Année politique Suisse 2002 : Bildung, Kultur und Medien / Medien
Presse
Le
Conseil suisse de la presse a traité 91 cas durant l’année sous revue, soit 23 de plus que l’an dernier. 23 plaintes ont été approuvées, partiellement ou intégralement. Ce résultat est constant par rapport aux autres années. 24 plaintes ont été rejetées. Le principal motif invoqué pour en justifier la saisine a été la violation de la sphère privée. L’instance s’est par ailleurs spontanément chargée d’examiner si « l’affaire Borer » (traitée dans la suite de ce chapitre) correspondait à un tel cas de figure
[5].
La principale préoccupation des éditeurs durant l’année a été de faire face à
l’effondrement du marché des annonces. Ce repli a été particulièrement significatif au niveau des annonces d’emploi. Des programmes d’économies ont été décidés, pouvant parfois être synonyme de licenciements. Un certain nombre de spécialistes ont affirmé que les changements n’étaient pas conjoncturels, mais bien structurels. Faisant notamment référence à la concurrence croissante des autres médias sur le marché des annonceurs, ainsi qu’au changement des habitudes publicitaires, ils ont conseillé aux éditeurs d’adapter leurs produits à ces nouvelles réalités
[6].
L’étude
« MACH Basic 2002 » a révélé des différences d’évolution des lectorats entre les principales régions linguistiques. Basée sur des entretiens téléphoniques effectués d’avril 2001 à mars 2002 auprès d’environ 23 000 personnes dans tout le pays, elle permet, chaque année, de déterminer le nombre de lecteurs des principales publications. En Suisse romande, la grande majorité des quotidiens, indépendamment du tirage, a progressé. La presse dominicale a augmenté de manière significative son audience. Le marché tessinois s’est caractérisé par une légère hausse du lectorat des journaux et des périodiques. En Suisse alémanique, c’est le quotidien gratuit «20 Minuten » qui a connu la plus forte progression. Bénéficiant notamment de la disparition de son concurrent direct « Metropol », il s’est hissé au troisième rang des quotidiens alémaniques, derrière le « Blick » et le « Tages-Anzeiger ». Ce dernier a subi une forte baisse pour la deuxième année consécutive. Elle a été attribuée au succès du « 20 Minuten ». Les quotidiens tirant à plus de 50 000 exemplaires ont, dans l’ensemble, perdu des lecteurs
[7].
Le début de l’année a été marqué par le lancement de la
« Mittelland Zeitung ». Il ne s’agit pas d’un nouveau quotidien issu d’une fusion mais du fruit de la collaboration entre quatre journaux régionaux : L’ « Aargauer Zeitung », la « Zofinger Tagblatt », l’ « Oltner Taglblatt » et la « Solothurner Zeitung ». Ils partagent un certain nombre de rubriques tout en conservant leur titre, leur rédaction et l’indépendance de leurs maisons d’édition. Ce n’est qu’en sous-titre qu’apparaît l’appellation «Mittelland Zeitung ». L’ « Aargauer Zeitung », partenaire principal, fournit les rubriques de portée nationale et internationale. Chaque titre continuera à publier sa propre partie régionale. Misant sur 200 000 exemplaires (pour environ 360 000 lecteurs), ce concept de « journal dans le journal » en fait le troisième quotidien de Suisse après le « Blick » et la « Tages-Anzeiger », le quotidien gratuit « 20 Minuten » n’étant pas pris en compte
[8].
Lancé en janvier 2000, le
quotidien gratuit « Metropol » a été publié pour la dernière fois le 13 février. Le groupe suédois Metro International en a informé la rédaction zurichoise le matin même. C’est par un bref communiqué que les 58 employés ont appris leur licenciement. La société scandinave, établie à Londres, n’a ainsi pas attendu les 3 ans qu’elle voulait accorder à son édition suisse pour atteindre les objectifs de rentabilité. Décidée à s’orienter vers d’autres marchés comme la France, elle a quitté définitivement la Suisse
[9]. La morosité régnant sur le marché des annonces a également affecté son concurrent direct
« 20 Minuten ». C’est plus particulièrement le maintien des éditions bâloises et bernoises qui semblait peser sur ses résultats. Cette présence dans plusieurs grands centres permet notamment de servir de support à des campagnes publicitaires nationales
[10]. En septembre, le groupe zurichois Tamedia a annoncé qu’il envisageait de lancer son propre quotidien gratuit pour faire face à la concurrence que constitue « 20 Minuten » pour son quotidien phare, le « Tages-Anzeiger »
[11]. Le lancement de ce projet a finalement été officialisé quelques semaines plus tard. Sous le titre d’ « Express », il devrait être distribué, probablement dès le printemps 2003, dans les gares, les principaux nœuds de transports publics ainsi que dans tous les foyers de la région zurichoise
[12].
