Année politique Suisse 1997 : Infrastruktur und Lebensraum / Energie
Energie nucléaire
Bien qu'ayant été dans l'ensemble fructueuses, les discussions qui se sont tenues dans le cadre du "dialogue énergétique" conduit sous l'égide du chef du DFTCE ont confirmé l'existence d'irréductibles tensions entre opposants et partisans de l'énergie nucléaire. Quelque peu apaisé grâce à l'"armistice énergétique" issu des votations de 1990, ce conflit latent a d'ailleurs été réactivé suite à la décision du Comité "L'énergie sans le nucléaire" de lancer deux initiatives populaires sur le modèle de celles qui avaient été soumises au peuple suisse en 1990. Intitulée "Moratoire plus", la première des deux initiatives entend prolonger de dix ans l'actuelle interdiction de construire de nouvelles centrales atomiques. Plus ambitieuse, la seconde requiert quant à elle la sortie progressive de l'ère nucléaire. Composé de plusieurs associations écologistes et antinucléaires ainsi que du PS et des Verts, le Comité "L'énergie sans le nucléaire" entamera la récolte des signatures au printemps 1998.
Menée sous la houlette de l'Union des centrales suisses d'électricité (UCS), l'étude "Possibilités et limites d'un approvisionnement décentralisé de l'électricité en Suisse" est parvenue à la conclusion que l'
abandon de l'énergie nucléaire dès l'an 2030 est techniquement réalisable à l'échelon national. L'auteur de cette expertise, le directeur des Forces motrices du Nord-Est de la Suisse, Hans Rudolf Gubser, a envisagé à cette fin la construction d'environ 240 000 petites centrales thermiques décentralisées avec chauffage à distance produisant à la fois du courant et de la chaleur (couplage chaleur-force). Selon ce scénario, il suffirait alors d'ériger quelques grosses centrales électriques alimentées au gaz pour que la Suisse puisse se passer entièrement de l'atome qui, à l'heure actuelle, fournit 39% de l'électricité consommée dans le pays. Bien que jugée praticable sur le plan théorique, cette option ne manque cependant pas de soulever certains problèmes quant à sa réalisation, comme a tenu à le préciser M. Gubser. Sur le plan économique tout d'abord, cette solution engendrerait des investissements de l'ordre de 46 milliards de francs. Par ailleurs, elle contribuerait à une augmentation significative des rejets de CO2 dans l'atmosphère. Enfin, la décentralisation de la production de courant se traduirait par d'importantes dépenses organisationnelles
[19].
En raison de l'immense écho médiatique rencontré par cette expertise, l'Union des centrales suisses d'électricité a tenu à
relativiser l'intérêt à porter à un éventuel abandon de l'atome en rappelant que les avantages et inconvénients de cette option étaient à mettre en balance avec les nombreux autres scénarios que l'UCS a élaborés depuis 1995 en vue de garantir l'approvisionnement futur de la Suisse en courant électrique. Les producteurs d'électricité ont ainsi confirmé dans une large mesure leur attachement au nucléaire qui, selon eux, doit être utilisé tant que les centrales atomiques suisses sont rentables et sûres. Quoi qu'il en soit, l'étude de l'UCS semble néanmoins illustrer une certaine baisse d'intérêt pour l'option nucléaire indigène au sein des milieux énergétiques dont les causes résident en grande partie dans les perspectives qu'ouvre la libéralisation du marché de l'électricité à l'échelon européen: En laissant entrevoir la possibilité de s'approvisionner à meilleur compte en courant nucléaire étranger, cette libéralisation rend en effet nettement moins attractive l'éventuelle réalisation d'infrastructures coûteuses et politiquement contestées que sont les centrales nucléaires
[20].
Alors que les différents scénarios d'abandon du nucléaire à plus ou moins long terme se sont jusqu'ici focalisés sur la question de la sécurité de l'approvisionnement du pays en électricité, une étude mandatée par l'OFEN est parvenue à la conclusion qu'une sortie du nucléaire avant l'an 2024 pourrait également avoir des répercussions sur la couverture financière des
coûts liés au stockage des déchets radioactifs ainsi qu'au démantèlement futur des centrales atomiques suisses (16,2 milliards de francs au total, dont 13,7 milliards pour le seul entreposage des déchets). Tablant sur une exploitation des installations nucléaires durant 40 ans, le modèle de financement élaboré par les exploitants des cinq centrales suisses ne permettra pas en effet de couvrir les quelque 9,4 milliards de francs non encore amortis à ce jour au cas où un abandon plus rapide de l'option nucléaire viendrait à être décrété. Face à ce constat, le député socialiste Rechsteiner (BS) a demandé que le système d'amortissement de ces frais soit révisé en fonction d'une durée de vie des centrales atomiques ramenée à 25 ans. Se saisissant du dossier, le Conseil fédéral a annoncé qu'une
ordonnance relative à la constitution d'un fonds spécial financé par les exploitants des centrales atomiques et destiné à assurer la couverture de l'ensemble de ces coûts en cas d'abandon prématuré du nucléaire était en préparation. Le gouvernement a par ailleurs déclaré que le problème serait réexaminé de façon plus globale dans le cadre de la révision de la loi sur l'énergie atomique dont l'avant-projet devrait être mis en consultation en 1998
[21].
