Année politique Suisse 2003 : Infrastruktur und Lebensraum / Energie / Politique énergétique
Libéralisant partiellement le secteur électrique en 2004 et totalement en 2007, l’UE a demandé à la Suisse de lui faire part de ses intentions en la matière. Lui répondant, ainsi qu’aux acteurs concernés, le Conseil fédéral a annoncé son intention de vouloir
asseoir l’approvisionnement électrique sur de nouvelles bases légales d’ici 2007 au plus tard. Suite au rejet de la loi sur le marché de l’électricité (LME) en 2002, le DETEC a procédé à un état des lieux et à des entretiens avec une trentaine de groupes d’intérêts. Il est apparu que ni des accords de branche, ni le droit des cartels, ne suffiraient à régler l’ensemble du marché et à garantir le service public. Afin d’y pallier et de respecter la volonté populaire, le Conseil fédéral a créé une commission d’experts dans le but de préparer cette nouvelle réglementation. Elle comprend 24 personnes représentant l’industrie électrique, l’économie, les cantons, les communes, les syndicats, les consommateurs et les organisations écologistes. Pour éviter toute confusion avec la LME, on parle d’OSEL - organisation du secteur de l’électricité. Trois éléments appellent à une loi sur le marché électrique. Premièrement, la Suisse ne peut rester à l’écart de l’ouverture du marché européen, car les activités des entreprises électriques dépassent le cadre des frontières de leur pays d’attache. Il s’agit donc d’assurer
la réciprocité des droits. Le Conseil fédéral considère par ailleurs indispensable de réglementer le transit de courant. Comme le problème ne peut être résolu par le cadre d’un accord bilatéral et que des accords de droit privé offrent une solution transitoire, une base légale est indispensable. Celle-ci devra en particulier désigner l’autorité qui supervisera le système
[6]. Deuxièmement,
les PME paient leur courant substantiellement
trop cher que la concurrence à l’étranger. La position dominante des entreprises électriques régionales empêche souvent les distributeurs locaux d’offrir aux PME des tarifs avantageux, ceux-ci étant réservés aux grandes entreprises. Il appartiendra à la commission d’experts de dire jusqu’où on libéralise et quels types de consommateurs pourront profiter de la concurrence. Troisièmement, la nouvelle loi doit
assurer la sécurité de l’approvisionnement dans un contexte d’ouverture des marchés. Les opposants à la LME y tiennent. Dans ce contexte, les importants écarts de prix entre les régions devront être analysés. La sécurité juridique nécessaire à des investissements d’équipement et de modernisation devra également trouver une assise
[7].
L’
OFEN a également donné son appréciation de la situation du marché électrique. L’Office fédéral ne voyait pas d’autre choix pour la Suisse que de s’adapter à la donne imposée par l’UE, c’est-à-dire de
libéraliser complètement l’accès à son réseau électrique d’ici à 2007. Il proposait de scinder le processus en deux. Une première étape de libéralisation entrerait en vigueur en 2005. Celle-ci ne concernerait que les gros consommateurs d’énergie et les PME. La seconde étape, qui marquerait la généralisation de l’accès libre au réseau, ferait l’objet d’un processus législatif ultérieur. Moritz Leuenberger a dû lever un malentendu: pour aucune de ces étapes, il n’était question de recourir au droit d’urgence. Afin d’éviter un nouveau black-out, l’OFEN proposait en outre d’intégrer dans le projet de loi deux mesures de renforcement des structures de régulation du marché. Il s’agirait de
créer une société nationale d’exploitation du réseau à haute tension qui chapeauterait les sept opérateurs régionaux, mais aussi une
autorité de régulation étatique « forte ». Cette dernière devrait notamment être capable de pouvoir influer – en concertation avec ses homologues dans les pays voisins – sur la manière dont les flux d’électricité qui transitent vers l’Italie se répartissent entre la Suisse, la France, la Slovénie et l’Autriche. Les experts de l’OSEL ont plébiscité ces deux derniers points
[8].
