Année politique Suisse 2001 : Allgemeine Chronik / Landesverteidigung
Organisation militaire
Par voie de motion, le conseiller national Pierre Chiffelle (ps, VD) a demandé au gouvernement d’examiner un
abandon des tirs obligatoires auxquels chaque soldat est astreint. Le parlementaire, en argument principal, a avancé qu’une économie d’environ 10 millions de francs pourrait être réalisée en réformant un exercice selon lui inutilement contraignant. Sans entrer dans le débat des chiffres, Samuel Schmid a défendu l’importance de maintenir un niveau d’efficacité optimum via les tirs obligatoires, objectif qui n’est pas développé individuellement durant les cours de répétition. Cet exercice annuel est prévu dans le cadre d’Armée XXI, aussi pour conserver à chaque soldat une bonne connaissance des prescriptions de sécurité et une régulière maintenance technique de son arme. Au National, la motion a été refusée par 68 voix contre 45
[29].
Dans le cadre d’Armée XXI, l’Etat major a en outre annoncé son intention de constituer une
unité d’élite chargée, en temps de paix, de secourir des Suisses à l’étranger et d’effectuer des opérations de reconnaissance sur le terrain. En temps de guerre, ce corps de plusieurs dizaines d’hommes – mais inférieur à cent – serait chargé d’opérations derrière les lignes ennemies, comme le marquage d’objectifs pour avion. Cette unité spéciale, qui accompagnerait l’approbation d’Armée XXI, aurait pour nom «détachement de reconnaissance de l’armée» et impliquerait pour les volontaires une formation spéciale de 18 mois à Isone (TI)
[30].
Le Conseil des Etats a accepté une motion émanant de la commission de l’économie et des redevances, proposant la modification de la loi sur l’assurance chômage-invalidité (LACI) et du régime des APG afin que les jeunes entre deux périodes de service militaire ou entre la fin de leurs études et leur service militaire ne soient plus privés de leurs
indemnités de chômage. Cette motion avait été agréée l’année précédente par le Conseil national
[31].
Le DDPS a indiqué qu’un groupe de travail avait été créé en son sein afin de réfléchir sur les possibilités d’élaborer des critères de sélection plus strictes afin d’éviter le recrutement d’
extrémistes de droite. L’armée ne veut plus offrir un terreau à ce type de profils idéologiques, et prépare des mesures de prévention plus efficaces, aussi au niveau de la formation des officiers et particulièrement des commandants d’école
[32].
En début d’année,
le DDPS a remis au Conseil fédéral le plan directeur d’Armée XXI, dont les grandes lignes avaient été exposées l’année précédente
[33]. Changement d’importance survenu entre temps sur l’initiative du commandant de corps Jean Abt: la possibilité pour les recrues de partager leur école en deux périodes de trois mois, étalées sur deux ans. Le plan directeur entérine aussi la décision d’ouvrir tous les fonctions militaires aux femmes, ainsi que la disparition des troupes du train et des cyclistes. Il a aussi précisé l’un des points essentiels de la réforme: la centralisation du
recrutement dans six centres, qui accueilleront dès 2002 les jeunes appelés pour un séjour de deux ou trois jours
[34]. L’objectif de ce nouveau système est de cerner au mieux les profils psychologiques des recrues et d’éviter ainsi un taux trop important d’abondons en cours de service militaire. Alors que ce taux s’élevait à 8% en 1980, il a atteint un peu moins de 15% en 2000
[35]. Ce phénomène représenterait 90 000 jours de service et un coût évalué à 10 millions de francs
[36]. Entre six et sept centres de recrutement seront opérationnels dès 2003. A ce sujet, le gouvernement a reçu les doléances mi-inquiètes, mi-offusquées, du Tessin. Ce dernier ne serait pas inscrit sur la liste des cantons chargés d’abriter les nouveaux centres de recrutement. Le conseiller d’Etat Luigi Pedrazzini (pdc), chef des Affaires militaires du Tessin, s’en est ouvert à Samuel Schmid, invoquant «une question de principe» et rappelant l’importance pour le canton italophone de conserver un contrôle direct sur le recrutement de ses ressortissants, soit environ 1300 jeunes gens par année
[37].
Sans remettre en cause les points essentiels du plan directeur, le gouvernement a toutefois demandé au département de Samuel Schmid de faire en sorte de réduire le budget prévu annuellement, de 4,3 milliards à 4 milliards de francs, demande que Samuel Schmid a déclaré incompatible avec les objectifs de fonctionnement d’Armée XXI et son souci d’autonomie
[38]. Cet argument a porté ses fruits, puisque le Conseil fédéral, lors de la
mise en consultation du plan directeur quelques semaines plus tard, a finalement maintenu le budget militaire initial. Le renforcement de la part des investissements voulu par le DDPS (voir ci-dessous) fut un argument important dans le maintien de ce budget: sur 4,3 milliards de francs, 2 milliards seront alloués aux investissements, soit un plan de dépenses de 29 milliards de francs répartis sur 15 ans. La mise en application d’Armée XXI est prévue pour le 1er janvier 2003
[39].
