Année politique Suisse 1991 : Infrastruktur und Lebensraum / Energie
Politique énergétique
Longtemps paralysée par les profonds antagonismes entre partisans et opposants du nucléaire, la politique énergétique de la Confédération a-t-elle trouvé un nouveau dynamisme? En repoussant, en 1990, l’initiative pour l'abandon du nucléaire, mais en acceptant l'article constitutionnel et l'initiative sur le moratoire de dix ans, le peuple suisse avait donné l'occasion au Conseil fédéral de tracer les grandes lignes d'une nouvelle politique énergétique, susceptible de satisfaire la majorité des protagonistes. Le programme "énergie 2000" et l'arrêté fédéral sur l'énergie, adoptés en un temps record, indiquent les orientations générales de ce changement.
Après l'année des grandes décisions, 1991 a été marqué par les premiers pas de la mise en oeuvre du programme "énergie 2000". Face aux menaces de l'effet de serre, aux dangers de l'énergie nucléaire et à la dépendance accrue de la Suisse vis-à-vis de l'étranger, une telle réorientation de la politique énergétique devenait de plus en plus indispensable. Pour la concrétiser, une collaboration accrue entre les principaux acteurs concernés représente une condition primordiale. L’“armistice énergétique", issu des votations de 1990, reste cependant fragile; de nombreux problèmes, comme le stockage des déchets radioactifs, le projet de hausse de 10% de la capacité des centrales nucléaires ou la question des débits minimaux, ne sont pas encore résolus.
A la suite des votations du 23 septembre 1990, un groupe de travail réunissant des représentants des partis gouvernementaux et des membres du Département fédéral des transports, des communications et de l'énergie (DFTCE) avait été chargé d'élaborer les grandes lignes de la future politique énergétique; leur travail donna lieu à la publication du programme "énergie 2000", présenté à la presse dans sa forme définitive en mars, après avoir été approuvé par le Conseil fédéral. Le programme va dans le sens du scénario de référence renforcé et de celui du moratoire, présentés par le groupe d'experts pour les scénarios énergétiques (GESE) en 1988; il est basé sur deux axes: 1) utilisation plus rationnelle et économe de l'énergie, 2) promotion des énergies renouvelables. Afin de tirer parti au maximum de la période du moratoire de 10 ans, les objectifs fixés sont les suivants: stabiliser la consommation totale d'agents fossiles et les rejets de CO2 au niveau de 1990 d'ici à l'an 2000, puis les réduire; atténuer progressivement la croissance de la consommation d'électricité pendant une décennie, puis stabiliser la demande; favoriser les énergies renouvelables (en l'an 2000 apports de 0,5% à la production totale d'électricité et de 3% à la production actuelle de chaleur des agents fossiles); accroître la production hydraulique de 5% et la puissance des centrales nucléaires existantes de 10%.
La réalisation de ces objectifs devra s'appuyer sur une politique plus rigoureuse d'utilisation de l'énergie et de promotion des agents renouvelables. Sa mise en oeuvre dépendra largement du maintien de l’armistice énergétique" entre les principaux groupes d'intérêt concernés. Le DFTCE, qui s'est entretenu avec de nombreux représentants des cantons, des communes, de l'économie énergétique et des associations écologistes, a beaucoup insisté sur la nécessaire collaboration entre ces différents acteurs, l'information, les réunions fréquentes et les conseils devant permettre de ne pas recourir à des mesures contraignantes.
Le gouvernement entend agir à trois niveaux: Confédération / cantons et communes / économie et particuliers. Sur le plan fédéral, le parlement avait adopté à la fin de l'année 1990 l'arrêté fédéral sur l'énergie qui constitue un texte avant-coureur de la loi sur l'énergie prévue pour 1995; d'autre part, la politique énergétique des cantons et des communes devra être renforcée de même que les initiatives et les investissements volontaires du secteur privé et des particuliers. Pour coordonner l'ensemble de ces actions, le Conseil fédéral a mis sur pied une structure organisationnelle complexe. Le programme dans son ensemble est placé sous l'égide du chef du DFTCE; celui-ci dirige le groupe d'accompagnement, composé de représentants des cantons, des communes, de l'économie privée et des associations écologistes qui se réunira une fois par année pour faire le point sur l'état d'avancement du programme. Le directeur du programme, subordonné au chef du DFTCE, doit assumer la coordination générale. En cours d'année, quatre groupes d'action ont été créés pour la réalisation de chaque objectif du programme dans les domaines des combustibles, des carburants, de l'électricité et des énergies renouvelables. Les projets et opérations spécifiques resteront cependant du ressort des participants; la responsabilité de chaque opération revient à celui qui en a pris l'initiative, alors que les organes créés serviront à contrôler les résultats. D'autre part, le DFTCE s'est engagé à produire chaque année un rapport sur l'évolution du programme; en septembre 1991, le premier rapport a été publié
[1].