Le
« Ticino Oggi », pendant tessinois du « 20 Minuten », a été lancé début septembre. Le rédacteur en chef de ce quotidien du soir n’est autre que le conseiller national tessinois Flavio Maspoli (Lega). Le lancement d’un quatrième quotidien sur un marché considéré comme saturé n’a pas manqué de surprendre. C’est avant tout l’identité et la motivation des investisseurs qui a fait l’objet de spéculations. Cette publication, dont la prétention est d’avoir le plus grand tirage au niveau cantonal avec 60 000 exemplaires, emploie 25 personnes et a son siège à Locarno
[13].
Le
groupe Ringier a été au centre de l’actualité à de nombreuses reprises durant cette année. C’est début avril qu’a éclaté
« l’affaire Borer ». Le « Sonntagsblick » a publié un reportage prêtant une liaison extraconjugale à l’ambassadeur de Suisse à Berlin. L’article était accompagné de photos supposées étayer la thèse. Prenant le relais, le « Blick » a accusé l’ambassadeur d’être un menteur dans son édition du 4 avril. Ce qui n’aurait pu être qu’une banale histoire d’adultère présumé a pris une envergure nationale. Concernant
le rôle des médias, on s’est interrogé sur la séparation entre la vie privée et la fonction des personnages publics. De plus, les médias se sont peu à peu détachés des faits pour se concentrer sur le mensonge présumé de l’ambassadeur. Il n’était ainsi plus important de savoir si les fait étaient avérés, mais plutôt de savoir si le représentant de la Suisse avait menti en public. C’est enfin le DFAE, bien qu’ayant soutenu son ambassadeur, qui a été critiqué dans sa gestion de la crise (voir également chapitre 2, Politique étrangère suisse). Le conseiller fédéral Deiss a été soupçonné d’avoir laissé la situation se détériorer et ainsi d’avoir joué un double jeu dans cette affaire
[14]. Après s’être excusé auprès des lecteurs du Sonntagsblick et du couple Borer, Michael Ringier a admis que des méthodes inacceptables avaient été utilisées par ses journalistes. Il s’agissait notamment du versement d’honoraires à la maîtresse présumée en échange de ses déclarations. Ce mauvais vaudeville a pris fin avec un arrangement extrajudiciaire prévoyant, outre le versement d’un dédommagement au couple Borer, la fin de toutes les procédures pendantes ou annoncées par les parties
[15]. Cette affaire n’a pas manqué pas de faire un certain nombre de victimes au sein du groupe. Le rédacteur en chef du Sonntagsblick Mathias Nolte et la principale auteur de l’histoire, la journaliste allemande Alexandra Würzbach se sont retirés
[16]. Le quotidien Blick a aussi subi un changement à sa tête avec le remplacement de Jürg Lehmann par Werner de Schepper
[17]. De même, la mise en congé de l’éminence grise du groupe, Frank A. Meyer, a été interprétée comme en étant une conséquence. Ce congé payé de six mois devait officiellement lui servir de temps de réflexion
[18]. Afin de dresser une liste complète des victimes, il convient de mentionner le départ volontaire du porte-parole Fridolin Luchsinger, après une trentaine d’années de maison, ainsi que celui, moins volontaire, du rédacteur en chef adjoint du Sonntagsblick Ralph Grosse-Bley, un des principaux instigateurs du reportage
[19]. Les dégâts d’image importants et les retombées financières négatives sur les ventes et les recettes publicitaires poussèrent la direction à trancher dans le vif
[20].
