Année politique Suisse 1991 : Allgemeine Chronik / Landesverteidigung
Défense nationale et société
A l'occasion d'un entretien avec l’ATS, K. Villiger a exposé ses vues sur le rôle de la Suisse et de son armée au niveau international. Ainsi, selon lui, la Suisse devra, qu'elle adhère ou non à la CE, adapter sa politique de sécurité au contexte européen. Diverses options devraient ainsi être envisagées pour permettre à l'armée de tenir sa place. Cela signifie que le projet "Armée 95" devra être assez souple pour laisser toutes les portes ouvertes (redéfinition du concept de service obligatoire, réduction des forces, renoncement à certaines armes, etc.). Pour le chef du DMF, la Suisse devrait envisager une "
neutralité différenciée"; neutralité stricte dans le cadre des conflits extraeuropéens, mais solidarité lorsqu'une menace pèserait sur l'ensemble de l'Europe. Cependant, il ne juge pas approprié de participer à une coalition internationale ou à une politique européenne de grande puissance, et entend ne pas remettre en cause le système d'armée de milice
[1].
K. Villiger, lors d'un voyage en Hongrie, a convenu avec les autorités de ce pays de collaborer dans le domaine militaire. La Hongrie, intéressée par le système de milice helvétique, devrait ainsi envoyer des officiers (probablement dès 1992) suivre des cours en Suisse. Le chef du DMF a évoqué la possibilité, à moyen terme, que des échanges de vues réguliers aient lieu avec les forces hongroises. D'autre part, il a été décidé d'une collaboration entre les deux pays en matière de production d'équipement militaire
[2].
En décembre 1990, suite aux révélations de la commission d'enquête parlementaire (CEP DMF), les Chambres chargèrent, par le biais d'une motion, le Conseil fédéral d'enquêter sur d'éventuelles relations entre l'organisation suisse P-26 et d'autres organismes similaires fonctionnant ou ayant fonctionné dans certains pays européens
[3]. Le gouvernement demanda alors au juge instructeur neuchâtelois Pierre Cornu de mener une enquête administrative. Celle-ci conclut à la réalité de l'existence d'entités de résistance (dites "
stay behind organizations") dans divers pays européens, dont les représentants se réunissaient au sein de comités internationaux; ces derniers n'étaient cependant pas liés organiquement à l'OTAN, comme certaines rumeurs médiatiques le firent initialement croire. L'organisation
secrète de résistance suisse P-26 et le
service spécial P-27 ne participèrent pas à ces comités et n'entretinrent aucun contact avec eux. Par contre, ils eurent des relations bilatérales relativement étroites avec les services officiels britanniques. Ces contacts consistaient en la participation réciproque de cadres à des exercices et cours organisés dans les deux pays et auraient notablement influencé la structuration des organismes helvétiques.
D'autre part, la Suisse acquit, à la fin des années quatre-vingts et après approbation du chef de l'Etat-major général, du président de la délégation parlementaire des finances et du directeur du contrôle fédéral des finances, des moyens de communication appartenant au système Harpoon. Il était prévu d'installer une centrale de transmission de ce type en Grande-Bretagne, mais cette idée ne fut pas concrétisée. A ce propos, les conclusions de l'enquête mettent en doute la pertinence d'un tel achat en regard de la neutralité suisse, le système Harpoon devant être, à terme, employé par l'ensemble des organismes "stay behind" du continent.
L'investigation précise par ailleurs que, subjectivement, il n'y a pas eu violation de secrets militaires et de fonction puisque, si les cadres des P-26 et 27 ont communiqué aux services britanniques des informations confidentielles, ils n'ont pas voulu agir à l'encontre des intérêts de l'Etat
[4].
Cependant, certaines sources journalistiques ont continué de s'interroger sur l'indépendance réelle des deux organismes suisses; en effet, il semblerait que les analogies entre le P-26 et les structures "Stay behind" européennes soient fort nombreuses, notamment en ce qui concerne les fondements idéologico-politiques, le mode de recrutement, l'organisation, les procédés d'instruction, les scénarios d'action et les moyens techniques (Harpoon)
[5].
La
réaction des partis a été unanime. Ils ont tous désapprouvé les agissements des organisations secrètes et ont émis le souhait qu'à l'avenir les services helvétiques de ce type soient en permanence placés sous contrôle politique
[6].