L'arrêté fédéral pour une
utilisation économe et rationnelle de l'énergie, adopté à la fin de l'année 1990, est entré en vigueur le premier mai. Le projet d'ordonnance, mis en consultation par le Conseil fédéral, a été très critiqué par différentes associations de l'économie énergétique; certaines ont exigé que le texte soit retravaillé
[2].
Le Conseil fédéral a annoncé qu'il allait
libérer plus de 900 millions de francs jusqu'en 1995 pour la politique énergétique. 400 millions seront consacrés à des programmes exemplaires d'économie d'énergie, touchant les bâtiments fédéraux (300 millions) et les CFF (100 millions). Les quelques 500 millions restant serviront dans une large mesure à la mise en oeuvre de l'arrêté fédéral. Cependant, face aux difficultés financières de la Confédération, des mesures d'économie ont été prises; ainsi, en 1992, sur les 100 millions prévus pour le programme seuls 50 seront disponibles
[3].
Parmi les principales actions en cours, dans le cadre du programme "énergie 2000", on peut citer: au niveau de la Confédération, le plus
grand poids donné à l'information et aux conseils en matière énergétique, à la traduction dans les faits d'un plan de
formation et de perfectionnement professionnels, à l'intensification de la recherche énergétique, à la
promotion des installations pilotes et des techniques énergétiques nouvelles (plan DIANE qui dispose d'un fonds de 50 millions de francs jusqu'en 1995), au.soutien aux programmes d'impulsion RAVEL (utilisation rationnelle de l'électricité), PACER (énergies renouvelables) et PI BATIMENT (conservation et rénovation); au niveau des cantons, le renforcement de leur politique énergétique; dans nombre d'entre eux, la loi cantonale sur l'énergie a été modifiée ou est en voie de l'être en fonction du nouvel arrêté sur l'énergie. A l'échelon des communes, il faut signaler le projet "Energie dans la cité", placé sous le patronage du WWF et de la fondation suisse de l'énergie (FSE), qui réunit plusieurs municipalités (essentiellement en Suisse allemande), afin de les inciter, par un travail en commun et un échange d'informations, à mener des politiques énergétiques plus actives à un niveau décentralisé. Plusieurs expériences, devant servir d'exemples sont en cours à Zurich, Schaffhouse et Bergün (GR) notamment
[4].
De façon générale, le programme a été bien reçu par les différents partis politiques et groupes d'intérêt. La conférence des directeurs cantonaux de l'énergie l'a approuvé dans ses grandes lignes et s'est engagée à
faire participer activement les cantons; elle a décidé de créer deux groupes de travail, l'un chargé de préparer la future loi sur l'énergie et l'autre de formuler des propositions pour la mise en oeuvre des recommandations tarifaires de la Confédération. Bien que favorables au programme, les socialistes et les écologistes lui reprochèrent de rester trop dépendant du nucléaire et se sont montrés moins optimistes que le chef du DFTCE sur la possibilité de réaliser les objectifs fixés. Certaines organisations écologistes ont proposé de compléter le programme par un nouvel arrêté fédéral, prévoyant la création d'un fonds "Energie", financé par une hausse de 15% du prix du courant et destiné à promouvoir la politique énergétique
[5].
Afin de renforcer et compléter le programme "énergie 2000", le comité d'action du nord-est de la Suisse contre les centrales atomiques (NWA) a l'intention de lancer une initiative populaire pour la promotion de l'énergie solaire et une meilleure utilisation de l'énergie. L'initiative aurait pour ambition de renoncer progressivement à l'énergie nucléaire après la fin du moratoire et de réduire d'un quart la production de CO2 jusqu'en 2010
[6].
Au lendemain des votations de septembre 1990, plusieurs motions des groupes écologiste, socialiste, indépendant-évangélique et de la conseillère nationale Segmüller (pdc, SG), réclamant différentes mesures concrètes du Conseil fédéral dans le domaine de la politique énergétique, avaient été déposées. Dans une réponse exhaustive, où il retrace les grandes orientations du programme "énergie 2000", le Conseil fédéral proposa de transmettre comme postulat l'essentiel des dispositions contenues dans les motions, ce qui fut accepté par les motionnaires
[7].
