Année politique Suisse 1990 : Allgemeine Chronik / Landesverteidigung / Défense nationale et société
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Commission d'enquête parlementaire DMF (CEP II)
Le 12 mars 1990, la CEP II fut instituée à la suite de la découverte, par la CEP I, de fichiers au DMF et de certaines informations, parues dans la presse alémanique, . ayant trait aux fichiers susmentionnés ainsi qu'à l'éventuelle existence d'une armée secrète de résistance [2] . Les débats du Conseil national concernant la création de cet organe firent apparaître une scission entre, d'une part, les groupes socialiste, écologiste, indépendant-évangélique et le parti du travail et, d'autre part, les partis bourgeois. Les premiers voulurent non seulement que l'on crée une CEP II mais aussi qu'on lui attribue un mandat très étendu, portant sur l'ensemble de la gestion du DMF. Les seconds, plus réticents à l'idée de la mise sur pied d'une seconde commission d'enquête (à l'exception du PDC), obtinrent une nette limitation de la procuration: celle-ci, à l'issue des débats parlementaires des deux Chambres, fut limitée dans le temps (pas de rétroactivité) et dans l'espace (pas d'examen de la gestion du DMF mais des seules activités liées aux renseignements, à la sécurité et aux fichiers). Dans les deux Conseils, la question d'un mandat octroyé aux commissions de gestion plutôt qu'à un organe extraordinaire se posa, mais le souci de rétablir la confiance populaire ainsi que la plus vaste latitude d'action du second mentionné firent renoncer à cette possibilité [3] . Composée de 10 membres (cinq députés de chaque chambre), la CEP II fut présidée par le sénateur Schmid (pdc, AI) et compta dans ses rangs un membre de la CEP I, la conseillère aux Etats Bührer (ps, SH) [4].
Le rapport de la commission, rendu public le 23 novembre [5], dénonça l'existence, au sein du DMF, de deux zones d'ombre créées en dehors de toute base légale et de tout contrôle politique institutionnel: l'organisation d'encadrement de la résistance, ou P-26, et le service de renseignements extraordinaire, ou P-27. Tous deux furent financés par des ressources provenant des rubriques de crédit du DMF et dotés de conseils consultatifs composés de parlementaires en activité ou à la retraite ainsi que d'indépendants (Groupe 426 pour la P-26 et Konrat pour le P-27). Le problème soulevé par la double appartenance à une assemblée populaire et à un organe secret fut illustré par les difficultés rencontrées par le député Stappung (ps, ZH) lorsqu'il avoua être membre du groupe 426 [6].
La P-26 fut dirigée par un juriste de 58 ans, Efrem Cattelan, alias Rico, alors que le P-27 le fut par Ferdinand Knecht, colonel de milice, alias James. Ces deux "projets (P)" étaient issus de l'organisation conçue dans les années septante par le colonel Bachmann. Cependant, l'histoire de la P-26 — par ailleurs "explicitement" fondée dans sa mission actuelle en 1981 par le chef de l'Etat-major général Jörg Zumstein — est antérieure puisqu'elle remonte au postulat Jaeckle de 1956. Dotée en hommes (400 personnes mais effectif théorique de 800) et en armes (quelques centaines de pistolets-mitrailleurs, de pistolets et de fusils spéciaux ainsi que des grenades et des explosifs), la P-26 constituait, aux yeux de la CEP II, un danger potentiel pour l'ordre constitutionnel du pays car les autorités politiques n'en avaient pas le contrôle effectif. Le P-27, mis sur pied à partir de 1980, procédait notamment à la récolte de renseignements à l'étranger, théoriquement par le biais de méthodes nonconventionnelles, au traitement de ces informations ainsi qu'à des écoutes radio [7].
La CEP II conseilla, dans ses conclusions, une légalisation de ces domaines, voire le démantèlement de la P-26, souhait que le Conséil fédéral réalisa en proclamant la dissolution, le 14 novembre, de la P-26 et, le 12 décembre, du P-27, cette dernière résultant de la divulgation du nom de sonchef [8].
La CEP II fut, par ailleurs, confrontée à l'existance de nombreux fichiers au sein du DMF, dont l'un des plus "délicats" était celui de la Section services de sécurité militaires (SSM). Composé d'un élément principal de près de 8000 fiches et de deux collections de dossiers annexes moins conséquentes, il était principalement constitué d'informations sur des membres de l'armée ou des employés du DMF ayant fait l'objet d'un contrôle de sécurité. Cependant, des particuliers, des femmes (de l'ex-Service complémentaire féminin (SCF), aujourd'hui Service féminin de l'armée (SFA)) ainsi que des personnes sans lien avec l'armée ou le DMF furent également fichés. Selon la commission d'enquête, cette banque de données ayant été mise sur pied sans base légale claire et sans directives satisfaisantes, son maintien ne se justifie pas [9].