Après avoir été débattue au sein de la grande Chambre en 1996, la
motion Fischer (prd, AG) concernant les contributions que peut fournir l'énergie nucléaire à la réduction des émissions de gaz carbonique a été examinée par le Conseil des Etats. Le premier point de la motion - qui chargeait le gouvernement d'intégrer des dispositions destinées à promouvoir la production d'énergie à partir de l'atome dans son projet de loi sur le CO2 - a été transmis comme postulat, puis directement classé en raison de la publication alors toute récente du message relatif à la loi sur la réduction des émissions de CO2. A l'instar du Conseil national, la Chambre haute a ensuite décidé de transmettre sous la forme d'un postulat le second volet de la motion qui enjoint l'exécutif fédéral à indiquer le rôle qu'il entend accorder à l'énergie nucléaire dans sa stratégie visant à prévenir la pénurie d'électricité annoncée pour 2010. Quant au troisième point de la motion sur l'importance à attribuer à l'énergie atomique dans le plan d'action national sur les changements climatiques, il a tout simplement été rejeté par les sénateurs
[22].
Deux décisions majeures sont venues couronner la lutte menée depuis une dizaine d'années par les opposants à la centrale nucléaire de
Creys-Malville (France voisine). En mars tout d'abord, le Conseil d'Etat français - la plus haute juridiction administrative du pays - a décidé d'annuler le décret que le gouvernement Balladur avait arrêté en juillet 1994 et qui autorisait le redémarrage du surgénérateur à des fins de recherche et de démonstration. Les magistrats français ont ainsi répondu favorablement aux trois requêtes déposées simultanément par le WWF-Genève et les nombreuses communes et associations suisses qui l'épaulaient, par le canton de Genève et par la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature. Le décret de 1994 a été déclaré illégal en raison de la subite reconversion de Superphénix en une installation de recherche, alors que ni la demande de remise en fonction déposée en 1992 par l'exploitant de la centrale, ni le dossier soumis à l'enquête publique ne stipulaient un pareil changement d'affectation. Dopés par cette décision tant attendue, les opposants à la centrale - dont le front continua à s'élargir avec l'entrée dans leurs rangs de plusieurs collectivités publiques autrichiennes et italiennes - ne relâchèrent cependant pas leurs pressions en vue d'un abandon définitif de Superphénix, qui aurait pu redémarrer au terme d'une enquête publique conforme à la nouvelle finalité du réacteur. Leur voeu ne tarda toutefois pas à être exaucé suite à l'arrivée au pouvoir du gouvernement Jospin qui, sous l'impulsion de la ministre française de l'environnement, Dominique Voynet, annonça son intention d'arrêter définitivement le surgénérateur. Les modalités et le calendrier du démantèlement du réacteur n'étaient toutefois pas encore connus à la fin de l'année sous revue, ce qui suscita à nouveau l'inquiétude des opposants à Creys-Malville
[23].
Alors qu'ils avaient obtenu gain de cause devant la Commission des droits de l'homme en 1996, les recourants contre la décision prise en 1992 par le Conseil fédéral de prolonger de dix ans l'exploitation de la centrale de
Mühleberg (BE) et d'autoriser parallèlement l'augmentation de sa puissance de 10% ont finalement été déboutés par la Cour européenne des droits de l'homme. Par douze voix contre huit, les juges de Strasbourg ont en effet estimé que la législation suisse relative aux infrastructures nucléaires respecte la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), même si la procédure d'autorisation en la matière ne permet pas aux parties de s'adresser à un tribunal indépendant. Signalons cependant qu'une telle prérogative figurera dans le projet de révision totale de la loi sur l'énergie atomique qui sera mis en consultation en 1998
[24].