Le porte-parole du groupe Ringier a confirmé en septembre l’existence de contacts avec le géant allemand de l’édition
Axel Springer-Verlag. Il s’agissait de trouver un arrangement pour la reprise d’un paquet d’actions Springer détenu par le magnat allemand des médias Léo Kirch. La faillite de son groupe l’avait obligé à vendre ses actifs et 40 % des actions d’Axel Springer Verlag cherchaient subitement un repreneur. C’est après des semaines de spéculations sur un rapprochement des deux groupes, certaines rumeurs parlant même de fusion, que les tractations ont été interrompues
[21].
La Swissfirst Bank a repris la maison d’édition
Jean Frey AG, propriété du Basler Mediengruppe. Le groupe Ringier s’est senti trahi car un précontrat relatif à la vente avait été signé avec les Bâlois en 2001
[22]. L’institut financier a repris Jean Frey AG, pour ensuite vendre la société à un groupe d’investisseurs privés et institutionnels
[23]. Aussi bien l’organisation faîtière des éditeurs Presse suisse, que la rédaction de la « Weltwoche », ont demandé aux nouveaux maîtres de maison de jouer carte sur table
[24]. L’annonce de la composition du nouvel actionnariat a confirmé sa proximité présumée avec des milieux bourgeois. Principal repreneur à hauteur de 25% environ, le financier tessinois et ancien politicien démocrate-chrétien Tito Tettamanti était notamment accompagné d’un certain nombre de politiciens bourgeois. Parmi les nombreux actionnaires détenant moins de 5%, se trouvaient Hans Kaufmann (CN, udc, ZH), Peter Weigelt (CN, prd, SG) ou encore Jörg Rappold (anc. membre du Conseil cantonal, prd, ZH). Une part d’ombre est demeurée dans la mesure où les détenteurs de 20% du capital n’ont pas dévoilé leur identité. La direction du groupe a été confiée à
Filippo Leutenegger, ancien présentateur d’une émission politique de la télévision alémanique (ARENA). La fédération suisse des journalistes a réagi en exprimant sa crainte de voir les titres du groupe perdre leur indépendance. Le syndicat des médias Comedia a manifesté son inquiétude que le groupe devienne un objet de spéculation. L’identité des repreneurs a provoqué de vives réactions au sein de la rédaction du
Beobacher, véritable institution se définissant comme le porte-parole des plus faibles et qui dispense de nombreux conseil pratiques à ses lecteurs. Le rédacteur en chef Ivo Bachmann et le chef du centre de conseil Philippe Ruedin, qui s’étaient exprimés ouvertement en faveur d’un reprise du titre par le groupe Ringier, plus à même selon eux à garantir l’indépendance du titre, ont démissionné une fois les noms des nouveaux propriétaires rendus publics
[25].
Le
groupe Hersant a poursuivi son expansion en Suisse romande. Après le rachat du quotidien vaudois « la Côte », ce sont les deux titres neuchâtelois
« l’Express » et
« l’Impartial » qui sont passés en main française. Si les collaborateurs et les partenaires minoritaires ont été surpris à l’annonce de la transaction, les observateurs y ont vu la confirmation d’une stratégie d’expansion en Suisse romande
[26]. Les deux géants, Edipresse et Hersant, ont étendu leur lutte aux quotidiens gratuits. Hersant a décidé d’élargir la diffusion du tout-ménage de « La Côte » en réponse au lancement de Lac-Hebdo par Edipresse. Un projet d‘hebdomadaire gratuit en ville de Genève est aussi attribué au groupe français
[27].
Le
groupe Edipresse n’est pas resté inactif durant cette année. En Suisse romande, il a aussi renforcé sa position sur le marché vaudois et, dans un premier temps, repris le bihebdomadaire
« Journal de Morges » [28]. Mais c’est avec le rachat du
groupe Corbaz, éditeur des quotidiens « La Presse / Riviera Chablais » et de « La Presse / Nord Vaudois », qu’il s’est véritablement renforcé
[29]. La Commission de la concurrence, après un examen approfondi de la situation et quelques concessions exigées, a autorisé la transaction. Elle a estimé que l’opération de concentration n’était pas susceptible de supprimer la concurrence efficace sur le marché romand. La présence d’Hersant et les nouvelles coopérations entre les quotidiens romands devraient permettre d’assurer « un effet de discipline durable sur Edipresse »
[30]. Cette décision a été perçue comme politique par certains commentateurs. Le représentant du groupe français, qui avait également soumis une offre, a même parlé de « cadeau »
[31].
