Année politique Suisse 2002 : Allgemeine Chronik / Schweizerische Aussenpolitik / Organisations internationales
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ONU
La campagne sur l’initiative populaire fédérale « pour l’adhésion de la Suisse à l’Organisation des Nations Unies (ONU) » a véritablement commencé en début d’année. Lors de sa traditionnelle allocution du nouvel an, le président de la Confédération, Kaspar Villiger, s’est exprimé en faveur d’une participation de plein droit aux travaux des Nations Unies. Il a insisté sur sa qualité de seule organisation mondiale s’employant à faire respecter les droits de l’homme, à désamorcer les conflits, à combattre la faim et à empêcher les atteintes à l’environnement. Le coup d’envoi de la campagne sur le plan national a toutefois été donné par les opposants, réunis sous la bannière du Comité d’action suisse contre l’adhésion à l’ONU politique. Fer de lance de ce comité, le conseiller national zurichois Christoph Blocher (udc, ZH) était accompagné de trois co-présidents. Les anciens parlementaires fédéraux Hans Letsch (prd, AG) et Paul Eisenring (pdc, ZH) devaient représenter une opposition traditionnelle, invoquant la défense de la neutralité. De même, les droits populaires seraient atteints dans la mesure où les diplomates pourraient décider à la place du peuple souverain. Ces arguments, auxquels il faut ajouter le coût excessif et l’inefficacité de l’organisation, étaient similaires à ceux de la votation de 1986 sur le même thème. Ceux du conseiller national Serge Beck (pl, VD) s’adressaient à un autre type d’électeurs. Il a défendu une approche ambitieuse de la politique étrangère helvétique. Considérant que l’ONU était, par l’utilisation du droit de veto, instrumentalisée par les grandes nations, la Suisse risquait de perdre sa crédibilité en tant que dépositaire des Conventions de Genève. Trois autres comités ont été formés : Contribuables contre l’adhésion à l’ONU, Comité pour une suisse humanitaire et contre l’adhésion à l’ONU (formé de médecins) et Jeunes contre l’adhésion à l‘ONU. L’Action pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN) était chargée de cordonner la campagne des quatre comités. La campagne romande a été menée par la Ligue vaudoise. Les opposants ont admis que leur stratégie visait principalement à obtenir une majorité des cantons, celle du peuple semblait être inatteignable. De nombreux autres comités se sont formés au niveau des cantons notamment [11].
La réplique des partisans ne s’est pas faite attendre et le Conseil fédéral a lancé la campagne le lendemain. Ce ne sont pas moins de trois membres du gouvernement qui se sont chargés de la défense du dossier. Ils ont fait appel au bon sens politique de leurs concitoyens pour qu’ils comprennent que les intérêts de la Suisse seraient mieux défendus en tant que membre à part entière. L’exécutif est entré en campagne avec un large soutien des partis politiques, excepté celui de l’UDC et de quelques formations non gouvernementales. Les associations économiques faîtières, l’USAM et Economiesuisse, ont mis à la disposition des partisans un montant supérieur à celui des pouvoirs publics et se sont chargés de la coordination de la campagne [12].
Cette votation a mobilisé un grand nombre d’acteurs qui, en règle générale, ne prennent position que sur des objets les concernant directement. Il ne s’agit pas ici d’en dresser une liste exhaustive, mais plutôt de mentionner les plus importants. Les cantons romands, ainsi que Berne, se sont particulièrement illustrés en organisant une conférence de presse commune au Palais des nations à Genève, siège européen de l’organisation, pour appuyer l’adhésion. De même les exécutifs zurichois, obwaldien, jurassien, de Bâle-Ville et le Parlement jurassien se sont unanimement exprimés dans le même sens [13]. Des organisations de protection de l’environnement se sont associées pour soutenir l’initiative et ont souligné que seul le système onusien était capable de traiter de manière globale les questions environnementales. La Société suisse pour la protection de l’environnement, l’Association Transport et Environnement, Greenpeace, Pro Natura et le WWF se sont ralliés au slogan « Oui à l’environnement, oui à l’ONU » [14]. Convaincus qu’une participation pleine et entière permettrait de mieux défendre certains principes et que la paix dans le monde se bâtit dans la grande famille des nations, la Conférence des évêques suisses et le Conseil de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse se sont déclarés favorables à l’initiative [15]. Les milieux culturels se sont également mobilisés. Des musiciens ont effectué une tournée gratuite intitulée « Swiss Bands go Uno » et de nombreux artistes comme Hans Erni ou encore Emil Steinberger ont participé à la campagne [16].
Les acteurs de la campagne ont fourni des efforts particuliers dans les cantons incertains. Les plus souvent mentionnés ont été l’Argovie, Saint-Gall, les Grisons, Zug, Lucerne et enfin, Soleure. Selon les nombreux sondages qui ont rythmé la campagne, un soutien populaire à l’initiative semblait acquis mais le résultat s’annonçait très serré en raison de l’obligation d’avoir une double majorité [17].
