Année politique Suisse 2008 : Infrastruktur und Lebensraum / Energie / Politique énergétique
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Marché de l'électricité
Le 1er janvier, la loi sur l’approvisionnement électrique (LApEl) est partiellement entrée en vigueur, mais la première étape de la libéralisation du marché électrique ne débutera véritablement que le 1er janvier 2009. À partir de cette date, les entreprises consommant 100 megawattheure/an et plus pourront choisir librement leur fournisseur. L’année 2008 a par conséquent été placée sous le signe de la préparation de la libéralisation, tant du côté des autorités fédérales que de celui des entreprises électriques. En mars, le Conseil fédéral a adopté l’ordonnance sur l’approvisionnement en électricité (OApEl) censée encadrer l’ouverture des réseaux de transport. Outre le respect de normes comptables garantissant la transparence de la tarification, les quelques 900 entreprises auront l’obligation de fixer le prix final du courant en fonction de leurs coûts internes de production et d’achat d’électricité (prix coûtant), et non en fonction du prix du marché européen. Le Conseil fédéral espère ainsi garantir un prix modéré, au moment où les tarifs sur le marché européen connaissent une hausse sans précédent. En outre, les entreprises électriques seront obligées de composer avec un taux de rendement des capitaux engagés de 5%, alors qu’elles en réclament 7% pour assurer l’entretien du réseau. Par la même occasion, le Conseil fédéral a approuvé la révision de l’ordonnance sur l’énergie. Il a ainsi arrêté les modalités de rétribution pour l’injection de courant vert dans le réseau : les prix moyens seront de 18 centimes/kWh pour l’hydraulique, 20 centimes pour l’éolien, 25 pour la géothermie et 70 pour le solaire. Il a enfin édicté des prescriptions plus strictes concernant la consommation des lampes domestiques. À partir du 1er janvier 2009, les ampoules des classes d’efficacité énergétique F et G disparaîtront du marché suisse [15].
Début septembre, l’annonce d’une hausse considérable des tarifs pour l’année 2009 a suscité l’indignation générale. Très variables selon les régions, les hausses étaient particulièrement fortes à Genève (+10 à 15% pour les particuliers et +25 à 30% pour les entreprises), en ville de Bâle (+23% en moyenne), de Lausanne (+15% en moyenne) et de Berne (+10% pour les ménages et +20% pour les entreprises), ainsi qu’en Suisse centrale (+18% en moyenne). La ville de Zurich faisait exception avec des prix 2009 inchangés par rapport à 2008, alors que dans le reste du canton la hausse atteignait en moyenne 10,8%. Cela s’explique par le fait que les services industriels zurichois sont la seule entreprise excédentaire. Par conséquent, ils n’ont pas besoin d’acheter du courant à la Bourse énergétique européenne de Leipzig, où les prix de l’électricité ont fait un bond similaire à ceux du gaz et du pétrole. Les autres entreprises doivent par contre payer le prix fort pour combler l’écart entre leur production (ou approvisionnement en courant indigène) et la consommation de leur clientèle. Les fournisseurs ont ainsi présenté les hausses comme la conséquence d’un alignement des prix suisses sur les prix européens rendu nécessaire à la fois par l’insuffisance de la production indigène et par la libéralisation [16].
Le président de la Commission de l’électricité (ElCom) et ancien conseiller aux Etats Carlo Schmid (pdc, AI) s’est dit surpris par l’ampleur des hausses et a annoncé leur examen par l’autorité de régulation. L’ElCom a en effet été rapidement submergée de plaintes contre les nouveaux tarifs (1000 au 23 septembre, puis 2000 au 15 octobre). La Fédération romande des consommateurs (FRC) a pour sa part dénoncé la communication lacunaire des entreprises électriques et l’impossibilité pour les ménages de comparer les tarifs. Du côté des partis politiques, le PS a fustigé les hausses de tarif tout en soulignant qu’elles sont la conséquence logique et, en cela, prévisible de la libéralisation voulue par les partis bourgeois. Il en a conclu à l’inévitabilité du référendum contre la seconde étape de la libéralisation prévue pour 2014. Le Conseil fédéral a quant à lui appelé les entreprises à faire preuve de mesure et à réviser leurs tarifs sans attendre que l’ElCom ne statue sur les plaintes. Il a également souligné que, en l’absence de correction, la libéralisation était vouée à l’échec, eu égard à la menace de referendum brandie par le PS. Le spectre du refus populaire de la première tentative de libéralisation, en 2002, a ainsi refait surface [17].