Le
Tribunal fédéral a rejeté le recours des Entreprises électriques fribourgeoises (EEF) qui refusaient d’acheminer le courant d’un concurrent. Les juges fédéraux confirmaient ainsi que
les seules dispositions légales réglementant le marché de l’électricité étaient la loi sur les cartels (les consommateurs peuvent acheter leur courant où ils le veulent) et
la loi sur le marché intérieur (elle combat les monopoles régionaux et l’abus de position dominante). Ayant épuisé toutes les voies juridiques, les EEF ont saisi le Conseil fédéral. Via une demande d’autorisation exceptionnelle, elles voulaient continuer à bénéficier d’une position dominante sur le marché local, en attendant la mise en place d’une réglementation dictant l’ouverture des marchés. Cette requête au Conseil fédéral était accompagnée d’une demande d’effet suspensif en attendant qu’il se prononce. Alors que la balle était dans le camp du politique, le Grand Conseil fribourgeois a été le premier à réagir en verrouillant son marché de l’électricité. Avec l’adoption d’une loi permettant de réserver le marché de l’électricité fribourgeois aux entreprises déjà implantées, il contournait la décision de la Comco. Par sa décision, Fribourg rejoignait Obwald et le Jura qui disposaient déjà d’un monopole « légal »
[9].
Rendant les considérants public, le
Tribunal fédéral a conclu que le scrutin populaire n’avait pas eu pour conséquence, sur un plan juridique, de soustraire le marché électrique à la loi sur les cartels. Les citoyens avaient été avertis avant le vote qu’un rejet ne stopperait pas l’ouverture du marché. Un distributeur régional peut donc se voir contraint de s’ouvrir à la concurrence pour le transport et la distribution de l’électricité sur un réseau tiers. Les juges fédéraux ont confirmé le raisonnement adopté par la Comco et la Commission de recours pour les questions de concurrence.
Le refus des EEF constituait un abus de position dominante. Sur la question des monopoles cantonaux, le Tribunal fédéral a dissuadé les cantons d’agir de la sorte et a averti que ceux-ci pourraient être anticonstitutionnels. Les juges ont considéré que la loi fédérale sur les cartels s’imposait aux lois cantonales, telles que celle fribourgeoise qui protège le monopole des EEF. Pour le TF, un monopole géographique de distribution, reconnu par la nouvelle loi fribourgeoise, n’impliquait pas un droit exclusif de livraison. Début novembre, les EEF ont subi un nouvel échec ; le
Département fédéral de l’économie (DFE) leur
a refusé un effet suspensif jusqu’à ce que le Conseil fédéral se prononce sur la demande d’autorisation exceptionnelle
[10]. L’affrontement entre les tenants de la loi cantonale fribourgeoise et ceux de la loi sur les cartels n’a pas eu lieu. En effet, après avoir accepté de laisser transiter le courant, les EEF ont finalement décroché le contrat d’approvisionnement avec Migros
[11].
[6] Cette autorité constitue le principal correctif à la LME. Au lieu d’une instance de régulation forte, celle-ci répartit la surveillance entre plusieurs organismes.
[7]
LT, 8.1.03 (UE); presse du 8.3.03; DETEC,
communiqué de presse, 7.3.03. Voir
APS 2002, p. 126 ss.
[8]
LT, 26.11, 27.11 et 18.12.03 (OSEL).
[9]
24h, 25.6.03 (TF); presse du 20.8.03 (demande d’autorisation);
TG, 12.9.03 (Grand Conseil FR). Voir également
APS 2002, p. 129 s.
[10]
LT, 1.11.03 et
Lib., 3.11.03 (considérants); presse du 6.11.03 (DFE).
[11] Presse du 19.11.03;
LT, 21.11.03;
Lib., 21.11.03.
Copyright 2014 by Année politique suisse