Année politique Suisse 1990 : Allgemeine Chronik / Schweizerische Aussenpolitik / Principes directeurs
Le 2 août 1990, les troupes irakiennes envahissaient le Koweït. Faisant suite à plusieurs interpellations parlementaires urgentes, le Conseil fédéral explicita, par le biais des interventions de R. Felber et J.-P. Delamuraz devant les Chambres, sa position par rapport à la
crise du Golfe persique
[1]
.
Le 2, puis le 7 août, le gouvernement condamna cette invasion. Après que le Conseil de sécurité de l'ONU eut adopté, le 6, la résolution 661, l'exécutif promulgua, le 7, une ordonnance prescrivant,
de manière autonome, des mesures économiques envers l'Irak et le Koweït. Ainsi, pour la première fois de son histoire, la Suisse participait pleinement à des sanctions décidées par une organisation internationale. Tout commerce avec ces deux pays fut donc prohibé, de même que toutes les transactions financières, que ce soit avec les gouvernements, les entreprises ou les citoyens de ces deux Etats
[2]. Des
exceptions furent néanmoins prévues pour les acheminements de médicaments et de denrées alimentaires au titre de l'aide humanitaire
[3]
. En vertu de cela, des autorisations extraordinaires d'exporter à destination de l'Irak furent accordées par le DFEP, pour une valeur totale de 23 millions de francs
[4].
Dans son analyse de la situation, le gouvernement arriva à la conclusion que la prise de sanctions économiques n'allait pas à l'encontre de la
politique helvétique de neutralité et ce, pour deux raisons. Premièrement, l'Irak a sciemment violé les règles du droit international. Deuxièmement, la condamnation de cet Etat par la communauté des nations a été quasi unanime. Dans ce contexte, la Suisse ne pouvait, selon l'exécutif, rester à l'écart et faire abstraction de la
solidarité internationale. Un tel comportement aurait, en effet, pu être interprété comme une approbation tacite de la politique irakienne
[5]
. Lors de sa deuxième intervention devant la grande chambre, en décembre, le conseiller fédéral ne laissa guère planer de doutes quant à l'éclatement probable d'un
conflit armé, notamment en raison de la résolution prise à fin novembre par le Conseil de sécurité de l'ONU, autorisant les membres de l'organisation à utiliser tous les moyens nécessaires pour faire appliquer les décisions prises antérieurement. Il estima qu'une telle éventualité aurait des répercussions sur l'approvisionnement helvétique, avant tout sur celui pétrolier, ainsi que sur la sécurité de l'Etat, des actions terroristes diverses ne pouvant être exclues
[6]
.
Avant l'éclatement de cette crise, une centaine de Suisses résidaient au Koweït et septante en Irak. Lorsqu'elle se déclencha, une grande partie d'entre eux était en vacances hors de ces deux pays. Dans un premier temps, 37
ressortissants helvétiques réussirent à quitter la région en août déjà, via la frontière turque. Au début de l'automne, six Suissesses et leurs enfants purent également partir d'Irak. A fin septembre demeuraient dans cet Etat 87 citoyens suisses, dont plusieurs double-nationaux, retenus contre leur gré. Cette
politique des otages donna lieu à une ferme condamnation de ce pays par l'exécutif fédéral. Dans une troisième phase, tous les Suisses détenus en Irak furent, à mi-décembre, libérés et rapatriés
[7]
.
Les autorités helvétiques durent entreprendre un grand nombre de démarches afin d'arriver à un tel dénouement, sans toutefois atteindre un résultat immédiatement tangible. Elles eurent ainsi divers contacts avec des représentants de nations ainsi qu'avec des intermédiaires susceptibles d'être utiles. Elles tentèrent également d'intervenir auprès des autorités irakiennes et envisagèrent même l'envoi d'une mission humanitaire officielle composée de parlementaires à Bagdad. Elles renoncèrent cependant à cette idée après avoir consulté les différents partis politiques
[8]. Le Conseil fédéral, la commission des affaires étrangères du Conseil national et les quatre grands partis ne s'opposèrent cependant pas à la constitution et au voyage d'une mission privée à Bagdad, bien que les deux premiers organes eussent exprimé certaines réticences, notamment en raison des décisions prises par le Conseil de sécurité des Nations Unies
[9]. Au sein de cette délégation furent représentées plusieurs formations politiques puisqu'elle fut coordonnée par le conseiller national E. Oehler (pdc, SG) et comprit les députés J. Ziegler (ps, GE), à l'origine de l'idée, F. Jaeger (adi, SG) et M. Pini (prd, TI) ainsi que le vice-chancelier du canton de Glaris E. Wettstein (udc). Son but, humanitaire, était de ramener les captifs helvétiques retenus en Irak. Partie en novembre, elle eut des entretiens avec les autorités irakiennes ainsi qu'avec Saddam Hussein lui-même. Elle réussit à revenir avec seize ressortissants helvétiques ainsi que vingt occidentaux, huit citoyens suisses n'ayant pas été autorisés à quitter l'Irak
[10].
Elle suscita, avant son départ, bien des réactions, dont celle du secrétaire d'Etat du DFAE K.