Lors de la session d’automne, le Conseil national a consacré un débat urgent à cette problématique. Interpellé par les goupes radical-libéral, socialiste et UDC, ainsi que par le député Rudolf Rechsteiner (ps, BS), le Conseil fédéral s’est dit très préoccupé par l’ampleur des hausses annoncées et par leurs conséquences prévisibles pour la croissance et la compétitivité de l’économie suisse. Selon son analyse, les hausses sont principalement imputables aux coûts du réseau, à la forte hausse des prix de l’énergie sur le marché international, aux frais de restructuration des entreprises liés à la libéralisation, ainsi que, plus marginalement, à l’encouragement aux énergies renouvelables et à la croissance de taxes et prestations fournies aux collectivités publiques. Les coûts du réseau sont particulièrement élevés en raison d’une part de la pratique dite du « double amortissement » et d’autre part de la méthode de tarification des services-systèmes. Les entreprises électriques ont en effet tout d’abord amorti rapidement leurs installations en prévision de la libéralisation et les amortissent une seconde fois après l’entrée en force de la LApEl, afin de dégager des moyens financiers supplémentaires au titre de réserves ou pour des investissements. Ensuite, les services-systèmes constituent des réserves de puissance (appelées aussi énergie de réglage) permettant une adaptation rapide aux fluctuations de la demande (consommation) comme de l’offre (production). La société gestionnaire du réseau national Swissgrid facture aux entreprises électriques ce courant d’appoint au prix du marché européen, soit considérablement plus cher que son coût (indigène) de production. Le gouvernement a en outre rappelé que l’ElCom, en tant qu’autorité indépendante de régulation, disposait de compétences étendues en matière de contrôle des prix et pouvait ainsi ordonner des baisses ou interdire des hausses de tarifs. Au vu du nombre de plaintes déposées auprès de la ElCom depuis l’annonce des nouveaux tarifs, le Conseil fédéral a prévu d’en renforcer les effectifs en les faisant passer à 18 postes à plein temps par la voie du budget 2009. Il s’est par contre refusé à suspendre l’introduction du supplément de 0,45 centimes/kWh pour le soutien aux énergies renouvelables, aux motifs que des investissements conséquents avaient d’ores et déjà été réalisés et que ce soutien ne représentait proportionnellement qu’une part insignifiante de la hausse annoncée. Il a enfin rejeté les propositions du PS et de l’UDC de geler les tarifs ou de suspendre l’entrée en force de la libéralisation au 1er janvier.
Lors d’un débat droite/gauche relativement houleux, le groupe radical-libéral a rappelé sa conviction dans la nécessité de la libéralisation du marché électrique et montré du doigt le manque de concurrence, le risque de pénurie et la dépendance de Swissgrid vis-à-vis d’intérêts politiques. Le groupe UDC a pour sa part fustigé les taxes et les mesures d’encouragement aux énergies renouvelables. À l’unisson, les partis bourgeois ont fait valoir que la hausse des prix résultait avant tout de la disproportion entre la croissance de la demande et celle de l’offre, situant l’enjeu au niveau de l’approvisionnement. Ils ont ainsi souligné une fois encore la nécessité de construire de nouvelles centrales nucléaires. À l’inverse, les groupes socialiste et écologiste ont mis en cause la libéralisation, réclamé son arrêt et plaidé pour un renforcement de la régulation et des mesures de soutien aux énergies alternatives et aux économies d’énergie. Ils ont en outre répété leur rejet de l’énergie nucléaire [18].
