Année politique Suisse 1991 : Allgemeine Chronik / Landesverteidigung
Objecteurs de conscience
En 1977 et 1984, deux initiatives populaires demandant l'introduction d'un service civil furent rejetées par le peuple et les cantons, respectivement par 62,4% et 64% des suffrages. La première, dite de Münchenstein, demandait la création d'un service civil équivalent au service militaire. La seconde, dite en faveur d'un véritable service civil et émanant des milieux proches des objecteurs, souhaitait la suppression de tout examen de conscience et l'introduction de la preuve par l'acte
[60]. En 1984, le Conseil fédéral mettait sur pied une commission d'experts chargée d'examiner la latitude d'action laissée par les normes constitutionnelles en vigueur pour ne plus assimiler les objecteurs de conscience à des criminels de droit commun; de ces travaux naquit le
projet Barras de révision du code pénal militaire.
Cette réforme, acceptée par le parlement en 1990, ne modifie pas la Constitution puisque l'obligation de servir demeure. Elle permet cependant aux objecteurs d'effectuer, en lieu et place d'une peine privative de liberté, une astreinte à un travail d'intérêt général (d'une durée une fois et demie plus longue que le service militaire refusé). Si elle est toujours prononcée par les tribunaux militaires, elle n'est toutefois plus inscrite dans le casier judiciaire. Le projet Barras n'introduit donc pas un véritable service civil, d'autant que les objecteurs n'ayant pu faire la preuve de problèmes dus à des valeurs éthiques fondamentales continueront à se voir incarcérés
[61]. Un
référendum avait été lancé contre ce projet, émanant de deux courants opposés; d'une part, d'organisations d'objection de conscience et antimilitaristes (GSsA), soutenues par le parti socialiste et l'Alliance verte et, d'autre part, de la Ligue vaudoise (fédéraliste et nationaliste). Il a abouti en début d'année avec environ 55 000 signatures de la part du premier comité référendaire et 15 000 de la part du second
[62].
Le 2 juin 1991, le
peuple a accepté par 55,7% des suffrages cette modification du Code pénal militaire visant à décriminaliser partiellement l'objection de conscience. Un clivage assez sensible est intervenu entre la Suisse alémanique et la Suisse romande (Valais surtout); tandis que la première acceptait facilement la réforme, la seconde la rejetait. La nouvelle disposition légale est entrée en vigueur le 15 juillet
[63].
Les
arguments en faveur de la réforme tels qu'invoqués par le gouvernement, la majorité des Chambres et les partis bourgeois résidèrent principalement en quatre points
[64]. Premièrement, la révision proposée est une solution transitoire, qui constitue un premier pas et qui peut être mise en oeuvre rapidement sans modification constitutionnelle. Deuxièmement, elle n'affaiblit pas l'actuelle législation mais permet de décriminaliser l'objection. Troisièmement, la peine ne sera plus inscrite dans le casier judiciaire, mesure justifiée si l'on considère l'avenir (professionnel ou autre) des appelés. En outre, les objecteurs auront l'occasion d'accomplir une tâche utile au pays. Quatrièmement, vouloir maintenir le système actuel assimilant les objecteurs à des détenus de droit commun est obsolète
[65].
Les
arguments des adversaires du projet Barras divergèrent selon qu'ils émanèrent des milieux pacifistes ou de ceux de la droite fondamentaliste. Pour les premiers, cette révision est un pas en arrière puisqu'elle aggrave la situation des objecteurs, ceux ne pouvant faire état de motifs éthiques continuant à être condamnés à la prison. En outre, elle ne crée pas de véritable service civil, est inacceptable puisqu'elle maintient également l'examen de conscience et le jugement par les tribunaux militaires et serait par ailleurs dépassée
[66]. Pour les seconds, la modification du Code pénal militaire crée un embryon de service civil, violant ainsi la Constitution et faisant fi de la volonté populaire, déjà maintes fois exprimée. L'astreinte à un travail d'utilité publique est une tâche qui, selon eux, n'est pas conforme au rôle .généralement dévolu à l'Etat. De plus, elle suscite la création d'un appareil administratif trop important
[67].
Révision du code pénal militaire. Votation du 2 juin 1991
Participation: 33,3%
Oui: 817 428 (55,7%)
Non: 650 634 (44,3%)
Mots d'ordre:
- Oui: PRD (1*), PDC (1*), UDC (2*), PL (l*), PEP.
- Non: PS, PES, AdI, Alliance verte, PdT, PA, DS, Ligue vaudoise, GSsA; USS.
* Recommandations différentes des partis cantonaux.