Par ailleurs, le Conseil des Etats a accepté le postulat Huber (pdc, AG) qui demande au Conseil fédéral de présenter au parlement un projet cohérent de politique énergétique pour l'avenir avant de présenter un projet de loi
[8].
La deuxième phase de la campagne de publicité "
Bravo", lancée en octobre 1988, afin de promouvoir une utilisation rationnelle de l'énergie dans l'économie est arrivée à son terme. Le bilan est peu satisfaisant; la partie de la campagne "Energie et temps libre/sport" a même dû être annulée, faute d'une entente entre le DFTCE et les associations sportives. Les autorités fédérales se sont montrées déçues du manque de motivation et d'engagement des associations privées. Cependant, à la fin de l'année 91 a débuté la troisième phase de la campagne, qui durera jusqu'en 1993; elle s'adresse tout particulièrement aux jeunes et sera axée sur le thème de l'énergie grise
[9].
A la fin de l'année 1991, la Suisse a signé, ainsi que 34 autres Etats (certains non-européens) la
charte européenne de l'énergie. L'idée d'un tel texte a été lancée par la commission de la CE; son objectif principal est d'améliorer la coopération entre les pays d'Europe de l'Ouest et ceux de l'Est, notamment en reliant leur réseau énergétique. Tirant la leçon de la crise du Golfe, les pays signataires espèrent renforcer la sécurité de leur approvisionnement énergétique par la mise en place d'un grand marché de l'énergie à l'échelle européenne. En échange de leurs investissements et de leur savoir-faire, les pays de l'Europe de l'Ouest pourront accéder aux immenses ressources énergétiques de l'Europe de l'Est. Pour l'instant, la charte n'est qu'une déclaration politique, définissant les moyens de travailler ensemble, mais il est prévu de la compléter par des protocoles juridiquement contraignants
[10].
Le conseiller fédéral A. Ogi a présidé, au mois de juin, la conférence ministérielle de l'agence internationale de l'énergie (AIE), consacrée à l'approvisionnement en énergie durant les périodes de crise. A la suite de la guerre du Golfe, elle a recommandé aux différents Etats membres d'essayer de réduire leur dépendance en pétrole vis-à-vis du Moyen-Orient, en diversifiant leurs sources d'approvisionnement, et de constituer des réserves de pétrole pour une période de 90 jours
[11].
La consommation finale d'énergie a connu une
progression de 6,2% en 1991, ce qui représente la plus importante augmentation annuelle depuis 1973. Un tel résultat va à l'encontre de la réalisation des objectifs du programme "énergie 2000", qui visait à stabiliser la consommation d'agents fossiles et la demande d'électricité. La brusque hausse de cette année est imputable pour une bonne part à la demande accrue de produits pétroliers et plus particulièrement de combustibles (+11,10/6). Les températures peu clémentes de l'hiver et la baisse du prix du mazout extra-léger (—20% en termes réels) constituent les principales raisons de la progression du secteur des combustibles
[12].
[1] Presse du 2.3.91 (présentation du programme); JdG et NZZ, 5.7.91 (1ère réunion du groupe d'accompagnement); presse du 21.9.91 (rapport annuel); voir aussi Lit. DFTCE. Cf. aussi APS 1990, p. 136 ss.
[2] SHZ, 27.6.91; Bund, 7.8.91; cf. aussi APS 1990, p. 138.
[3] Presse du 2.3.91; Bund, 2.12.91.
[4] Energie dans la cité: SN, 25.4. et 26.4.91.; BZ, 26.4.91; SGT, 27.5.91. Bergün: TA, 27.5.91. Cf. aussi infra, part. II, 4a.
[5] LNN et TW, 18.1.91; Suisse, 23.2.91 (position des socialistes).
[7] BO CN, 1991, p. 2082 ss.; APS 1990, p. 138. s.
[8] BO CE, 1991, p. 224 ss.
[9] Il s'agit de la somme d'énergie qu'il a fallu utiliser pour extraire la matière première, la transformer, créer un produit, le mettre sur le marché et enfin l'éliminer. Bund, 1.2.91; NZZ et JdG, 8.11.91; cf. aussi APS 1989, p. 129.
[10] SHZ, 25.7.91; Express, 18.7.91; NZZ et JdG, 18.12.91.
[11] Suisse et Vr, 4.6.91.
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