Au cours de sa mise en consultation, le plan directeur a subi de
très
nombreuses critiques de sources politiques, civiles et militaires. Plus tôt dans l’année, un groupe de hauts gradés avait déjà publié dans la presse une lettre où il jugeait la réforme inconstitutionnelle, car ne tenant plus compte du principe de défense autonome inscrit dans la Constitution
[40]. Une fois le projet transmis en consultation, la Société suisse des officiers (SSO) a émis le souhait d’y voir adapté des modifications, notamment dans les domaines de l’organisation et de la formation
[41]. Au niveau des partis, le PS, jetant un véritable pavé dans la mare, a plaidé pour une défense professionnelle de 15 000 hommes. Si l’armée de milice devait être maintenue, le parti préconiserait un maximum de 120 000 soldats au total, pour 200 jours de service et un budget de 2,5 milliards de francs. Le tout répondrait à une analyse des menaces probables, effectuée chaque dix ans
[42]. Pour sa part, le PRD, pourtant largement initiateur de la réforme, a demandé une révision entière de la réforme. Le parti a déploré l’abandon du train et la trop longue période d’affilée de l’école de recrue, handicap pour l’économie et pour la formation universitaire. Il a plaidé pour une école de 280 jours maximum, une plus grande prise en considération des commandements régionaux et, partant, une marge de manœuvre de l’état-major général plus limitée. Enfin, il a soulevé les risques d’une armée à deux vitesses, avec une professionnalisation accrue du secteur militaire
[43]. Toujours dans un registre conservateur, l’UDC s’est élevée contre les projets d’ouverture et de coopération internationale de la réforme. Elle a rejeté l’option du service long (300 jours), ferment de professionnalisation, ainsi que la limite d’âge fixée à 30 ans. L’ASIN a voué aux gémonies le projet, le jugeant «incohérent, superficiel et dépassé». Lors de l’assemblée des délégués udc, Samuel Schmid a même été violemment désavoué par les membres de son parti: 291 voix contre 49 ont proposé le renvoi du plan directeur au Conseil fédéral
[44]. Parmi les partis gouvernementaux, seul le PDC a approuvé le projet dans son ensemble, soulignant au passage l’importance de la nature de milice de l’armée suisse
[45].
Les
associations d’étudiants ont contesté le nouveau calendrier de l’école de recrues, le jugeant inadapté aux contraintes universitaires. Alors que 16 semaines d’école de recrue traditionnelles empêchaient déjà les nouveaux universitaires d’assister au début des cours en octobre (pour les deux tiers d’étudiants qui choisissent d’effectuer leur service en été), les 24 semaines d’affilée prévues par Armée XXI apparaissent comme un obstacle infranchissable au cursus des universitaires. L’Union nationale des étudiants suisses (VSS/UNES) a aussi rappelé que l’abaissement de la limite d’âge pour servir, de 42 à 30 ans, concentre les obligations militaires sur une durée inadéquate pour les recrues universitaires – un quart des 20 000 personnes appelées chaque année sous les drapeaux –, contraintes à jongler difficilement entre leurs examens et leurs jours de service. L’association a peur que le DDPS ne cherche à encourager, par ce calendrier, le choix d’un service long de la part des étudiants
[46].
Face à cette volée de voix discordantes,
le DDPS a été contraint de retarder le calendrier de mise en application d’Armée XXI, et d’en modifier les points conflictuels. Les quatre changements par rapport au plan directeur: la durée de l’école de recrue est ramenée à 21 semaines au lieu de 24, soit 262 jours d’affilée; la troupe du train, chère aux conservateurs, est finalement maintenue; le poids des unités blindées est revu à la baisse, passant de trois à deux brigades; enfin, le système de service long (300 jours d’affilée) ne pourra pas excéder un cinquième des effectifs, répondant ainsi aux craintes d’une professionnalisation de l’armée. La mouture finale du texte a été transmise en octobre au parlement
[47].
En prémisse à la réforme, une première expérience pilote de
service long a démarré en été. Les 210 volontaires ont passés un semestre d’instruction à Savatan (VS), avant de rejoindre Coire (GR) pour un entraînement de quatre mois sur le terrain. Le DDPS table sur un contingent de 3000 volontaires engagés dans ce service dès 2003, afin de pouvoir disposer d’une force permanente de soldats prêts à participer aux multiples opérations d’aide en cas de catastrophe ou d’assistance à la population
[48].
[29]
BO CN, 2001, p. 638 s.29
[31]
BO CE, 2001, p. 131 s. Voir aussi
APS
2000, p. 86.31
[33] Voir
APS
2001, p. 86 s.33
[34] Trois centres ont déjà été annoncés: Lausanne (VD), Mels (SG) et Rüti (ZH).34
[38] Presse du 23.2.01.38
[42] Ce projet a ensuite été adopté par l’assemblée des délégués socialistes, par 153 voix contre 18 et 11 abstentions (
24h, 10.12.01).42
[43] Emanant des rangs des radicaux, une motion Schneider (prd, BE) a demandé au gouvernement de s’engager sur un certain nombre de points, notamment un effectif maximum de 1000 soldats contractuels intégrés dans la nouvelle armée. Le CF a rassuré son auteur en rappelant que ce chiffre était prévu dans le plan directeur, et lui a proposé de transformer sa motion en postulat. La motion a été rejetée à 82 voix contre 41 (
BO CN, 2001, p. 816 ss.).43
[44] Presse du 20.8.01.44
[45] Presse du 27.7.01.45
[46]
LT, 1.3.01;
24h, 2.5.01.46
[47] Presse du 25.10.01.47
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