Année politique Suisse 1996 : Allgemeine Chronik / Schweizerische Aussenpolitik / Politique économique extérieure
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Législation sur les exportations de matériel de guerre
Au coeur du dilemme entre valeurs éthiques et intérêts économiques, la politique suisse d'exportation de biens et services à des fins purement ou potentiellement militaires a retenu l'attention du parlement à plusieurs reprises, puisque celui-ci s'est tour à tour penché sur l'initiative populaire du parti socialiste "Pour l'interdiction d'exporter du matériel de guerre", sur la révision de la loi sur le matériel de guerre (LMG) ainsi que sur celle concernant le contrôle des biens à usages civil et militaire. Au cours des débats fleuves qui ont animé le traitement de ces trois objets successifs, un net clivage s'est dessiné entre députés de la gauche - désireux de traduire dans les faits l'image d'une Suisse neutre et à vocation humanitaire - et parlementaires bourgeois dont les principaux arguments se sont focalisés sur la nécessité de sauvegarder des emplois en Suisse et de ne pas affaiblir la place industrielle helvétique par une réglementation limitant les exportations, fussent-elles de matériel de guerre [80].
Cet affrontement d'ordre quasi dogmatique fut particulièrement vif au sein du Conseil national qui empoigna ces différents dossiers lors de la session parlementaire de printemps durant laquelle un flot de propositions individuelles fut abordé. Le pragmatisme économique devait néanmoins largement l'emporter sur les considérations idéalistes, puisqu'après avoir provoqué le rejet de l'initiative socialiste par 122 voix contre 59, la majorité de droite siégeant au Conseil national forma un front uni permettant d'assouplir plusieurs dispositions contenues dans le contre-projet indirect du gouvernement qui visait à combler les lacunes les plus criantes de la loi sur le matériel de guerre de 1972, jusqu'alors en vigueur. Point de la révision le plus médiatisé, la question de l'exportation des avions Pilatus de type PC-7 et PC-9 munis de plus de deux points d'ancrage bénéficia de la clémence des parlementaires bourgeois qui - en décidant de soustraire ces avions d'entraînement du champ d'application de la nouvelle réglementation - répondirent favorablement aux pressions exercées plusieurs semaines auparavant par l'industrie suisse des machines. C'est en effet par 114 voix contre 67 que le Conseil national refusa de soumettre l'exportation de ces appareils au régime de l'autorisation, suivant en cela une proposition Engelberger (prd, NW) contraire à la volonté du Conseil fédéral ainsi que d'une minorité de la Commission de la politique de sécurité emmenée par la socialiste zurichoise Hearing-Binder. Hormis les Pilatus, devaient également être biffés de la liste des biens considérés comme matériel de guerre les équipements servant à l'instruction au combat ainsi que les machines et outils destinés exclusivement à la fabrication, au contrôle et à l'entretien du matériel de guerre après que le député radical zurichois Eric Müller eut déposé une proposition dans ce sens qui fut approuvée par 101 voix contre 81. Ce rétrécissement conséquent du champ couvert par la loi aurait également pu concerner les pièces détachées et les éléments d'assemblage utilisés à des fins militaires si pareille proposition n'avait finalement pas été repoussée à une voix près. C'est en revanche à une plus large majorité que la Chambre du peuple a décidé de soumettre le courtage de matériel militaire à autorisation, entérinant ainsi une des principales innovations contenues dans le projet du gouvernement. Quant à la proposition Dupraz (prd, GE) qui entendait ajouter les mines antipersonnel à la liste des armes qu'il est interdit de fabriquer et d'exporter, elle a été adoptée par 110 voix contre 43 [81].
L'affaiblissement du projet du Conseil fédéral décrété par la Chambre du peuple fut quelque peu compensé par la décision des députés du National de soumettre l'ensemble des biens soustraits à la liste du matériel de guerre - à savoir les Pilatus PC-7 et PC-9, les machines-outils et les simulateurs pour l'instruction au combat - à la loi révisée sur le contrôle des biens utilisables à des fins civile et militaire qui récolta les suffrages de 128 parlementaires contre 4 lors du vote sur l'ensemble. Cette législation demeure néanmoins nettement moins incisive que celle sur le matériel de guerre proprement dit puisqu'elle ne permettra des contrôles que si ceux-ci sont prévus par des accords ou arrangements internationaux [82].