Les deux titres régionaux
« La Liberté » (Fribourg) et
« Le Nouvelliste » (Valais) ont signé une lettre d’intention devant servir de base à une collaboration future. Ils ont formalisé des échanges déjà effectifs mais ne reposant sur aucun accord écrit. L’objectif est de créer des synergies aux niveaux rédactionnel et technique. Du côté de « La Liberté », on n’a pas caché le caractère défensif de cette alliance, destinée à servir de rempart aux velléités expansionnistes d’Edipresse et Hersant
[32].
Le
groupe NZZ, déjà actionnaire majoritaire du « Bund » (Berne) et du « St. Galler Tagblatt », a poursuivi sa stratégie d’investissements dans la presse régionale en reprenant la participation minoritaire de Ringier dans la « Neue Luzerner Zeitung ». Le repreneur a démontré sa volonté de garantir l’indépendance de sa presse régionale, ce qui a rassuré la rédaction, les observateurs et la Comco qui a renoncé à un examen des faits
[33].
C’est en mars qu’a été lancée la
« NZZ am Sonntag » [34]. Bien que démarrant avec un tirage de 220 000 exemplaires, il est prévu de le stabiliser à 150 000. Le produit est développé depuis la maison mère mais dispose d’une rédaction propre de cinquante personnes. Deux titres occupaient déjà le marché : le
« Sonntags-Blick » (Ringier), cas typique du journalisme de boulevard, et la
« Sonntag-Zeitung ». Bien que plus aérée que sa grande sœur dans sa présentation et plus légère dans le choix des thèmes abordés, elle s’est rapidement affirmée comme le quotidien dominical le plus difficile d’accès
[35].
Sur le marché romand, l’arrêt du
« Dimanche.ch », parfois évoqué, n’a pas eu lieu. Le maintien du titre lancé par Ringier en automne 1999 s’est fait au prix de mesures d’économies touchant le quart du personnel. C’est avant tout la baisse des revenus liés aux annonceurs qui a mis le titre en difficulté
[36].
[6] Presse du 11.7.02;
NZZ, 16.7 et 28.12.02;
BaZ, 23.7 et 12.12.02;
NLZ, 13.8.02;
TG, 17.9.02.
[7] Presse du 10.9.01;
SHZ, 11.9.02;
TA, 12.9.02. Voir également
APS 2001, p. 251.
[8] Presse du 3.1 et du 4.1.02;
TA, 24.01.02. Voir également
APS 2001, p. 251.
[9]
AZ, 13.2.02; presse du 14.2.02.
[10]
AZ, 23.5 et 30.7.02.
[11]
NZZ, 27.9.02;
Bund, 28.9.02;
AZ, 10.10.02.
[12] Presse du 19.11 et 20.11.02;
TA, 21.11.02.
[13]
Bund et
AZ, 2.8.02;
BaZ, 10.09 et 5.8.02;
24 h, 10.08.02;
TA, 4.09 et 26.9.02;
BZ, 15.10.02.
[14] Presse du 3.4 au 6.4.02.
[15]
SonntagsBlick, 14.7.02; presse du 15.7.02.
[18] Presse du 28.8 et du 29.8.02.
[21] Presse du 10.9, 21.9, 3.10 et 15.11.02;
TG, 2.10.02.
[22] Voir également
APS 2001, p. 252.
[24]
Bund, 12.2.02;
BaZ, 15.2.02.
[25]
NZZ, 27.3.02; presse du 28.3 et du 30.3.02;
SoZ, 31.3.02;
AZ, 3.5.02.
[26]
24h, 27.2.02; presse du 28.2.02; Voir également
APS 2001, p. 251.
[27]
TG, 10.4.02;
LT, 11.4.02.
[28]
NF, 13.3.02;
Bund, 14.3.02.
[30] Communiqués de presse de la Commission de la concurrence des 21.6, 15.10 et 17.12.02.
[31] Presse du 18.12.02;
LT, 10.5 et 22.6.02 (offre d’Hersant).
[32] Presse du 9.8.02;
AZ, 10.8.02.
[33] Presse du 26.4.02;
AZ, 2.5.02;
NZZ, 29.5.02.
[34] Voir également
APS 2001, p. 252.
[36]
Bund, 9.7 et 11.7.02;
AZ, 10.7.02.
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