Lors de sa séance du 5 décembre, le Conseil fédéral a discuté de mesures urgentes proposées par Moritz Leuenberger et issues d’une table ronde réunissant les électriciens et les collectivités publiques actives dans la fourniture de courant. Il a adopté trois modifications de l’OApEl, réduisant pratiquement de moitié les hausses annoncées, soit globalement 500 millions au lieu de 1 milliard de francs et 1,1 centime/kWh au lieu de 2. Le gouvernement a d’abord estimé que les grands producteurs devaient participer au financement des capacités de réserve du réseau d’approvisionnement (450 à 500 millions de francs par an), puisque ces coûts leur sont partiellement imputables. Il a par conséquent décidé de réduire la taxe prélevée par Swissgrid auprès des consommateurs finaux de 0,9 à 0,4 centimes/kWh, les coûts résiduels étant désormais répartis proportionnellement entre les exploitants des centrales ayant une capacité supérieure à 50 megawatts (MW). Partant du constat que les gestionnaires de réseau ont réalisé des gains supplémentaires par l’amortissement rapide et intensif de leurs installations (double amortissement), le Conseil fédéral a révisé à la baisse le taux d’intérêt des valeurs patrimoniales au titre de mesure compensatoire. Enfin, le collège a introduit un malus de 20% pour l’usage de la méthode dite synthétique pour déterminer les coûts historiques des installations. Cette mesure est censée mettre un terme aux usages abusifs de cette méthode de calcul. L’ordonnance révisée entrera en vigueur au 1er janvier 2009 et les fournisseurs d’électricité ont jusqu’au 1er avril pour publier leurs tarifs révisés [19].
Parallèlement, lors de la session d’hiver, les chambres ont débattu d’un certain nombre de propositions déposées au cours de la session précédente. Les CEATE des deux chambres ont en effet déposé conjointement une motion et un postulat. La motion charge le Conseil fédéral de modifier l’OApEl d’ici au 31 décembre 2008, afin d’empêcher la pratique du double amortissement et d’obliger les entreprises d’une part à publier leurs tarifs et leurs comptes de façon transparente au plus tard le 30 juin et d’autre part à facturer les services-systèmes à prix coûtant, et non au prix du marché. Le postulat, pour sa part, charge le Conseil fédéral d’étudier l’opportunité de modifier la LApEl et l’OApEl, afin d’étendre les compétences de l’ElCom en matière de régulation (contrôle et sanctions), de modifier la méthode de tarification, de renforcer l’indépendance de Swissgrid (aujourd’hui propriété des grandes entreprises électriques suisses ; cf. infra), d’accroître la transparence des redevances et prestations fournies par les entreprises aux collectivités publiques et de faire toute la lumière sur la politique d’amortissement des entreprises durant les dix dernières années (double amortissement). S’il a pris acte avec satisfaction des mesures décidées par le Conseil fédéral entretemps, le Conseil national a néanmoins approuvé les deux objets pour marquer symboliquement son soutien à l’exécutif. À l’inverse, le Conseil des Etats n’a transmis que le postulat et renvoyé la motion, ainsi qu’une motion similaire du député This Jenny (udc, GL) à sa CEATE, jugeant que, si le postulat s’inscrivait dans le moyen, voire long terme, les motions poursuivaient des objectifs immédiats pour lesquels le Conseil fédéral avait pris des mesures entretemps. Par conséquent, la chambre haute a estimé qu’il conviendrait d’évaluer ces mesures courant 2009 et, au besoin, de reprendre les motions à ce moment là, ou à l’inverse de les classer. Le Conseil national a en outre transmis un second postulat de sa CEATE donnant mandat au gouvernement de présenter un rapport détaillé sur le prix de l’énergie de réglage et décidé de donner suite à une initiative parlementaire de sa commission de l’économie et des redevances (CER-CN) visant à l’édiction d’un arrêté fédéral urgent censé empêcher les hausses injustifiées, notamment celles relatives à l’utilisation des réseaux d’approvisionnement. Le Conseil des Etats, quant à lui, a adopté un postulat Stähelin (pdc, TG) demandant au Conseil fédéral de présenter un rapport sur l’évolution prévisible des prix de l’électricité à court, moyen et long terme, ainsi que sur les répercussions de cette évolution sur l’économie nationale [20].