Une inspection de la Division principale de la sécurité des installations nucléaires (DSN) a révélé que les fissures constatées dès 1990 dans le manteau du réacteur de la centrale de Mühleberg se sont aggravées au cours de l'année 1996-1997. Estimant qu'il convenait de prendre toutes les précautions possibles en la matière, le conseiller fédéral Moritz Leuenberger a alors demandé une expertise à un consultant allemand indépendant afin de s'assurer que - conformément au dire de la DSN - ces fissures ne sont pas préjudiciables à la sécurité de l'installation. Saluée par les mouvements écologistes, la décision du chef du DFTCE a en revanche suscité l'incompréhension de l'Association suisse pour l'énergie atomique (ASPEA) pour qui l'avis de la DSN ne saurait être mis en doute. Ces interrogations concernant la sécurité de la centrale bernoise n'ont toutefois pas empêché la mise à l'enquête publique de la demande d'exploitation illimitée de Mühleberg que les Forces motrices bernoises (FMB) avaient adressée au Conseil fédéral en 1996. Celle-ci a cependant donné lieu à une véritable levée de boucliers de la part des opposants à la centrale, puisque pas moins de 1170 particuliers et quatre organisations antinucléaires ont fait opposition à la requête des FMB. Le gouvernement a pour sa part déclaré ne vouloir se prononcer sur cette question qu'une fois connus les résultats de l'expertise sur les fissures dans la jupe du réacteur.
En raison de la corrosion anormalement importante de certains éléments du réacteur de la centrale nucléaire de
Leibstadt (AG), le DFTCE a décidé de suspendre la procédure d'autorisation concernant l'éventuelle augmentation de 15% de la puissance de cette centrale. Estimant que les conditions techniques étaient à nouveau remplies à l'issue de la révision annuelle de l'installation, les exploitants de la centrale ont à nouveau sollicité le feu vert du Conseil fédéral pour porter la puissance du réacteur de 3138 à 3600 mégawatts
[26].
La missive que le conseiller fédéral Moritz Leuenberger avait transmise au gouvernement nidwaldien en décembre 1996 pour confirmer à ce dernier l'attachement qu'il porte au
Wellenberg (NW) en tant que site le plus approprié à l'établissement d'un dépôt pour déchets faiblement et moyennement radioactifs a été portée à la connaissance des opposants à ce projet en début d'année. Ces derniers ont alors immédiatement décidé de relancer leur action de protestation via une récolte de signatures en faveur d'une résolution demandant aux autorités fédérales de respecter le résultat négatif sorti des urnes lors de la votation cantonale de juin 1995. Dans cette optique, les opposants ont demandé que le chef du DFTCE renonce à la stratégie par étapes élaborée en 1996 et qu'en conséquence, le projet visant à creuser une galerie de sondage dans le sous-sol de la commune de Wolfenschiessen soit abandonné. Ayant décidé de ne pas exclure d'emblée la tenue d'un second scrutin cantonal sur cette question, les autorités fédérales ont institué un groupe de travail chargé d'éclaircir certains aspects techniques du projet, puis de soumettre - d'ici à la fin de l'année sous revue - des propositions à un comité directeur de nature politique dont dépendra la suite à donner à ce dossier. Estimant de leur côté qu'il convenait de repenser la politique suisse d'entreposage des déchets radioactifs dans son ensemble et non pas se limiter au seul examen du Wellenberg, les associations antinucléaires "Komitee für eine Mitsprache des Nidwaldnervolkes bei Atomanlagen" (MNA) et "Arbeitsgruppe kritisches Wolfenschiessen" (AkW) ont refusé de siéger au sein du groupe de travail. En l'absence de représentants de l'opposition, le groupe d'experts a jugé que le choix du Wellenberg était toujours pleinement justifié d'un point de vue technique et qu'il fallait dès lors poursuivre les investigations sur ce site. Sur le plan politique cependant, le DFTCE a confirmé formellement à la mi-juin sa décision de suspendre la procédure d'autorisation générale liée au dépôt, et ce tant que la confirmation des données actuelles n'aura pu être apportée par le percement de la galerie de sondage
[27].
Les analyses géologiques que la Coopérative pour l'entreposage des déchets radioactifs (CEDRA) a à charge de mener dans la région de Benken (ZH) en prévision de l'aménagement d'un éventuel
dépôt final pour déchets hautement radioactifs ont continué de se heurter à une forte opposition régionale. Cette dernière n'a cependant pu empêcher que la campagne de mesures sismiques soit menée à terme, et ce en dépit de l'appel lancé par les associations antinucléaires "Bedenken" et "Igel" demandant aux propriétaires fonciers locaux de refuser l'accès de leurs terrains aux appareils de mesures. En revanche, les opérations de sondage que la CEDRA projette de mener dans le sous-sol du
Weinland (ZH) ont été bloquées à la suite du recours déposé par "Bedenken" contre l'autorisation de construire une installation de forage que la commune de Benken avait octroyée quelque temps auparavant. Saisi du dossier, le Conseil d'Etat zurichois a débouté les recourants qui ont alors décidé de porter leur cause devant le tribunal administratif cantonal. Parallèlement, la CEDRA a achevé avec succès son programme de mesures sismiques dans la région argovienne du
Mettauertal. Sur la base des données ainsi récoltées, la coopérative a alors annoncé son intention de déposer dans le courant de l'année 1998 une demande d'autorisation pour une campagne de sondages dans le District de Laufenburg (AG) auprès du Conseil fédéral
[28].