En fin d'année, le
gouvernement a présenté son rapport sur le sujet, qui reprenait dans les grandes lignes les conclusions du juge Cornu, et a proposé le classement de la motion qui lui avait donné naissance. La CEP DMF a tenu à souligner que les résultats de l'enquête ne devaient pas être considérés comme définitifs, l'impossibilité de mener des investigations à l'étranger pouvant limiter certaines connaissances. Cependant, elle a indiqué qu'elle parvenait à une même appréciation des faits que le gouvernement et recommanda au parlement de prendre acte du rapport, ce qui fut fait. Le Conseil national dut toutefois surmonter une proposition de renvoi de la part du groupe socialiste. Ce dernier désirait que la CEP DMF complète ces travaux en appréciant le rôle joué par la CIA dans l'organisation du P-26 et par le P-26 dans le réseau d'organisations de résistance d'Europe occidentale, ainsi qu'en évaluant les problèmes liés à la neutralité au vu du degré de dépendance du P-26 envers les services secrets étrangers
[7].
Par ailleurs, les Chambres ont pris connaissance du rapport de la CEP DMF sur la démobilisation du P-26; la CEP a ainsi pu attester que les locaux du P-26 avaient été mis sous scellés, les contrats de bail résiliés, les armes, les munitions et autres objets inventoriés et remis à l'armée et les documents détruits ou archivés à des fins historiques par les soins du DMF. Le personnel, quant à lui, doit se voir attribuer de nouvelles fonctions au sein du DMF
[8].
Le Conseil national a encore pris connaissance du rapport de la commission de gestion sur le suivi relatif à la CEP DMF. Selon ce document, le
service de renseignement P-27 devrait être liquidé au début de l'année 1992 et transféré dans le groupement de l'Etat-major général, opération qui a semblé se dérouler de manière satisfaisante. D'autre part, certaines sources du P-27 pourraient être utilisées désormais par le Groupement renseignement et sécurité. La surveillance financière des services de renseignements devrait être renforcée afin d'éviter que ne se constitue un organisme à caractère privé. La commission demande, en outre, que les services de renseignements militaires renoncent à collecter des informations à l'intérieur du territoire suisse et que ses contacts avec le Ministère public soient limités
[9].
Dans le contexte plus spécifique du seul P-26, la conseillère aux Etats Bührer (ps, SH) a souhaité, par le biais d'un postulat, que certains points liés aux finances ainsi qu'au personnel de l'organisation secrète de résistance soient éclaircis. Il s'agit plus particulièrement du montant total des dépenses faites, du degré d'implication de fonctionnaires fédéraux, de leur éventuelle indemnisation et de leur nom. La petite chambre a cependant rejeté ce texte après que K. Villiger eut demandé de ne plus revenir sur cet épisode passé
[10].
Pour sa part, le Conseil fédéral a pris acte du
rapport du DMF sur la liquidation du P-26. Celui-ci révèle que, de 1979 à 1990, l'organisation secrète a coûté environ 53 millions de francs. Le gouvernement a par ailleurs demandé aux Chambres de partager également le "trésor de guerre" de la P-26 (3,4 millions) entre le CICR et la Croix-Rouge suisse, ce qui fut fait
[11].
Le Conseil national a pris connaissance du
rapport 1990 sur la politique de sécurité de la Suisse
[12]. Il a en cela suivi l'opinion de la majorité de sa commission, qui estimait qu'il exposait de façon complète les menaces ainsi que les développements politico-militaires actúels; il regretta cependant que la situation intérieure du pays n'ait pas fait l'objet d'une plus grande attention, et émit de vives réserves sur les missions de promotion de la paix assignées à l'armée, ainsi que sur celles, non militaires, confiées à cette dernière sur le territoire national (présence aux frontières dans le cas de la politique d'asile par exemple). La minorité de la commission, emmenée par la députée Haering Binder (ps, ZH), proposa, sans succès, de renvoyer le rapport au Conseil fédéral, car elle estimait qu'il ne tenait pas suffisamment compte des coûts de la politique envisagée, de la pondération des moyens attribués aux différentes composantes de la politique de sécurité ainsi que de la vulnérabilité des sociétés industrielles. Elle craignait aussi qu'il ne fournisse des éléments en faveur de l'acquisition du nouvel avion de combat.
Un certain nombre de propositions de minorités furent également rejetées par la grande chambre. Ainsi en alla-t-il de la motion Günter (adi, BE) demandant l'interruption, en cas de conflit, de l'exploitation des centrales nucléaires suisses en activité pour des raisons de sécurité militaire, de celle de E. Ledergerber (ps, ZH) souhaitant, dans le cadre du nouveau plan directeur, la concrétisation du mandat de politique de sécurité de l'armée et du postulat Stocker (pes, ZH), chargeant des experts d'élaborer un compte rendu sur ce thème
[13]. Par contre, tous les désirs de la majorité de la commission furent exaucés, puisque le Conseil national accepta les motions relatives à la périodicité du rapport (une fois par législature) et à l'intensification de la recherche sur la paix et les conflits. Il adopta également des postulats. ayant trait à l'opportunité de la création d'un conseil de sécurité, à la présentation d'un texte sur les influences réciproques des politiques extérieure et de sécurité suisse et européenne, ainsi qu'à celle d'un compte rendu sur la guerre du Golfe
[14].