Jacobi qui, en estimant publiquement son poids politique insuffisant, se fit tancer par le gouvernement
[11]. Ce dernier ne découragea pas cette mission et mit à son service la logistique diplomatique suisse à Bagdad, recommandant cependant à cette dernière la plus grande retenue dans toute démarche politique auprès des autorités irakiennes. Il semble que cette offre fût à l'origine de quelques difficultés et guère utilisée par la délégation. L'ensemble de ce processus donna lieu à des critiques à l'encontre du gouvernement, du DFAE, de son secrétaire général ainsi que de l'ambassadeur en poste à Bagdad, toutes réfutées par R. Felber
[12]
.
Lors de ses différentes interventions devant les Chambres, R. Felber décrivit également l'aide
humanitaire apportée par la Confédération en faveur des personnes déplacées à cause du conflit. Cette aide fut relativement conséquente — 10 millions de francs — et regroupa les forces de plusieurs organisations dont le CICR, la Ligue des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge mais aussi le Corps suisse d'aide en cas de catastrophe et la Direction pour l'aide humanitaire et la coopération technique (DDA). Parmi les actions entreprises figurèrent notamment des dons à ces différents organismes ainsi qu'un soutien aux victimes bloquées en Jordanie (financement du rapatriement par avion, aides sur le terrain). La Suisse désire aussi, selon le conseiller fédéral, participer à l'aide internationale qui sera probablement octroyée aux trois pays directement touchés par la crise du Golfe persique (Egypte, Jordanie, Turquie) afin de compenser leurs pertes économiques
[13].
Le chef du DFAE n'omit cependant pas de mentionner la responsabilité des pays industrialisés — y compris la Suisse — dans cette impasse, notamment par leurs
exportations de technologies avancées ou
d'armes. Une meilleure appréciation dans ces livraisons s'imposerait donc, selon le conseiller fédéral, ainsi qu'une plus grande prise en considération, dans ce domaine, des principes des droits de l'homme et de la possibilité de suspendre des autorisations déjà délivrées
[14]. Depuis l'automne 1980, les exportations d'armes à destination de l'Iran et de l'Irak sont, en Suisse, strictement interdites
[15].
En ce qui concerne les
ventes non militaires de la Suisse dans cette zone, J.-P. Delamuraz se voulut rassurant en spécifiant que les échanges, tant avec l'Irak qu'avec le Koweït, étaient relativement restreints
[16]. Environ 200 entreprises seraient, selon les premières estimations, touchées par les sanctions.économiques prises. Pour le moment, les autorités fédérales n'entendent pas, selon J.-P. Delamuraz,
indemniser ces industries endehors des possibilités offertes par la garantie contre les risques à l'exportation GRE) et la loi sur l'assurance-chômage
[17] .
Dans les deux Chambres, la plupart des parlementaires et des groupes félicitèrent, lors des débats, le gouvernement pour la rapidité de sa réaction. Bien qu'ayant accepté la prise de sanctions économiques, certains d'entre eux soulignèrent le changement intervenu, par cette action, dans la politique de neutralité de la Suisse
[18]. Lors des discussions menées au Conseil national, la question de l'appartenance à l'Organisation des Nations Unies se posa à nouveau
[19].
[1] BO CN, 1990, p. 1508 ss. et p. 2406 ss.; BO CE, 1990, p. 837 ss. (interpellations urgentes des commissions des affaires étrangères et économiques, des groupes PL, UDC, PS, Adl, PE ainsi que des députés Fischer (prd, AG), Müller (prd, ZH), Günter (adi, BE) et Ruf (ds, BE)).
[2] RO, 1990, p. 1316 ss.; presse des 7-11.8. et 11.9.90; Ww, 16.8.90; BZ, 23.8.90; JdG, 26.9.90; NZZ, 14.11.90.
[4] FF, 1991, 1, p. 396 et 399 s.; NZZ, 20.9. et 26.9.90.
[5] BO CN, 1990, p. 1508 ss. et 2406 ss.; BO CE, 1990, p. 837 ss. Presse des 22.9. et 25.9.90 (débats au CN).
[7] Presse des 23.8., 24.8., 30.8., 31.8., 3.9., 4.9., 10.9. et 27.9.90; Suisse, 24.8., 27.8., 7.12. et 10.-14.12.90.
[8] JdG, 21.8.90; presse du 22.8.90; Suisse, 28.8.90;
presse des 23.-25.10.90 (mission humanitaire).
[10] Presse des 9.11., 10.11., 12.-15.11. et 19.-24.11.90.
[11] Bund et Suisse, 13.11.90; JdG, 15.11.90; SGT, 16.11.90; presse du 28.11.90.
[12] BO CN, 1990, p. 2412.
[14] A ce titre, cf. APS 1989, p. 69 pour les mesures prises à l'encontre de la Chine.
[15] Le conflit entre ces deux Etats a débuté à cette époque.
[16] Les chiffres de 1989 font état d'importations pour des sommes de 1,75 millions et 2,3 millions de francs en provenance respectivement de l'Irak et du Koweït'ainsi que des exportations pour 300 et 94 millions de francs à destination de ces deux pays.
[17] Aucune base légale spécifique n'existe afin de procéder à de tels dédommagements; Suisse, 26.9.90 (pour le nombre d'entreprises touchées).
[18] BO CN, 1990, p. 1508 ss. Notamment les groupes PRD, AdI/PEP, PDC, UDC et PS.
[19] BO CN, 1990, p. 1508 ss.; BO CE, 1990, p. 837 ss.; presse des 25.9. et 15.12.90. Cf. infra, Organisations internationales.
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