Les festivités organisées à l'occasion de la pose de la première pierre du
dépôt intermédiaire central pour déchets radioactifs à Würenlingen (AG) ont été troublées par la présence d'activistes de Greenpeace et de l'association antinucléaire allemande "Aktiongemeinschaft gegen Atom, Horchrein". Après avoir déclaré que le projet de Würenlingen ne respecte ni les standards de sécurité actuels, ni les prescriptions contenues dans l'autorisation de construire, les manifestants ont réitéré leur opposition à la réalisation du dépôt ainsi qu'au traitement des éléments combustibles usés prévu sur le site. Cette action de protestation n'a toutefois pas empêché la poursuite des travaux
[29].
Le
recyclage du combustible nucléaire a été condamné par la Coalition antinucléaire nationale (CAN) qui - étude à l'appui - a estimé que ce procédé présente de graves manquements tant sur les plans écologique que économique. La CAN a dès lors demandé que la révision de la loi sur l'énergie atomique qui débutera en 1998 consacre l'abandon définitif du retraitement des substances radioactives sur le territoire suisse, d'une part, et que les contrats passés avec les usines de La Hague (F) et Sellafield (GB) soient résiliés, d'autre part
[30].
Le Conseil national a transmis comme postulat une motion Ostermann (pe, VD) invitant le gouvernement à interdire pour des motifs sécuritaires le
transport de plutonium par voie aérienne au-dessus de la Suisse
[31].
Après vingt ans de polémique et de procédures administratives, le Conseil fédéral a définitivement rejeté les recours qui subsistaient contre la réalisation à ciel ouvert de la ligne à haute tension entre
Galmiz (FR) et
Verbois (GE). Il est désormais prévu que les travaux de construction de cette infrastructure puissent être achevés d'ici à l'automne 1998
[32].
[19]
SoZ, 16.3.97; presse du 17.3.97.19
[20] Presse du 2.4.97;
Blick, 6.4.97;
NF et
Lib., 12.5.97;
NQ, 4.6.97. Cf. également
APS 1995, p. 156.20
[21] Presse des 12.9 et 12.11.97;
BaZ, 13.9 et 11.10.97;
SN, 8.10.97;
TW, 9.10.97;
SoZ, 9.11.97;
BZ, 24.12.97. Voir également
APS 1994, p. 143 et
FF, 1997, IV, p. 1390 ss.21
[22]
BO CE, 1997, p. 259 ss. Voir aussi
APS 1996, p. 166.22
[23] Presse des 1.3 (Conseil d'Etat), 15.4 et 20.6.97;
JdG, 20.3, 17.6 et 21.6.97;
NQ, 10.6, 30.10, 17.12 et 24.12.97;
BaZ, 16.6.97;
SGT, 10.12.97. Voir également
APS 1994, p. 140.23
[24] Presse des 21.2 et 27.8.97. Cf. également
APS 1996, p. 167. Il est à noter que deux autres affaires similaires sont encore pendantes à Strasbourg, l'une concernant la prolongation de l'exploitation de Beznau II (AG), l'autre visant l'autorisation accordée en 1996 pour le dépôt intermédiaire central pour déchets radioactifs à Würenlingen (AG):
Lib., 27.8.97.24
[26]
Blick, 6.4.97;
AZ, 5.7, 15.8, 9.12 et 19.12.97; presse du 11.7.97;
SGT, 30.7.97;
TA, 4.8.97;
NLZ, 6.8.97. Voir aussi
APS 1996, p. 167.26
[27]
TA, 7.1.97; presse des 29.1 et 7.3.97;
BüZ, 13.2.97;
NLZ, 13.3, 27.3, 1.5, 10.6 et 14.6.97;
SoZ, 16.3.97;
NZZ, 27.3, 3.5 et 7.6.97. Voir aussi
APS 1996, p. 167 s.27
[28] Presse des 15.1, 24.7 et 12.9.97;
SN, 27.1, 4.4 et 26.7.97;
NZZ, 30.1, 19.2, 1.4 et 27.10.97 (Mettauertal);
TA, 24.2 et 13.9.97;
WoZ, 28.2.97;
SGT, 24.3.97. Voir aussi
APS 1996, p. 169.28
[29] Presse du 8.1.97;
WoZ, 10.1.97;
AZ, 12.9.97. Cf. également
APS 1996, p. 168 s.29
[30] Presse du 11.9.97.30
[31]
BO CN, 1997, p. 2838.31
[32] Presse des 18.3 et 26.3.97;
Lib., 29.8.97. Cf. également
APS 1995, p. 164.32
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