Le Conseil des Etats a également adopté le rapport du Conseil fédéral, même si certains socialistes ont estimé qu'il était dépassé, notamment en raison de la désintégration de l'Union soviétique. La majorité de la Chambre s'est cependant ralliée aux vues du gouvernement et a, dans le même temps, accepté les motions sur l'élaboration d'un rapport sur la politique de sécurité tous les quatre ans et sur l'intensification de la recherche sur la paix. Elle a, de plus, transmis un postulat de sa commission demandant que le gouvernement prenne les dispositions nécessaires afin d'informer la population sur la politique de sécurité suisse
[15].
Le
comité central du PSS a adopté un programme de politique de sécurité qui s'écarte en grande partie de celui du Conseil fédéral. S'il fait les mêmes constatations au sujet du changement et de la diversification des menaces, il entend prendre des mesures drastiques pour modifier la structure de l'armée helvétique et ses objectifs. La Suisse devrait ainsi oeuvrer en faveur de la résolution pacifique des conflits, de leur prévention et de leur élimination, ce qui permettrait de réduire fortement les dépenses militaires. D'autre part, elle devrait viser à appartenir à un système européen de prévention des conflits et ses forces ne devraient, d'ici là, ne se voir confier que des tâches de protection de la population
[16].
Le Conseil des Etats a facilement adopté le budget militaire proposé par le gouvernement; celui-ci, d'un
montant global de 6,27 milliards de francs, était en augmentation de 137 millions par rapport à 1991, ce qui ne compensait que partiellement le renchérissement. Par ailleurs, alors que les dépenses d'armement diminuaient de 0,5%, celles d'exploitation augmentaient de 3,8%. Au Conseil national, une minorité de la commission, composée et soutenue par les socialistes, désira lui apporter toute une série de modifications; la principale d'entre elles consistait en une réduction linéaire de 10% (530 millions de francs) des dépenses pour la défense nationale. Selon la minorité, cela s'imposait du fait des changements intervenus dans la situation internationale et de la nécessité d'équilibrer le budget fédéral. Cependant, toutes ces propositions furent repoussées et la grande chambre se conforma à la décision du Conseil des Etats
[17].
Le
parti socialiste suisse a lancé une initiative populaire "pour moins de dépenses militaires et davantage de politique de paix". Ce texte entend modifier les dispositions transitoires de la Constitution fédérale afin que celles-ci mentionnent, dans un nouvel article, l'obligation faite à la Confédération de diminuer de 10% par exercice financier le budget du DMF, jus-qu'à concurrence d'une réduction totale de 50% des crédits par rapport à ceux de l'année de référence (à savoir, celle précédant la première réduction). Les montants ainsi libérés seraient affectés, selon ce texte, à la politique de paix ainsi qu'à la politique sociale. Par ailleurs, l'initiative mentionne explicitement le devoir, pour l'Etat, de pourvoir à la reconversion des entreprises fédérales d'armement et des administrations touchées par ces mesures
[18].
Le Conseil des Etats a, quant à lui, accepté le postulat Meier (pdc, LU) proposant une aide financière en faveur de la recherche pour la Fondation suisse pour la paix, un texte de même teneur, proposé par P. Wyss (prd, BS), ayant d'ailleurs été transmis par le Conseil national
[19]. Il a, d'autre part, adopté comme postulat la motion Onken (ps, TG) prévoyant l'élaboration, de la part du gouvernement, d'un programme en faveur d'une politique de paix active de la Suisse
[20].
Sur la création d'un contingent de casques bleus ainsi que les discussions sur la neutralité, cf. supra, part. I, 2 (Principes directeurs et Organisations internationales).
En mars, la CEP DMF a présenté son rapport sur l'affaire Jeanmaire. Dans ses conclusions, elle s'est déclarée en faveur d'une
publication des chefs d'accusation et du jugement subséquent, ce d'autant que l'ex-brigadier Jeanmaire, dont les droits de la personnalité seraient atteints par cette démarche, l'a approuvé et souhaité. Elle a donc demandé, par le biais d'un postulat, que ces différents points soient communiqués à l'attention du public, et a également sollicité la levée du secret militaire pesant sur l'ensemble des dossiers de la procédure, afin que l'intéressé puisse en prendre connaissance. Le Conseil des Etats accéda partiellement à cette demande en transmettant ce deuxième point du postulat, tandis que le Conseil national souscrivit entièrement au souhait de la CEP DMF et transmit le texte
[21].