Par rapport à la votation de 1986, c’est principalement dans le camp bourgeois qu’une évolution des positions a été observée. En 1986, le PRD et le PDC avaient recommandé le oui. De nombreuses sections cantonales, 18 radicales et 12 démocrates-chrétiennes, s’étaient toutefois désolidarisées. Aucune voix divergente ne s’est faite entendre 16 ans plus tard. L’UDC a refusé l’adhésion encore plus nettement, malgré les oui bernois et grison. Les libéraux ont changé de camp en prônant le oui. Quant aux organisations économiques, leur scepticisme, ou même leur opposition, ont fait place à un fort engagement financier. De nombreuses personnalités bourgeoises ont aussi changé d’avis sur la question, le plus illustre étant le Président de la Confédération Kaspar Villiger. Les conseillers aux Etats Bruno Frick (pdc, SZ), Maximilian Reimann (udc, AG), et Hans Rudolf Merz (prd, AR), leurs homologues au Conseil national Claude Frey (prd, NE) ou encore Hans-Peter Seiler (udc, BE) ont fait campagne pour l’adhésion, soulignant que la question ne se posait plus dans les mêmes termes. Ce soutien de politiciens bourgeois a certainement rassuré de nombreux électeurs [18].
Initiative populaire « pour l’adhésion de la Suisse à l’Organisation des Nations Unies »
Votation du 3 mars 2002

Participation: 58,4%
Oui: 1 489 110 (54,6%) / 11 2/2 cantons
Non: 1 237 629 (45,4%) / 9 4/2 cantons

Mots d'ordre:
— Oui: PDC, PRD, PS, PCS, PdT, PE, PEP, PL; Economiesuisse, FSE, UCAPS, USAM, USS, CSCS.
— Non: UDC (2*), DS, Lega, PDL, UDF.

* Recommandations différentes des partis cantonaux.
Les résultats du 3 mars ont confirmé l’importance de la majorité des cantons. Si la majorité du peuple a été assez confortablement acquise (54,6%), celle des cantons l’a été beaucoup plus difficilement, 11 cantons plus 2 demis, soit le plus petit écart possible. Le taux de participation de 57,4% était le plus élevé depuis la votation sur l’EEE en 1992. Face à un tel résultat, l’évolution de l’opinion depuis 1986 a frappé les observateurs. Le passage d’un rejet populaire de 75,7%, accompagné d’un non unanime des cantons, à une double majorité est la traduction d’une évolution claire de l’opinion publique. La principale différence constatée entre les régions linguistiques a été la présence du fossé ville-campagne en Suisse alémanique, une fois de plus lors d’une votation de politique étrangère. L’acceptation dans les communes urbaines a été de 59% et le rejet de 55% dans les communes rurales. Ainsi, même dans des cantons qui ont refusé l’entrée dans l’ONU comme l’Argovie, Saint-Gall ou la Thurgovie, les villes ont dit oui. Les résultats zurichois et bernois ont également contribué à asseoir la majorité populaire. Malgré un engagement intense du Conseil fédéral en Suisse orientale et la participation de ses membres à de nombreux débats et manifestations, cette partie du pays s’est globalement opposée à l’initiative. Outre la tradition de retenue en matière de politique étrangère, le résultat a aussi été interprété comme un vote de défiance à l’égard de la Berne fédérale, ces cantons se sentant souvent délaissés. Le vote tessinois a été interprété de la même manière. Pour la majorité des cantons, ce sont finalement Lucerne, Soleure et Zoug qui ont fait pencher la balance. Particulièrement marqué par le clivage ville-campagne, le canton d’Argovie s’est finalement rangé du côté des adversaires. Alors que les voix romandes semblaient acquises, le Valais a failli refuser l’initiative. Ce sont environ 2700 voix qui ont fait la différence [19].