Swissgrid s’est fait condamner par la Commission de la concurrence (Comco) en raison de la composition de ses organes. Non seulement les grands groupes électriques sont propriétaires de la société nationale, mais surtout ils siègent dans les commissions spéciales chargées de proposer des cahiers des charges pour les mises au concours auxquelles ils peuvent eux-mêmes faire des offres et, ainsi, profiter d’une longueur d’avance sur leurs concurrents. La Comco a en outre sanctionné la composition du conseil d’administration et jugé illégal le cumul des charges de Hans Schweickardt, patron d’EOS et président de Swissgrid. La veille de l’annonce de ce jugement, le conseil d’administration a communiqué la nomination d’un nouveau président, en la personne de Peter Grüshow, membre du conseil d’administration de Siemens, sans lien apparent avec la branche électrique [21].
Après deux ans de tractations, Atel et EOS ont finalisé leur fusion, donnant naissance à Alpiq. Avec un chiffre d’affaires de plus de 16 milliards de francs, un tiers de l’approvisionnement électrique suisse et 15 000 employés, la nouvelle entreprise, basée à Neuchâtel, sera numéro un du marché suisse, devant Axpo. Outre les actionnaires d’Atel et EOS, Electricité de France (EDF) est entrée dans le capital d’Alpiq à hauteur de 25%, au titre d’un partenariat stratégique sur le marché européen. Hans Schweickardt, directeur général d’EOS, a pris la présidence du conseil d’administration [22].
 
[15] BaZ et LT, 18.3.08. La hausse du prix de l’électricité à la Bourse énergétique européenne de Leipzig s’explique par sa dépendance au cours du gaz, lequel a connu une augmentation extrêmement forte dès 2007 (Bund, 21.5.08).
[16] BaZ, LT, NZZ et TA, 2.9.08.
[17] LT, 2.9.08 (ElCom et FRC); LT et TA, 3.9.08 (PS); LT, 4.9 (CF) et 15.10.08 (plaintes).
[18] BO CN, 2008, p. 1457 ss. et Annexes IV, p. 485 s. et 660 ss.; presse des 27.9 et 2.10.08. Concernant la libéralisation du marché de l’électricité, cf. APS 2007, p. 157 s.
[19] RO, 2008, p. 6467 ss.; LT, 18.10 (table ronde) et 25.10.08; NZZ, 20.11 et 13.12.08; presse du 6.12.08 (CF); OFEN, communiqué de presse, 5.12 et 12.12.08. La méthode conventionnelle recourt au coût d’acquisition, mais, pour les installations les plus anciennes, il est parfois impossible d’établir précisément ce coût. En ce cas, les gestionnaires de réseau peuvent utiliser la méthode synthétique, qui se fonde sur la valeur de remplacement (selon l’état actuel du marché). Il en résulte des coûts en capital généralement plus élevés dont la charge est reportée sur les consommateurs.
[20] BO CN, 2008, p. 1771 ss. et Annexes V, p. 509, 475 s. et 480 ss.; BO CE, 2008, p. 800 ss. (Stähelin), 999 ss. et Annexes V, p. 197 ss. et 202; LT, 16.10.08 (CER-CN) et presse du 10.12.08.
[21] Presse du 1.11.08.
[22] Presse du 20.12.08. Cf. APS 2007, p. 158.