Dans ses considérations, la CEP DMF a livré quelques informations supplémentaires. Ainsi, elle n'a constaté, dans le cadre de son mandat, aucun acte incorrect de la part du Ministère public de la Confédération. Elle n'a, de même, trouvé aucun témoignage permettant d'accréditer la thèse selon laquelle l'affaire Jeanmaire aurait servi à détourner les soupçons de l'existence d'un autre traître au sein du GRS (Groupement renseignements et sécurité)
[22].
Le projet de construire une bretelle auto-routière provisoire pour l'organisation du
défilé militaire d'Emmen (LU) afin de faciliter l'accès du public a suscité de vives protestations dans le canton; les écologistes, la gauche ainsi que les démocrates-chrétiens, représentant ainsi la majorité du Grand Conseil, se sont même prononcés pour l'annulation du défilé. Le DMF et le Département militaire lucernois ont été chargés, en conséquence, de revoir leur conception de cette manifestation
[23]. Finalement, il fut décidé d'organiser une journée de l'armée, où celle-ci a notamment été représentée par des expositions, des démonstrations, des représentations et même par deux mini-défilés. Cette manifestation, pour laquelle les Chambres ont débloqué un crédit de 1,5 million de francs, fut organisée par le corps d'armée de campagne 2. L'aspect écologique fut pris en compte, puisque la desserte fut assurée en grande partie par les transports publics
[24].
[2] Suisse et NZZ, 21.2.91.
[3] Organisations mises au grand jour par plusieurs enquêtes et révélations journalistiques, par exemple le réseau Gladio; Délib. Ass. féd., 1991, I/II, p. 19.
[4] DMF, Rapport final de l'enquête administrative portant sur les relations entre l'organisation P-26 et des organisations analogues à l'étranger. Résumé à l'intention du public, Berne 1991; TA, 25.1.91; presse du 14.8. et 20 9.91.
[6] Presse du 20.9.91; VO, 39, 26.9.91.
[7] FF, 1992, I, p. 18 ss.; BO CN, 1991, p. 2431 ss.; BO CE, 1991, p. 1054 s.; presse du 13.12.91.
[8] BO CN, 1991, p. 2429 s.; BO CE, 1991, p. 1052 ss.; presse du 5.12.91. Voir aussi APS 1990, p. 86 ss.
[9] BO CN, 1991, p. 2435 ss.; NQ, 23.11.91.
[10] BO CE, 1991, p. 764 ss.; presse du 25.9.91.
[11] BO CN, 1991, p. 892 ss.; BO CE, 1991, p. 540 ss.; Suisse, 18.2. et 19.2.91; BZ, 23.2.91; presse du 18.4. et 5.6.91; TA, 24.5.91.
[12] Cf. APS 1990, p. 88 s.
[13] BO CN, 1991, p. 903 ss. Travaux de la commission: presse du 20.4.91.
[14] BO CN, 1991, p. 934 ss.; NZZ, 8.2.91; presse du 1.6., 5.6. et 6.6.91. En ce qui concerne les tâches de surveillance de l'armée aux frontières dans le cadre de la politique d'asile, cf. infra, part. I, 7d (Flüchtlinge). Sur la guerre du Golfe, cf. supra, part. I, 2 (Principes directeurs, neutralité).
[15] BO CE, 1991, p. 739 ss.
[16] Presse du 8.5.91; NZZ, 28.5.91. Sur les casques bleus, cf. supra, part. I, 2 (Organisations internationales).
[17] BO CE, 1991, p. 949 s.; BO CN, 1991, p. 2248 ss.
[18] FF, 1991, II, p. 443 ss.; TA, 4.3.91; LNN et Suisse, 11.3.91; presse du 28.5.91. Le GSsA fut perplexe face â cette initiative: TA, 17.4.91.
[19] BO CN, 1991, p. 1979.
[20] BO CE, 1991, p. 739 ss.; NZZ, 14.8.91; presse du 25.9.91.
[21] BO CE, 1991, p. 330; BO CN, 1991, p. 1312. Voir APS 1977, p. 49 s. et 1990, p. 87.
[22] BO CE, 1991, p. 308 ss.; presse du 6.3.91; Suisse, 7.3.91.
[23] Presse du 19.1.91. Un député argovien a demandé que son canton soit choisi pour remplacer Lucerne (LNN, 2.2.91; TA, 9.2.91).
[24] Presse du 4.2., 1.3., 6.9. et 23.9.91; NZZ, 5.2.91; LNN, 25.2.91. Voir aussi supra, part. I, 1a (700-Jahr-Feier).
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