Quelques jours après que le Conseil national eut exclu les Pilatus PC-7 de la loi sur le matériel de guerre, de nombreux quotidiens suisses devaient faire état de l'engagement armé de plusieurs de ces appareils contre les rebelles karénis en Birmanie. S'appuyant sur ces révélations, la Communauté de travail des oeuvres d'entraide suisses fit alors pression sur la Commission de la politique de sécurité du Conseil des Etats pour que les Pilatus PC-7 et PC-9 munis de plus de deux points d'ancrage tombent sous le coup de la définition du matériel de guerre. Cette revendication ne trouva toutefois pas grâce auprès du plénum qui, conformément au Conseil national, choisit de soumettre ces avions au régime moins contraignant de la loi sur le contrôle des biens à double usage, adoptée à l'unanimité. Les sénateurs optèrent néanmoins à une voix près pour l'instauration d'un garde-fou aux termes duquel les livraisons de ces avions (mais également des autres biens à usages civil et militaire) seront interdites en direction des pays frappés par un embargo de l'ONU ou par des mesures internationales de contrôle des exportations auxquelles participent les principaux partenaires commerciaux de la Suisse. Par cette décision, le Conseil des Etats a élargi de quatre à une quinzaine la liste des pays vers lesquels les Pilatus ne pourront être acheminés. Dans le même esprit de renforcer quelque peu les dispositions légales adoptées par le National, la Chambre des Etats devait décider dans un premier temps par 20 voix contre 19 de faire entrer les machines-outils dans le champ d'application de la loi sur le matériel de guerre. Sur les autres points principaux de la révision de la LMG, et notamment sur celui concernant l'interdiction de fabriquer et d'exporter des mines, les sénateurs se rallièrent à leurs collègues du Conseil national avec lesquels ils s'étaient au préalable largement entendus sur le rejet de l'initiative populaire "Pour l'interdiction d'exporter du matériel de guerre" [83].
A l'issue de la procédure d'élimination des divergences, le Conseil national a fait sienne par 85 voix contre 76 la disposition plus restrictive introduite par la Chambre des Etats concernant l'exportation des Pilatus. De son côté, cette dernière revint in extremis sur sa décision relative aux machines et outils conçus exclusivement pour la fabrication d'armes qui tomberont finalement sous le coup de la loi sur le contrôle des biens à double usage [84].
Concernant le délicat dossier des Pilatus PC-7, le Conseil national a refusé de transmettre une motion Ziegler (ps, GE) qui - au vu de l'utilisation faite par le gouvernement du Mexique de ces appareils dans la province du Chiapas - demandait au Conseil fédéral d'interrompre immédiatement la livraison de pièces de rechange contractuellement prévue et de renoncer à poursuivre tout acte de service ou de livraison. Arguant par ailleurs que les autorités mexicaines avaient violé la lettre et l'esprit du contrat de vente en utilisant ces appareils à des fins militaires, le motionnaire souhaitait également que le gouvernement élève une protestation publique à l'encontre des dirigeants mexicains, requête à laquelle le Conseil fédéral n'a toutefois pas accédé du fait que l'achat de ces appareils n'était subordonné à aucune condition concernant leur engagement [85].
 
[80] Voir APS 1995, p. 88 s.80
[81] BO CN, 1995, p. 71 ss.; FF, 1996, IV, p. 836 s.; Blick, 17.2.96; presse des 26.2 et 5-7.3.96; TW, 29.2.96; BaZ, 5.3.96.81
[82] BO CN, 1996, p. 131 ss.; presse du 7.3.96. A ce titre, il est à relever que le CF a souscrit à l'Arrangement de Wassenaar sur le contrôle des exportations d'armes conventionnelles et de biens et technologies à usages civil ou militaire. Les 28 pays fondateurs de ce nouveau forum qui succède au Cocom se sont engagés à exercer une responsabilité et une transparence accrues dans la livraison de tels équipements: presse du 28.3.96.82
[83] BO CE, 1996, p. 803 ss. et 826 ss.; NQ, 20.3.96; presse des 25.4, 31.5, 13.8, 6.9, 3.10 et 4.10.96; 24 Heures, 25.5.96.83
[84] BO CN, 1996, p. 1961 ss., 1977 ss., 2143 ss., 2487 s. et 2491; BO CE, 1996, p. 926 ss. et 1193 s.; FF, 1996, V, p. 980 ss.; NZZ, 31.10.96; presse des 26.11, 29.11 et 5.12.96.84
[85] BO CN, 1996, p. 147 s.85