La campagne sur cet objet
n'a guère soulevé les passions, comme peut le révéler le faible taux de participation. L'analyse Vox de cette votation montre que cet abstentionnisme provient principalement du fait que les citoyens ne se sont sentis que peu concernés par le sujet. L'étude met encore en évidence que les partisans du oui se sont surtout recrutés au sein des sympathisants des partis gouvernementaux bourgeois (principalement PDC) alors que les opposants provenaient en bonne partie de la gauche et des écologistes, mais également de la droite. On peut en déduire que le projet Barras a surtout été accepté par les forces centristes et rejeté par les extrêmes
[68].
Le problème de l'objection de conscience et de la création d'un service civil n'est cependant pas réglé puisque plusieurs textes sont, à ce propos, pendants.
Ainsi, dans son rapport final, le
groupe de travail Schoch avait recommandé au gouvernement d'établir un concept général d'un service à la communauté, dans lequel le service militaire serait remplacé par une obligation générale de servir. La Société suisse des officiers est allée dans le même sens, tout en étendant cette obligation aux femmes. En novembre 1989, le député socialiste bâlois Hubacher déposait une initiative parlementaire demandant l'instauration d'un véritable service civil. Bien que la commission des pétitions du Conseil national ait décidé, en novembre 1990, de ne pas lui donner suite, la question de principe soulevée par ce texte — le parlement doit-il entreprendre lui-même une modification de la Constitution fédérale afin d'introduire le service civil? — fut retenue. En vertu de cette décision, le député Hubacher (ps, BS) retira son initiative en mars
[69].
De fait, une sous-commission fut créée afin de rédiger le texte d'une initiative parlementaire de la commission. Sa majorité a proposé une
modification de l'article 18 de la Constitution fédérale introduisant un service civil, tout en maintenant l'obligation de servir. Le service civil doit donc demeurer une exception, comprendre les mêmes exigences que le service armé, être d'intérêt public et fondé sur la preuve par l'acte; il en résulte le rejet du principe du libre choix entre les deux formes de service. Le texte constitutionnel proposé par la majorité de la commission évite cependant de régler certains points très délicats, comme la nature des motifs donnant accès au service civil (éthiques, religieux), l'autorité chargée d'entreprendre cet examen de conscience et la durée du service. Cette démarche repose sur une volonté de ne fixer ces différents points qu'au niveau de la loi d'application
[70]. La proposition de la minorité de la commission, émanant de groupes bourgeois, était moins contraignante, puisqu'elle énonçait de façon potestative la création d'un service civil
[71].
Dans son avis de mai 1991 sur ce texte, le Cónseil fédéral a reconnu la nécessité de régler le problème posé par l'objection de conscience. C'est pourquoi il s'est déclaré en faveur de l'idée générique exprimée par l'initiative de la commission, dont la formulation permettrait, selon lui, de tenir compte des nombreuses propositions faites pour réglementer concrètement le service civil
[72].
Au
Conseil national, le
projet d'article constitutionnel de la majorité de la commission a été
très largement accepté. En outre, tous les groupes parlementaires lui ont apporté leur soutien, soulignant qu'instaurer un tel service civil correspondait bien à l'évolution sociale et historique du pays vis-à-vis des objecteurs de conscience, sujet qui fut longtemps le lieu de très forts blocages. Le Conseil des Etats suivit la décision de la grande chambre. Cependant, certains observateurs n'ont pas manqué de noter que si le consensus avait été si facile à trouver au parlement, c'était parce que le vrai débat n'aurait lieu que lors de l'élaboration de la loi, où les adversaires du service civil pourront faire valoir leurs arguments d'autant mieux que la formule choisie laisse place à moult interprétations
[73].
Auparavant, le Conseil des Etats avait transmis comme postulat la motion Rhinow (prd, BL) demandant au gouvernement de proposer un article constitutionnel instaurant un service à la communauté se divisant en un service armé et en un service civil, le principe du libre choix entre ces deux options étant garanti
[74].
Par ailleurs, le
groupe de travail Napf, composé essentiellement de juristes, d'enseignants et d'étudiants bernois, a présenté une initiative populaire sur le même sujet intitulée "pour une obligation générale de servir en faveur de la communauté". Ce texte propose une révision de l'art. 18 de la Constitution consistant à astreindre tout Suisse à un service en faveur de la communauté, qu'il soit militaire, civil ou de protection civile. Si le service militaire garde la primauté par rapport aux autres, chaque appelé aurait néanmoins la possibilité de choisir librement entre les diverses options
[75].
