les synergies entre radiations et toxiques de l'environnement ont été pris en compte puisque ces points de son postulat ont été transmis par le Conseil national
[27].
Près de 1600 oppositions ont été adressées à l'Office fédéral de l'énergie à l'encontre des autorisations octroyées à la CEDRA quant au creusement de galeries de sondage relatives à un dépôt de déchets faiblement et moyennement radioactifs au Bois de la Glaive (VD), à l'Oberbauenstock (UR) et au Piz Pian Grand (GR). Environ 1500 d'entre elles proviennent des Grisons et des régions tessinoises voisines, 47 d'Ollon (où se situe le Bois de la Glaive) et 11 d'Uri
[28].
L'antagonisme toujours aussi tranché de la commune vaudoise d'Ollon à tous travaux de la CEDRA sur son sol a provoqué des réactions de la part des autorités cantonales des autres sites concernés
[29]. Sachant que les prospections n'ont pas atteint le même niveau de développement sur les trois emplacements prévus, le gouvernement uranais s'est élevé contre la requête de la CEDRA concernant l'Oberbauenstock, car il estime nécessaire d'une part une évaluation de tous les lieux sur la base de travaux comparables et, d'autre part, le respect du principe de la simultanéité
[30]. L'exécutif grison s'est également opposé aux projets de la CEDRA sur le site du Piz Pian Grand
[31]. Les initiatives déposées par les opposants au projet de dépôt du Wellenberg (NW) – 4e site envisagé par la CEDRA afin de stocker les déchets faiblement et moyennement radioactifs à courte durée de vie – ont été déclarées incompatibles avec le droit fédéral et donc irrecevables par les autorités cantonales. Elles auraient permis à la Landsgemeinde d'être compétente dans l'attribution des. autorisations relatives à l'utilisation du sous-sol et auraient soumis l'exploitation des installations atomiques se trouvant dans des galeries ou cavernes à un devoir de concession
[32].
Le
dépôt intermédiaire de déchets hautement et moyennement radioactifs à longue durée de vie prévu à l'Institut Paul-Scherrer (commune de
Würenlingen, AG) sera construit. Ainsi en ont décidé tant les citoyens qui ont accepté la construction d'un tel lieu de stockage lors d'une votation, que l'assemblée communale, qui a admis la convention réglant les dédommagements versés à la commune. La Confédération et les sociétés responsables des centrales nucléaires suisses, qui y entreposeront leurs résidus, se sont engagées à verser annuellement, pendant 25 ans, 815 000 francs à la commune de Würenlingen ainsi que 585 000 francs de paiements compensatoires aux communes avoisinantes
[33].
[12] Etudes du Rocky.Mountain Institute (Colorado) et du Worldwatch Institute (Washington) citées par L'Hebdo du 23.11.89; cf. JdG, 15.6.89.
[13] Dans ce cas serait à nouveau en vigueur l'ancienne loi sur l'énergie atomique, datant de 1959 et ne comprenant pas ces dispositions.
[14] FF, 1989, II, p. 283 ss.; BO CE, 1989, p. 664; Suisse, 4.5. et 8.5.89.
[15] Délib. Ass. féd., 1989, IV, p. 21.
[16] BO CE, 1988, p. 865 ss. et 1989, p. 170; BO CN, 1989, p. 288 ss. et 645; FF, 1989, I, p. 993. Cf. aussi APS 1988, p. 131 s. et presse du 9.3.89. Arrêté adopté à l'unanimité au CE, par 107 voix contre 30 au CN.
[18] BO CN, 1989, p. 606.
[19] Presse du 13.1.89; Suisse, 16.2., 2.3., 24.3. et 29.11.89; presse du 18.4.89 (rapport des experts de la Confédération); L'Hebdo, 22.3.89.
[20] BO CN, 1989, p. 481 ss. (interpellation urgente écologiste et débat) et 492 ss. (postulat Longet (ps, GE) sur l'extension du groupe d'experts).
[21] FF, 1989, II, p. 1 ss.; JdG, 20.4.89.
[22] Initiative du moratoire rejetée par 12 voix contre 7; initiative de l'abandon rejetée par 14 voix contre 7. LNN, 20.4.89; NZZ, SZ, et TW du 31.10.89 (travaux de la commission); cf. aussi APS 1988, p. 130 s. (scénarios).
[23] FF, 1989, II, p. 649 ss.; BO CE, 1989, p. 703 s. ; TW, 25.5.89; NZZ, 5.12.89. Le CE a ratifié cet accord par 33 voix contre 3. Les quelques oppositions sont venues notamment de la députée Bührer (ps, SH), en raison de ses objections à l'égard du nucléaire et de Creys-Malville.
[24] BO CN, 1989, p. 556 ss.; BaZ, 18.3.89. Accord adopté par 100 voix contre 45. Cf. aussi APS 1988, p. 134.
[25] FF, 1989, I, p. 671 ss.; BO CN, 1989, p. 1143.
[26] TW, 1.11.89. Cf. APS 1988, p. 134.
[27] BO CN, 1989, p. 1144 s.
[28] APS 1988, p. 134 s. et 24 Heures, 17.5.89.
[29] LM, 8.12. et 14.12.89; 24 Heures, 9.12. et 12.12.89. La commune d'011on a refusé une solution politique proposée par le Conseil d'Etat vaudois. Celle-ci aurait substitué à la CEDRA un organisme neutre afin de mener les travaux préliminaires.
[30] Suisse, 21.3.89; TW, 22.3.89.
[32] TW, 17.1.89; LNN, 1.2.89; Vat. et BaZ du 9.2.89.
[33] LNN, 23.3.89; Suisse, 25.6.89; AT, 27.11.89 (Accepté par le peuple par 51,6% de oui).
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