L’analyse VOX a relevé que plus de deux tiers des votants avaient déjà fait leur choix plus de six semaines avant le vote, soit deux fois plus tôt que lors d’autres votations. Le profil de l’opposant a été établi : de droite, il est peu intéressé à la politique, habite une région rurale de Suisse allemande ou italienne, et n’a pas complété sa formation après son école obligatoire ou son apprentissage. Les plus fervents partisans ont été les sympathisants socialistes (90% de oui). Les opposants les plus décidés ont été les démocrates de centre en rejetant l’adhésion à 84%. Les sondés proches des radicaux ont nettement approuvé l’ouverture en la plébiscitant à 69%, les démocrates-chrétiens se sont montrés plus prudents (58%). La division au sein du camp bourgeois en matière de politique étrangère s’est confirmée, l’UDC se démarquant de plus en plus régulièrement. Les principaux arguments invoqués par les partisans étaient la crainte de l’isolement, l’image de la Suisse à l’étranger, l’exercice d’une solidarité active ou encore la prise de sa part de responsabilité. Pour les opposants, le coût excessif a souvent été invoqué. La principale raison semble toutefois avoir été d’ordre très général, liée à l’inutilité de l’adhésion. Il est intéressant de noter l’évolution dans la perception de la neutralité. Si en 1986, 54% des participants considéraient que l’adhésion y contrevenait, ils n’étaient que plus que 28% lors de ce scrutin. Cette perception a même diminué parmi les opposants (de 76% à 58%). De même, bien que toutes les catégories sociales et les groupes aient massivement augmenté leur soutien, de nouvelles divisions, plus significatives, sont apparues. Ce sont avant tout les différences entre les régions rurales et urbaines alémaniques qui se sont accentuées [20].
Les objectifs de la Suisse aux Nations Unies ont été définis au printemps déjà. Le gouvernement s’est fixé notamment comme objectifs de s’engager pour le respect du droit humanitaire, pour l’amélioration du régime des sanctions, pour l’interdiction des armes de destruction massive et pour le développement des moyens civils de promotion de la paix [21].
La Suisse a été admise officiellement le 10 septembre. La demande, qui mentionnait la neutralité à plusieurs reprises, a été parrainée par la France. Son ministre des affaires étrangères, Dominique de Villepin, a présenté à l’Assemblée générale la résolution du Conseil de sécurité recommandant l’admission de la Suisse. Cette résolution a été acceptée par acclamation [22].
Le suisse Walter Kälin a été élu au Comité des droits de l’homme de l’ONU. Le professeur bernois, spécialiste du droit des réfugiés, était le premier suisse à postuler pour une telle place. Il a été nommé un jour avant l’entrée officielle de la Suisse à l’ONU. Cet organisme est l’organe de contrôle de l’application par les Etats parties du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il se compose de 18 membres [23].
L’examen par les Chambres du message relatif à la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et pour la répression des attentats terroristes est traitée dans la partie consacrée à la protection de l’Etat (partie I,1b, Staatsschutz). Celui du message relatif à la reconnaissance de la compétence du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD), pour recevoir et examiner des communications au sens de l’article 14 de la Convention internationale de 1965, est abordé dans la partie consacrée aux droits fondamentaux (partie I, 1b, Grundrechte).
 
[11] Presse du 2.1 (allocution de nouvel an) et du 8.1.02 (lancement de la campagne des adversaires). Voir également APS 1986, p. 43 ss. (concernant la votation de 1986) et 2001, p. 55 s.
[12] Presse du 9.1.02 (lancement de la campagne des partisans). Voir également APS 2001, p. 55 ss. (concernant le soutien des chambres et de l’économie; le budget de la votation); TA, 8.1.02 et NLZ, 14.1.02 (participation financière d’Economiesuisse); LT, 14.1.02 et Lib., 16.2.02 (rôle des organisations économiques dans la campagne).
[13] Prises de positions : presse du 25.1.02 (romands et Berne); NZZ, 8.2.02 (Zurich); NLZ, 12.2.02 (Obwald); QJ, 6.2.02 (Jura); BaZ, 28.1.02 (Bâle-Ville); QJ, 24.1.02 (résolution des députés jurassiens). De nombreux comités, partisans ou adversaires, se sont également formés dans les cantons.
[14] Presse du 11.1.02.
[15] Lib., 11.1.02; NF, 21.1.02.
[16] SGT, 7.1.02; presse du 10.1.02; NZZ, 7.2.02.
[17] BZ, 5.1.02, BüZ, 22.1.02; LT, 16.1.02 (cantons incertains); SGT, 11.1.02, presse du 18.1, 11.2 et 22.2.02; TA, 20.2.02; AZ, 19.2.02 (sondages).
[18] APS 1986, p. 43 ss.; 24 h, 11.2.02 (comparaison avec 1986); NLZ, 14.01.02; Blick, 17.1.01; LT, 16.1.01; AZ, 29.1.01 (politiciens ayant changé d’avis et faisant campagne dans le camp du oui).
[19] FF, 2002, p. 3452 ss.; presse des 4, 5 et 6.3.02; TG, 13.4.02 et NZZ, 16.4.02 (analyse des résultats par communes de l’Office fédéral de la statistique).
[20] Hans Hirter / Wolf Linder, VOX n° 76, Analyse de votations fédérales du 3 mars 2002, Berne 2002.
[21] Presse du 30.5.02; Lib., 31.5.02.
[22] Presse des 17.7, 10.9 et 11.9.02.
[23] Bund, 7.9.02; communiqué de presse du DFAE du 9.9.02; NZZ, 16.9.02.