En outre, les
cantons du Jura et de Genève ont déposé deux nouvelles initiatives souhaitant la création d'un véritable statut de l'objecteur de conscience. Le parlement, considérant que l'initiative parlementaire sur le service civil répondait à cette exigence ne leur a pas donné suite
[76]. Le Conseil national a également rejeté l'initiative parlementaire de la députée Leutenegger Oberholzer (pes, BL), qui demandait une amnistie en faveur des objecteurssusqu'à la mise en place d'un service civil
[77]. De même, la petite chambre a repoussé une motion de la conseillère aux Etats Jaggi (ps, VD) sollicitant une telle amnistie à l'occasion du 700e anniversaire de la Confédération
[78].
Le canton de Genève, suivant en cela celui du Tessin, a décidé d'instaurer un
moratoire de quatre ans sur les peines de prisons des objecteurs de conscience. Les autorités espèrent ainsi que, durant ce laps de temps, un service civil aura été mis sur pied par la Confédération. Ainsi, les objecteurs condamnés, voyant l'exécution de leur peine reportée, pourraient changer de statut et se voir astreint à effectuer un service civil plutôt qu'un séjour en prison
[79].
En 1991, le
nombre de réfractaires au service militaire a singulièrement baissé par rapport à l'année précédente, puisqu'il s'est monté à 475 contre 581 en 1990. Ce chiffre est le plus bas depuis dix ans. Une centaine d'objecteurs, jugés selon le nouveau droit en la matière (réforme Barras) et ayant pu faire valoir des "valeurs éthiques fondamentales", ont été condamnés à effectuer des travaux d'intérêt général
[80].
Le gouvernement a entrepris de faciliter le service militaire sans armes afin d'aller dans le sens du mouvement entamé en faveur des objecteurs de conscience. A cet effet, il a prévu d'abandonner le critère du grave conflit de conscience, d'élargir la composition de l'autorité chargée de statuer sur la demande et de prolonger le délai de recours
[81].
[60] Lib., 22.5.91. Voir aussi APS 1977, p. 53 s. et 1984, p. 60.
[61] Cf. APS 1989, p. 90 et 1990, p. 94 s.
[62] FF, 1991, I, p. 923 ss. et III, p. 1294 ss.
[63] Presse du 3.6.91. Toutefois, l'accomplissement d'un travail d'intérêt général au lieu de la peine de prison pour les objecteurs dont le conflit de conscience est reconnu ne pourra intervenir qu'en juillet 1992, après que l'ordonnance d'application aura été mise en consultation et adoptée. Par ailleurs, ces tâches d'utilité public seront effectuées sous la responsabilité de l’OFIAMT (JdG et Suisse, 27.6.91; presse du 13.7.91; 24 Heures, 5.9.91).
[64] Notons cependant que, durant la campagne, les voix en faveur du projet restèrent fort discrètes et que ce furent surtout les opposants qui se firent entendre.
[65] Presse du 19.4.91 ainsi que presse du mois de mai.
[66] TW, 20.4.91 ainsi que presse du mois de mai.
[67] Presse du mois de mai.
[68] Vox, Analyse de la votation fédérale du 2 juin 1991, Zurich 1991.
[69] Délib. Ass. féd., 1991, I/II, p. 31.
[70] FF, 1991, II, p. 427 ss.
[71] Délib. Ass. féd., 1991, I/II, p. 39; presse du 2.2.91; NZZ, 23.3.91.
[72] FF, 1991, II, p. 901 s.
[73] BO CN, 1991. p. 1438; BO CE, 1991, p. 962 ss. et 1102; FF, 1991, IV, p. 1043; presse des 17.9. et 28.11.91; NZZ, 6.11.91.
[74] BO CE, 1991, p. 970 ss.
[75] Presse des 15.2. et 16.3.91; JdG, 22.2.91. Voir aussi APS 1990, p. 95. Le groupe de travail Napf semblait connaître, en fin d'année, de graves problèmes financiers (presse du 10.10.91).
[76] BO CN, 1991, p. 1453; BO CE, 1991, p. 968 s.
[77] Au vote nominal, l'initiative parlementaire a été rejetée par 115 voix contre 56. Elle fut soutenue par le groupe socialiste et les écologistes, mais repoussée par les groupes bourgeois ainsi que par les indépendants-évangéliques (BO CN, 1991, p. 370 ss.; presse du 12.3.91).
[78] BO CE, 1991, p. 598 ss.; NZZ et JdG, 25.1.91; Vat., 21.6.91.
[79] Presse du 5.4.91; NZZ et Bund, 6.4.91; Ww, 2.5.91. Des demandes allant dans ce sens ont été faites dans d'autres cantons, notamment dans celui de Vaud (24 heures, 8.5.91). Le GSsA a, quant à lui, lancé un appel au refus de servir appuyé par 1300 signatures. Il exige, de plus, une amnistie pour tous les objecteurs ainsi qu'un service civil en attendant la disparition de l'armée (presse du 18.1.91).
[81] JdG, 27.6.91; NZZ, 28.6.91.
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