La CEP II, ayant vu son mandat élargi par l'attribution, par les Bureaux des Conseils, de la pétition demandant une nouvelle évaluation de l'affaire Jeanmaire, décida, à ce propos, de rendre un rapport distinct dans le courant de 1991. Rappelons que le brigadier Jean-Louis Jeanmaire fut condamné à 18 ans de réclusion pour trahison en 1977. Après avoir purgé les deux tiers de sa peine, il fut libéré; deux demandes de révision de son procès, en 1984 et 1986, échouèrent [10].
Lors des débats parlementaires sur ce rapport, toutes les propositions de la CEP II furent acceptées, comme elles le furent, auparavant, par le gouvernement. Ainsi en alla-t-il donc de l'initiative parlementaire demandant la création d'une délégation spéciale des deux Conseils chargée de contrôler les activités de l'administration liées aux renseignements et subordonnées au maintien du secret. En mars, la chambre basse avait transformé en postulat une motion Günter (adi, BE) demandant une surveillance similaire [11]. Ainsi en alla-t-il aussi de plusieurs motions exigeant des vérifications de sécurité dans le domaine militaire, l'examen des conventions de sauvegarde du secret et celui des relations de la P-26 avec l'étranger. Huit postulats furent également transmis, ayant trait notamment à la création d'un service de renseignement stratégique indépendant du DMF, à la suppression du cumul des fonctions de chef de la Police fédérale et de la Division sécurité, à l'interdiction, pour certaines divisions du DMF, de se livrer à des activités de surveillance en Suisse et à l'examen des relations réciproques des organes de contrôle. Au Conseil des Etats, le débat mit en évidence un clivage entre les radicaux, les démocrates du centre et les libéraux, minimisant la portée du rapport et justifiant ses découvertes les plus probantes par la guerre froide, les démocrates-chrétiens, ayant adopté une distance critique et les socialistes, indignés [12]. Au Conseil national, où plus de cinquante orateurs prirent la parole, une scission semblable apparut entre la gauche et les écologistes qui, très sévères à l'égard de Kaspar Villiger, s'en prirent aux hauts fonctionnaires du DMF, et la droite qui réitéra son soutien au conseiller fédéral et souligna la responsabilité conjointe du gouvernement et du parlement [13].
Dans son avis sur le rapport de la CEP II, le Conseil fédéral insista sur la nécessité de tenir compte du contexte de l'époque ayant vu la création des organismes mentionnés, à savoir celui de la guerre froide. Il stipula par ailleurs que le parlement, depuis le rapport du groupe de travail Bachmann des commissions de gestion en 1981, devait avoir conscience des exigences contradictoires existant entre la sauvegarde du secret et le besoin d'un contrôle législatif. S'il reconnut qu'une activité de surveillance, à l'intérieur du pays, par le service de renseignements militaire était inadmissible, il nota néanmoins que le rapport de la CEP II ne confirmait pas l'hypothèse initiale d'un espionnage systématique de citoyens et d'organisations suisses [14]. Par contre, il demeura emprunté quant à l'utilisation du "trésor de guerre" constitué par la P-26, s'élevant à quelque six millions de francs. Dans un premier temps, il envisagea de l'attribuer à la Croix-Rouge mais aucune suite concrète immédiate ne fut donnée à cette suggestion [15] .
 
[2] FF, 1990, 1, p. 1541 s. Informations parues dans le TA et le Schweizer Illustrierte: LM, 14.2.90; 24 Heures, 27.2.90. Pour CEP I, cf. APS 1989, p. 32 ss. et supra, part. I, lb (Staatsschutz).
[3] BO CE, 1990, p. 89 ss.; BO CN, 1990, p. 303 et 323 ss.; NZZ et BaZ, 28.2.90; TW, 8.3.90; presse des 9.3. et 13.3.90; Suisse, 14.3.90; USS, 10, 14.3.90.
[4] Presse du 14.3.90.
[5] Rapport de la commission d'enquête parlementaire (CEP DMF), "Evénements survenus au DMF", in FF, 1990, III, p. 1229 ss.
[6] 24 Heures et NZZ du 21.3.90.
[7] Dans les faits, de telles méthodes non-conventionnelles semblent ne pas avoir été utilisées.
[8] Presse des 24.11. et 29.1 1.90 (nom des chefs des P-26 et 27); L'Hebdo, 29.11.90; presse du 13.12.90 (dissolution).
[9] FF, 1990, III, p. 1229 ss.
[10] Suisse, 11.10.90; cf. APS 1976, p. 38, 47, 150 et 178 et 1977, p. 42, 49 et 152.
[11] BO CN, 1990, p. 212 s. et 238; L'Hebdo, 27.9.90. Signalons que le groupe radical a déposé une initiative parlementaire demandant la création d'une délégation à la sécurité chargée de surveiller les activités des organes de renseignement: Délib. Ass. féd., 1990, I/II, p. 35.
[12] BO CE, 1990, p. 897 s. et 922; presse du 29.11.90.
[13] BO CN, 1990, p. 2341 et 2397; presse du 14.12.90.
[14] FF, 1990, III, p. 1529 ss.
[15] BO CE, 1990, p. 994 ss. (débat sur le budget 1991 du DMF); presse du 7.12.90.